Annette Laïs. Féval Paul

Annette Laïs - Féval Paul


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Dieu! disait le jeune docteur, ce n'est pas le même genre. Mme Stoltz a plus de force et des effets plus imprévus. L'avez-vous entendue dire la romance du saule? Ce n'est pas cela du tout. Prenez Garcia ou Grisi, vous avez des intentions différentes, des styles presque opposés, mais qui rendent, comme deux traductions en deux langues diverses, la pensée exacte du maestro. Je ne sais pas si je me fais comprendre.

      – C'est-à-dire que je passerais mes jours à vous entendre parler musique, docteur!

      – Eh! eh! fit le jeune médecin, j'ai mes malades. La médecine est presque aussi attachante que la musique.»

      Il se tourna vers moi et vit mes yeux ouverts.

      «Est-ce fini, nous deux!» me demanda-t-il avec une brusque gaieté.

      Ma cousine joignit les mains et s'écria:

      «Il est impayable, ce docteur Josaphat!»

      Je n'avais qu'un étonnement, c'était de ne pas voir autour de moi mon père et ma mère. A ce premier instant j'avais oublié mon voyage de Paris, et la vue de ma cousine occasionnait en moi un pénible travail intellectuel.

      «Est-ce que vous avez eu déjà de ces crises nerveuses, M. de Kervigné? me demanda le docteur. C'est très sérieux. Souffrez-vous?»

      Je voulus parler, mais je ne pus. Je fis signe que je n'éprouvais aucune douleur.

      «Vous l'avais-je dit, madame la vicomtesse? s'écria Josaphat. La cinquième paire! c'est très curieux. L'école Bouillaud vous le saignerait à blanc: ça peut réussir; le vieux Récamier l'amuserait avec des affusions: ce n'est pas mauvais: les gens de Hahnemann lui donneraient je ne sais quoi qui n'a pas le sens commun, mais qui opère des cures merveilleuses. Moi, je lui ai mis ma chaîne électrique autour du pied droit. Pourquoi? L'instinct qui s'appelle le génie quand il produit Guillaume Tell ou le Nozze… Il n'y a pas de système, madame, il y a des hommes. Le codex est un solfége. Le moindre fabricant de romances idiotes dispose de la pharmacie de Rossini ou de Mozart. Est-ce clair? Il ne s'agit que de savoir manipuler les gammes. Je ne saurai jamais si je suis un médecin ou un musicien. Qu'importe? Je vais entendre un quatuor de chambre chez Allard; c'est du Haydn. Je reviendrai ce soir, et notre jeune ami racontera ses impressions de voyage dans le pays cataleptique.»

      Il baisa la main de ma cousine qui le reconduisit jusqu'à l'escalier. En conscience, ce docteur Josaphat était un charmant garçon, et je pense qu'il sera devenu un prince de la science, s'il ne s'est pas fait compositeur d'opéras.

      Je savais maintenant où j'étais, la mémoire venait de renaître en moi tout d'un coup, tant la chaîne électrique autour des chevilles est un délicieux agent de guérison. Je la recommande vivement à toutes les personnes qui n'ont rien de mieux à faire. J'étais à Paris; cela ne m'étonnait plus; mes souvenirs s'arrêtaient seulement au début de ma maladie. J'ignorais d'où elle m'était venue et comment elle m'avait pris. Ma cousine rentra au moment où ma cervelle encore faible faisait effort pour reprendre complète possession d'elle-même.

      «Que s'est-il donc passé? lui demandai-je.

      – Bon, il a parlé, fit-elle étonnée, je vais rappeler le docteur.

      – Je n'ai pas besoin du docteur, petite maman, répliquai-je. Il y a comme un brouillard autour de mes idées, et je voudrais savoir…

      – Quel homme que ce docteur! s'écria-t-elle. Il est tellement au dessus de tout qu'il se moque de lui-même. Il m'a bien expliqué ton état, ah! supérieurement! mais il y a mêlé tant de musique que je ne m'y reconnais plus. Le trouves-tu joli garçon? Il ne veut pas croire que j'aie passé mes vingt-huit. Le plus drôle de corps qu'il y ait dans l'univers!

      – Mais que s'est-il donc passé? insistai-je.

      – Rien du tout, mon petit René. Nous avons été au théâtre et tu t'es trouvé mal d'une indigestion d'Annette Laïs.»

