Annette Laïs. Féval Paul
pensée qui allait vers le même objet toujours, entêtée et patiente comme le son de cloche qui, dans ma tête, répétait le nom d'Annette Laïs?
Je suppose que c'était ma fièvre, rien que ma fièvre, et que ma fièvre, pour employer la langue du savant Josaphat, était un des prodromes de cet amour foudroyant qui allait être toute ma vie; car je n'ai fait que cela en ma vie: aimer Annette Laïs!
J'eus deux visites: Laroche et M. de Kervigné.
Dès que Laroche entra, ma cousine mit un doigt sur sa bouche et lui dit:
«Attention à toi, Roro! le chevalier a sa connaissance.»
Laroche vint jusqu'à mon lit et m'examina. Je tenais les yeux fermés.
«Madame la vicomtesse se fatigue beaucoup,» prononça-t-il d'un ton respectueux.
C'était en Bretagne seulement que nous l'appelions la présidente.
«Il est sauvé, répondit ma cousine, ne suis-je pas assez payée?
– C'est selon comment madame la vicomtesse l'entend, repartit Laroche, dont la voix de baryton, prétentieuse et offensante, n'excitait plus en moi aucune espèce de colère.»
Ma cousine reprit tout bas:
«Il a prononcé mon nom plusieurs fois dans sa fièvre.»
Je devinai un sourire sur les lèvres du maraud, qui ajouta militairement:
«Je venais de la part de monsieur prendre des nouvelles de madame.
– Tu diras à monsieur qu'il peut venir, répondit ma cousine. C'est son parent, après tout. Cela lui fera plaisir de le voir en bonne voie de guérison.»
Laroche sortit et M. de Kervigné entra presque aussitôt après. Ma cousine tendit la main à son mari, qui la porta fort galamment à ses lèvres. On parla de moi un instant; ce fut, de part et d'autre, en des termes bienveillants, puis le président, changeant de matière tout-à-coup, dit:
«Que pensez-vous que l'on doive faire de ce Laroche?
– De Laroche? répéta ma cousine étonnée.
– Il m'obsède, et je ne puis le faire taire qu'en le congédiant. Il interprète votre conduite avec notre jeune cousin d'une façon tout à fait blessante. Ce sont toujours de nouveaux rapports…
– Laroche! fit encore une fois Aurélie.
– Je crois savoir que vous tenez encore à lui, prononça le président sans aucune intention de raillerie.
– Uniquement parce qu'il vous est fort attaché,» répondit très sérieusement ma cousine.
Elle sonna. Laroche parut.
«Mon ami, lui dit-elle avec douceur, monsieur vous paye pour surveiller le dehors et non point le dedans. Nous sommes un bon ménage. Monsieur m'a chargé de vous parler comme je le fais. Je suis au-dessus de vos bavardages, qui fatiguent monsieur et qui vous feront mettre à la porte. Allez et mêlez-vous de ce qui vous regarde.»
Laroche, tout blême, sortit obéissant à son geste impérieux. Le président baisa une seconde fois la main de sa femme et ce fut en souriant.
«Vous avez raison, dit-il, c'est un beau coquin. Le voilà mieux planté que jamais.»
Quatre jours après cette entrevue, j'eus permission de me lever une heure. Ma cousine agissait avec moi comme la plus tendre des mères, et le docteur Josaphat lui-même me témoignait quelque estime. Il nous annonça que ce jour-là même Annette Laïs s'était levée aussi.
«Il ne faut pas s'y tromper, dit-il à ma cousine, les autres sont la douzaine, mais elle est le treizain. On tient la dragée haute au président, et toute la famille vous a une tenue héroïque, un père à cheveux blancs, un frère qui ressemble à Mélingue dans ses grands rôles. M. de Kervigné ira loin s'il court toujours.»
J'ai peine à exprimer ces nuances, et cela est nécessaire, pourtant; j'écoutais avec curiosité, voilà tout. Annette Laïs m'occupait tout entier, mais c'était malgré moi, et le mot intérêt, tout froid qu'il est, serait trop chaud encore pour rendre la nature de mes sentiments à son égard. Annette Laïs était pour moi le reste de ma fièvre. Si je n'essayais pas de fuir, c'est que je sentais à priori que c'était là l'impossible.
Rien n'avait changé, son nom était le refrain, le son de cloche, la tyrannie d'une migraine.
