Annette Laïs. Féval Paul

Annette Laïs - Féval Paul


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il ajouta gravement:

      «Il s'en est retourné en Bretagne.»

      Il sourit d'un air calme et fier, et remit son porte-monnaie dans sa poche.

      A Paris, les prédicateurs sont de deux sortes: il y a les prédicateurs pour hommes et les prédicateurs pour dames. Les prédicateurs pour hommes sont généralement à Notre-Dame, dont les voûtes grandioses semblent faites pour répercuter la mâle parole des Félix ou des Ravignan. A Saint-Thomas d'Aquin, à Saint-Roch, à la Madeleine, les prédicateurs pour dames fleurissent. Leur tâche est assurément la plus facile: les dames ne demandent jamais mieux que de se convertir; j'en sais de bien jolies qui passent leur vie à cela.

      La petite nef de Saint-Thomas d'Aquin était pleine comme l'œuf quand nous arrivâmes. La présidente avait des places gardées que nous eûmes beaucoup de peine à gagner. Le missionnaire avait la vogue, et il s'agissait d'une œuvre à la mode; dans toute l'église, on ne voyait que fraîches toilettes: c'était comme un immense bouquet de fleurs.

      Quelques-unes de ces fleurs avaient bien un peu trop d'éclat, mais la physionomie générale indiquait un parfait recueillement et mon cœur battit, car il y avait là plus d'une tête à qui la prière faisait une auréole.

      La province peut être plus dévote que Paris; mais, contrairement à l'opinion commune, les églises de Paris sont plus pieuses que celles de la province. Je fus frappé du parfum de componction qui s'exhalait de cette foule brillante, et je me recueillis en moi-même pour prier. Une seul chose me gênait: toutes ces fleurs avaient des parfums; les sermons pour dames donnent mal à la tête comme un bouquet oublié dans une chambre fermée. A Vannes, les bons paysans déposent leurs sabots à la porte de la cathédrale; je voudrais, sous le porche de nos églises, une petite pharmacie où l'on déposât les odeurs de ces dames.

      En fait de parfumerie, la présidente, on le sait, valait beaucoup. Je l'avais à ma gauche; à ma droite était une vieille dame, qui était un flacon débouché d'eau de Cologne. Devant moi s'agenouillait une famille adonnée au patchouli; par derrière, le vent de la porte m'envoyait des bouffées de mousseline. Toutes ces bonnes choses mélangées produisaient un si redoutable ragoût, que mon cœur était sur mes lèvres. N'est-ce pas dans l'église surtout qu'on devrait laisser un peu de place pour le pauvre bon air du ciel? J'admets l'austère encens; mais il y a ce me semble, une sorte d'impiété à vicier l'atmosphère où le saint sacrement rayonne, et à infecter le tabernacle de ces douceâtres étouffements qui font redouter aux passants le seuil de la Société hygiénique. Il est une différence entre la fleur animée qui, Dieu merci, ne porte aucune odeur, et le vivant sachet qui empoisonne. Je livre l'humilité de ces considérations à qui de droit.

      Le prédicateur monta les degrés de la chaire. Il y eut une discrète rumeur, suivie d'un profond silence. C'était un homme jeune encore, aux cheveux légers et rares; sa voix était sonore, admirablement équilibrée; elle servait comme il faut l'intelligente pâleur de son visage. Son discours fut éloquent, sans doute; car il y eut beaucoup de larmes; cependant il ne me toucha point comme les sermons de mon vieux curé de Vannes. C'est qu'il était pour dames.

      A la fin du premier point, ma cousine se pencha vers moi, les yeux humides.

      «Comment le trouves-tu? me demanda-t-elle.

      – Fort bien, répondis-je, pendant que les toux comprimées se dédommageaient autour de moi.

      – Comment, fort bien! il est admirable, tout uniment.»

      Elle ajouta avec transition:

      «Sais-tu où nous allons, ce soir?

      – A l'Opéra? dis-je tout joyeux.

      – Non pas! j'ai une envie folle de voir cette créature, Annette Laïs. J'ai fait prendre une loge dans ce trou de théâtre Beaumarchais. Ne me donne pas de distractions.»

      J'étais guéri d'Annette Laïs depuis la scène du jardin. J'éprouvai un sentiment de véritable impatience, d'autant plus que je regrettais l'Opéra. Le bourdonnement d'Annette Laïs recommença aussitôt, rendu plus importun par mon dépit même. Pendant toute la seconde partie du sermon, je m'occupai de chasser ce fastidieux refrain, ce qui était la meilleure manière de le rendre intolérable. Je parvins aisément à ce dernier résultat et je donnai de bon cœur au diable, malgré la sainteté du lieu, la protégée de mon cousin le président. Petite maman dormit un peu; mais, en s'éveillant, elle soupira.