      Je répétai ce nom comme s'il n'eût rien éveillé en moi, et, par le fait, il produisit sur ma mémoire une impression si faible et si vague que j'eus besoin d'un travail mental pour rattacher ce nom à quelque chose ou à quelqu'un. Ma cousine m'observait du coin de l'œil. Avait-elle conçu un soupçon? Je ne sais. En tout cas, ma complète indifférence sembla la réjouir.

      «Maintenant, chevalier, reprit-elle en baissant la voix et d'un accent ému, faut-il vous dire au vrai ce qui s'est passé?

      – Je vous en prie!» m'écriai-je avec plus de vivacité, car j'étais las de ma chasse aux souvenirs.

      Elle prit mes deux mains dans les siennes et baissa les yeux.

      «Dois-je entamer ce chapitre-là? murmura-t-elle. Je ne suis pas encore bien vieille, mais mon esprit est enclin à l'observation et j'ai de l'expérience. Je gagerais que vous n'avez jamais aimé.

      – Jamais, répondis-je.

      – Et c'est ce qui m'a attirée vers vous chevalier, poursuivit-elle sans relever son regard. A Paris, les jeunes gens de votre âge ont perdu depuis longtemps déjà la virginité du cœur.»

      Je me mis à rougir, sans trop savoir pourquoi. C'était comme un remords, et pourtant, Dieu merci! je n'avais rien à me reprocher. Elle continua en glissant vers moi une œillade rapide.

      «Vous êtes beau, René, très beau. Vous l'a-t-on dit ainsi à demi voix et en évitant vos regards?

      – Jamais, répliquai-je encore.

      – Et quel effet cela produit-il sur vous?

      – Je crois que vous vous moquez un peu de moi, petite maman.»

      Elle sourit et fit de son mieux pour mettre quelque chose d'angélique dans son sourire. Puis elle prononça si bas que j'eus peine à l'entendre:

      «Il faudra que je vous fasse la cour et je ne m'en plains pas.»

      J'étais parfaitement bien, physiquement parlant, à cette heure. Mon intelligence seule restait frappée. J'avais les idées soudaines et confuses de l'enfance. Je renversai ma tête sur l'oreiller et j'éclatai de rire.

      Son regard perçant me sonda.

      «Est-ce que je me serais trompée? dit-elle. Seriez-vous un petit serpent, monsieur!»

      Ma gaieté tomba, et je ne répondis pas. Voici pourquoi ma gaieté s'en allait. Le son de cloche recommençait à battre dans ma pauvre cervelle, le refrain revenait, les farfadets bourdonnaient de nouveau à mes deux oreilles ce nom qui me donnait frayeur d'être fou: Annette Laïs! Annette Laïs!

      Et ce n'était qu'un nom, qu'un son; il n'y avait rien derrière, pas même une image, si fugitive qu'on la puisse rêver. Je secouai la tête comme un cheval agite sa crinière pour écarter les mouches. Il y eut de l'étonnement sur les traits de ma cousine, qui me demanda, tant ma comparaison était heureuse:

      «Quelle mouche te pique, René?»

      Cette fois, je mentis; je balbutiai les mots de fatigue et de migraine.

      «Quand on a la migraine, me dit-elle, on n'a garde de secouer ainsi la tête. C'est ton mal nerveux. Tu es un sujet très nerveux, le docteur l'a dit.»

      J'éprouvais une impatience extrême et tout à fait dépourvue de motifs apparents.

      «Que le diable emporte votre docteur! m'écriai-je d'une voix mâle, et comme j'aurais répondu, chez mon père, aux importunités de notre vieille Simonne: j'ai faim.

      – Peste! fit-elle. Tu as caché ton jeu, scélérat.

      Elle se leva et sonna. Je n'avais rien caché du tout, car j'étais déjà honteux de ma sortie. Je tombai comme un loup sur la viande froide qu'on m'apporta.

      «Pas trop vite! pas trop vite! me conseilla ma cousine: c'est un appétit nerveux, évidemment.»

      Comme je continuais de manger, elle ajouta:

      «Il faut que je sache au juste si vous êtes un mauvais sujet, René.»

      Au supposer que j'eusse été un mauvais sujet, j'aurais fait ma confession, car


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