On me donna deux lettres de Vannes, dont l'une avait déjà six jours de date. Ma cousine avait eu la bonté d'y répondre. La lecture de ces lettres me fit du bien: celle de ma mère laissait voir une tendresse et une sollicitude qu'on ne m'avait pas toujours montrées.
La séparation semblait lui avoir appris à me mieux aimer. Elle me rappelait néanmoins ses diverses commissions, et, sur quatre pages, les petits en avaient bien trois pour leur part. «Cha'ot veut aller avec tonton René,» avait dit mon neveu. Quel enfant! Les dents de Mimi poussaient. La lettre de mon père était plus courte, mais elle contenait deux apostilles, une de ma tante Bel-Œil, une de ma tante Nougat. Mon père me disait de faire bonne figure à Paris et de ne pas ménager sa bourse. Il terminait en s'écriant: Je ne t'en dis pas plus long! A la soupe! Bon appétit, bonne conscience!
Nougat voulait ses digestifs et aussi je ne sais quoi d'apéritif qu'elle avait vu aux annonces des journaux. Elle me priait de pousser, dans mes courses, jusqu'à un certain dépôt de pâtés de foie gras pour faire une surprise à mon père. Bel-Œil me donnait l'adresse d'une librairie où je devais trouver; Wilhem ou les égarements d'un cœur sensible, qu'il fallait lui envoyer avec le Cimetière de Ramberg et le Calice des larmes. Tout le monde se portait bien, même Joson Michais, qui était revenu l'oreille un peu basse. L'oncle Bélébon était toujours l'homme aimable de la famille et Vincent se rangeait.
Je ne prétends pas persuader au lecteur que, par elles-mêmes, ces choses fussent très émouvantes. Je constate seulement qu'elles remuèrent en moi toutes les fibres du souvenir. Pour un instant, je repassai le seuil de la maison paternelle: je fus chez nous, et qui ne sait tout ce que contient ce mot?
«J'ai eu, moi aussi, ma correspondance, me dit Aurélie: trois lettres! je te gagne d'un point. La première est de l'abbé Raffroy, un digne homme, qui m'écrit des remercîments officiels au nom de ton père et de ta mère; la seconde est de la tante Renotte, cette excellente vieille. Là-bas, ne voulait-elle pas me faire croire qu'elle n'avait que dix ans de plus que moi, sais-tu? C'est elle qui t'aime le mieux. Je n'oserais écrire ainsi à ton sujet. La médisance est comme la mauvaise herbe qui croit Je te dirai comme il faut te conduire avec moi devant le monde. La troisième est de ce charmant marquis, ton beau-frère. Ah! ah! nous le connaissons, celui-là! et rien ne m'a plus étonnée que de le voir s'enterrer tout vif. Il se vante de son bonheur dans la lettre, mais son style fait la grimace. Pauvre garçon! je crois bien qu'il avait tout mangé. C'est drôle que tu sois si en retard. Il ne s'est donc pas occupé de toi? Mais, je suis folle! j'oublie que tu viens de Vannes et que ce pauvre marquis est à cent pieds sous terre.
–Ma sœur est une personne accomplie, madame, répliquai-je un peu blessé.
– On le dit et je le crois de tout mon cœur. Te ressemble-t-elle? avec un tour de cheveux, tu serais la plus jolie marquise à dix rues à la ronde. Ne te fâche pas, chéri, et ne m'appelle plus madame. C'est me mettre en pénitence. Je suis ta petite maman, et tu es le dernier que j'aimerai.»
Je baisai la main qu'elle me tendit. La paix fut faite. Le docteur entra comme un insensé.
«Je ne connaissais pas cette sonate de Steibelt! s'écria-t-il. L'andante est un dialogue comme jamais, vous comprenez: jamais, jamais je n'en ai entendu! et sur un misérable piano qui ne vaut pas trois louis! Et avec des doigts de convalescente!.. Madame, il y a quelque chose de plus beau que l'andante, c'est celle qui le jouait! Je n'avais pas vu ses sourcils. Les ailes de son nez m'ont sauté aux yeux. Pendant qu'elle jouait, j'ai suivi la courbe de ses épaules. C'est une Grecque, savez-vous?»
Ma cousine riait et son attitude exprimait l'admiration.
«Vous gagnerez cent mille francs par an quand