Annette Laïs. Féval Paul

Annette Laïs - Féval Paul


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son profil perdu: c'était Laroche.

      Le brigand des montagnes haranguait sa troupe et l'on faisait des préparatifs pour pendre le jeune premier aux branches d'un arbre qui avait des feuilles de cucurbitacée. Le parterre m'inquiétait. Un des membres de la jeunesse dorée s'étant permis de rire reçut une pomme qui s'écrasa en cocarde sur son œil. On n'était pas là pour s'égayer.

      «Je parie, dit ma cousine, que Mlle Annette Laïs va sortir de terre pour délivrer ce grand benêt… Tiens, dans la baignoire, à droite, reconnais-tu ce respectable crâne?»

      Il appartenait en propre au président qui se montrait, en effet, mais si peu!

      Il y eut dans la salle un long murmure. Le jeune premier pendu poussa un cri, et les brigands de la montagne s'écartèrent épouvantés.

      Elle ne sortait pas de terre, mais c'était bien elle, car son nom éclata parmi l'enthousiasme des bravos: «Annette Laïs! Annette Laïs!»

      Laroche lui-même applaudissait de ses mains fort bien gantées, et le président eut un sourire.

      Elle ne sortait pas de terre. Je vois son entrée vaguement et comme on cherche la trace fugitive d'un rêve d'opium. Il me semble que la voix de l'orchestre devint plus douce qu'un soupir. Le décor se fondit, lumineux et confus dans des gammes d'arc-en-ciel; un nuage perlé passa; elle bondit, fleur ailée, au milieu d'un tourbillon de feuilles de roses…

      IX.

      TOUJOURS ANNETTE LAIS

      Qu'était, cependant, cette pièce? Annette Laïs avait au dos des ailes de papillon. Ce devait être un drame fantastique. Je n'en sais rien; je ne l'ai jamais su.

      Je l'ai revue vingt fois, cette pièce, ou plutôt j'ai revu vingt fois l'entrée d'Annette Laïs, voltigeant parmi les roses effeuillées. Mais je ne sais pas qui était ce jeune premier, ni ce que devenaient les brigands de la montagne. Là dedans, Annette devait être une fée; elle se nommait Farfalla. Au tomber du rideau, elle s'endormait sous le baiser des roses.

      J'avais devant les yeux un vaste éblouissement: voilà où mon souvenir est précis. Le misérable décor, agrandi tout à coup, perdait mon regard dans les profondeurs de sa perspective. Louis XIV n'aurait pas franchi ce Rhin! Les vieilles tours se dressaient, mélancoliques et menaçantes, au-dessus de la rampe déchirée, et des routes mystérieuses s'enfonçaient au loin dans la forêt.

      Annette était transparente comme une pensée. Je la suivais parmi les flots de gaze que le vent de sa course soulevait. Je sens avec fatigue que je ne puis vous la montrer telle que je la vis. Donnez des ailes à un sourire.

      Il y eut en moi une angoisse sourde; je cherchai mon équilibre sur le siége où j'étais assis. Puis mon cœur se serra cruellement, et j'eus les yeux pleins de larmes qui me blessaient la paupière. Ce fut tellement soudain et aussi tellement étrange que, dans ma raison, je n'attribuai rien de ce que j'éprouvais à la présence d'Annette. Je crus à une maladie foudroyante qui se déclarait; j'eus frayeur d'un accès de folie.

      J'étais malade et fou plus encore que je ne le craignais.

      La toile descendit du cintre lentement, et mon rêve se cacha derrière cette pourpre grossière, bordée d'impossibles franges d'or. La salle entière frémissait; je la sentais qui tremblait la fièvre.

      «Annette Laïs! Annette Laïs!» cria-t-on du parterre.

      Et un chœur tumultueux tomba du paradis, répétant:

      «Annette Laïs! Annette Laïs!»

      J'eus pudeur, comme si on eût froissé en moi brutalement la délicatesse même de mon cœur.

      «C'est là que nous allons bien la voir!» me dit la présidente.