      «Quel talent! Quand je pense qu'il y a des gens pour aller entendre celui de Saint-Sulpice!»

      Je ne raille ici que petite maman, car il y avait autour de moi un recueillement sincère, malgré l'odeur. Le sermon fut un succès et je vis des bracelets dans la bourse du quêteur. Petite maman avait des bracelets à effet, mais pas chers, tout exprès pour les quêtes.

      «Il me semble que vous vous êtes assoupi, chevalier, me dit-elle comme nous remontions en voiture. Il faut vous tenir. A l'hôtel, Roblot, et grand train! j'ai à m'habiller. Quel talent! et quel organe! Comme son accent lui va bien! Aimes-tu cela, toi? Moi, j'adore le parler de Bordeaux, quand il n'est pas trop ridicule. Eh bien, je vais te dire: la comtesse va à Saint-Sulpice écouter un dominicain. Pourquoi? Le costume pousse, car je ne voudrais pas soupçonner un autre motif. Mais, va, il y a des personnes qui entendent drôlement la religion.»

      Je partageais en ce moment l'opinion de ma cousine.

      «Toi, reprit-elle, tu te tiens assez convenablement. Les hommes prétendent que l'abbé manque de profondeur, je sais cela, mais je suis fixée sur la profondeur des hommes. Le président est un puits de Grenelle. As-tu remarqué la demoiselle, à gauche, en noir? Pas la première, celle qui a ce nez? Quarante mille livres de rentes, en bien venu, et des tas d'espérances. Personne ne meurt dans la rue Saint-Dominique sans qu'elle hérite un peu. Bien élevée, des talents, et ces nez se placent, le soir, aux lumières. Mais tu es encore trop jeune pour tenter cette affaire-là. Tout auprès d'elle, la dame au chapeau de paille avec des fleurs dessus et dessous, comme pour faire les tartes dans les fours de campagne, l'as-tu vue? Non! Tu ne sais donc pas regarder? Il faut apprendre. Je t'aurais dit son histoire, c'est à donner la chair de poule; mais, moi, je suis comme l'Evangile: à tout péché miséricorde… excepté pour les hypocrites! Tiens, j'ai toujours envie d'écrire quelque chose sur le dos de cette longue Mme de Mareuil, qui est faite comme une cigogne et qui regarde le ciel en coulisse. Ce que c'est que l'habitude! Ces messieurs ne sont pourtant pas là-haut! Voyons, chevalier, ne médisons pas! Parle-moi de ta famille. Je parie que ta sœur t'aura donné commission de lui décrire un peu mes toilettes?

      Je ne pus m'empêcher de sourire et je répondis:

      «Vous êtes une fée, ma cousine.

      – Pas mal, René? vous avez bien dit cela. Prenez note de ma toilette, si vous voulez, car je vais en changer. Il faut être simple, quand on fait une escapade, et je vais tout uniment me déguiser en petite bourgeoise du Marais. Est-ce vrai que le Breton bretonnant est parti? J'aurais aimé le montrer: il avait une tête superbe, pour sûr et pour vrai. Allez m'attendre au fumoir. Fumez-vous? Il faut apprendre à fumer. Le monde marche. Tout ce qui fait crier les dames est bon. Souvenez-vous que vous marquez un point chaque fois qu'on dit: «Fi donc!»

      Nous étions sous le vestibule. Elle s'éloigna, moins légère qu'une sylphide. Le spécimen d'entretien qui précède est, je puis l'affirmer, d'une exactitude rigoureuse. J'admire souvent combien sont sensibles et claires les premières pages de nos souvenirs. Dès que je le veux, je revois ma cousine la présidente dans ses moindres détails, et, certes, ce n'était pas une physionomie à la douzaine. Il y avait en elle un mélange curieux de l'élément breton et du condiment parisien. Ce qui pourra étonner, c'est que son élégance était bretonne et ses vulgarités parisiennes. Elle était de race, on le voyait pleinement; mais le niveau de l'inondation bourgeoise monte sans cesse; elle n'avait pas la taille qu'il faut pour tenir la tête beaucoup au-dessus du courant. Elle fréquentait un monde mixte auquel des peccadilles anciennes et modernes la tenaient attachée. Son mari était de la cour; sous Louis-Philippe, cela prouvait peu. Quelles que fussent ses raisons, elle n'allait ni aux Tuileries ni au pur faubourg Saint-Germain, ce qui lui donnait facilité pour médire de ceci et de cela.


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