      J'aurais voulu me cramponner au rideau pour l'empêcher de remonter.

      «Regarde bien! Veux-tu la jumelle?»

      Je pris la jumelle et je la mis au-devant de mes yeux sans remarquer que je tenais le gros bout. Je distinguai à perte de vue un petit ange parmi des fleurs. Et je souris, je m'en souviens bien, car le petit ange venait à nous, arrondissant ses bras nus et balançant une guirlande de roses.

      Avant de rencontrer leur président, chuchota près de moi ma cousine, ces papillons crottés marchent dans le ruisseau avec des souliers sans semelles.

      La salle croulait sous les applaudissements. Je n'eus pas la pensée d'applaudir.

      «A l'âge de M. de Kervigné, reprit Aurélie, voilà pourtant ce qu'il faut!»

      Je rougis et je regardai la baignoire où le profil du président s'était indiscrètement montré. La baignoire était vide.

      «Oh! fit ma cousine, cette fois sans amertume, il est au changement de costume. Pour la pauvre créature, c'est le quart d'heure de Rabelais.»

      Laroche était debout vers nous. La main d'Aurélie s'agita, mais Laroche ne broncha pas: c'était un maraud bien dressé. Il vous avait vraiment, là-bas, une tournure de jeune notaire.

      Je pensais au président. Ou plutôt pensais-je à quoi que ce soit? J'étais ivre.

      «Eh bien! me dit ma cousine, quand la jeunesse dorée fut partie pour boire de la bière et le peuple pour s'imbiber de coco, avais-tu idée d'une chose pareille?»

      – Avez-vous vu que le décor a changé?» balbutiai-je malgré moi.

      Elle me regarda.

      «Tu es tout pâle, murmura-t-elle. On étouffe, ici.»

      Son éventail agité au devant de mon front me fit du bien.

      «Elle est maigre comme un clou, reprit-elle.

      – Qui donc?

      –Cette Annette Laïs. Tu ne trouves pas?

      – Je ne l'ai pas vue.

      – Comment! il n'y avait personne à regarder.

      – Quel âge a-t-elle? demandai-je au hasard.

      – Est-ce qu'on peut savoir! C'est usé misérablement; ça boit.

      – Elle?» fis-je.

      Et, devant mes yeux, le papillon passa dans son nimbe de fleurs.

      «Le président ne déteste pas une petite pointe, me dit ma cousine avec un parfait sérieux.

      – Elle! répétai-je.

      – Mais tu dis que tu ne l'as pas vue.

      – C'est bien vrai, je ne l'ai pas vue.»

      Certes, je parlais vrai. Je ne connaissais pas les traits de son visage.

      «Elle n'a pas même la beauté du diable, poursuivit ma cousine. Je doute fort que le président dérange pour elle son marchand de la rue Saint Antoine. Sois tranquille, quand elle aura passé vingt-huit ans, comme moi, on ne verra pas vingt lorgnettes braquées sur sa loge. As-tu remarqué ces bambins qui me dévisageaient?

      – Non, répondis-je.

      – J'ai froid, répondis-je.

      – Tu es souffrant?

      – Oui. Il me semble.

      – Il te semble? Vas-tu prendre la maladie du pays comme ton valet de chambre à grand chapeau?»

      Ce fut la première idée qui entra clairement en moi, parce qu'elle me donna l'espoir d'expliquer mon étrange malaise. Je m'interrogeai, cherchant à exagérer mes regrets. J'aimais, en effet, sincèrement ceux que j'avais laissés là-bas, mais c'était une affection tranquille, et, dans cet ordre d'idées, je ne trouvai point ce qui me serrait le cœur.

      Ma cousine m'examinait:

      «Drôle de petit bonhomme! murmura-t-elle. Est-ce que tu es sujet à cela?

      «On grille. Après cela, l'eau de la Seine dérange quelquefois ceux qui arrivent. Allons-nous-en, je l'ai assez vue.»

      Nous sortîmes. Elle me conduisait par la main comme un enfant. Aussitôt que nous fûmes dans la voiture,


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