Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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      Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles / et la Cour de Madame Élisabeth

      AVANT-PROPOS

      Le parfum qui s'exhale de ces effluves du passé n'est pas cet unique parfum de volupté qu'on a coutume de respirer dans tout ce qui émane du XVIIIe siècle, le siècle des grâces et des faciles complaisances. Ce n'est pas à nous, qui avons fait revivre les amours du plus voluptueux des monarques, de reprocher aux écrivains même les plus graves d'avoir, pour plus exactement peindre une époque, recherché celles d'entre les femmes de la société qui, par leurs aventures, s'offraient le mieux en mesure de retenir l'attention. Plus que les dames de haute vertu les célébrités amoureuses sollicitent la curiosité de la plupart, et c'est vers celles qui dispensèrent généreusement le plaisir ou inspirèrent passions ou caprices que tendent les efforts de ceux qui sont en mal d'histoire anecdotique.

      Le public, surtout certain public d'élite féminin, – celui qui prend le temps de lire, mais recherche plutôt un délassement teinté de psychologie souriante, voire de physiologie instructive et amusante à la fois, que de trop pédantes leçons de diplomatie ou de politique, – le public très fin, très quintessencié, très prompt à établir des comparaisons, des femmes qui comprennent ou qui devinent et qui concluent, encourage volontiers ces «analystes» des cœurs réduits parfois au rôle d'anecdotiers d'amour.

      N'est-ce pas la vie qui passe dans ces ailes bruissantes de femmes-papillons? Dussent-elles s'en brûler, il leur faut la lumière qui, encore une fois, dans un suprême battement, les fait scintiller devant la postérité. Si une du Barry ou une Parabère scandalise ces lectrices averties, une Choiseul-Stainville, une Custine, une Flahaut, voire une Tallien ou une Aimée de Coigny intéressent ou captivent, rendent indulgentes pour elles-mêmes celles qui, dans les amours passées, aiment à trouver la représentation des amours présentes ou futures.

      Embellies par le recul des années, ces figures leur apparaissent grandies ou rendues vaporeuses – suivant que le metteur en scène a imprimé plus de relief au caractère ou laissé la première place aux élans du cœur, – auréolées jusque par-delà la mort de cette couronne de volupté poétique qui, «depuis qu'il est des hommes… et qui aiment» constitue le moins indiscutable des brevets d'immortalité.

      A côté de celles qui aimèrent d'amour ou aimèrent simplement le plaisir1, on citerait celles qu'un seul sentiment purifia, et l'on pense aussitôt à une Pauline de Beaumont dont la mort fit verser de vraies larmes à Chateaubriand, à une Sabran attendant patiemment que le chevalier de Boufflers pût l'épouser, à une Polastron usant de son influence de mourante sur le comte d'Artois pour obtenir sa conversion. N'en est-il pas quelques autres parmi celles dont on n'a pas pour coutume de parler, si séduisantes qu'elles aient été, et, cela parce que, «à l'austère devoir pieusement fidèles», elles y trouvèrent unique et suprême volupté? Il semble qu'Angélique de Mackau, marquise de Bombelles, l'amie dévouée et aimée de Madame Élisabeth, dont il nous a été permis, grâce à un journal intime, de dessiner la vie, soit une de ces femmes d'âme élevée dignes de solliciter l'attention.

      Rencontrer au sein de la société mourante du XVIIIe siècle un ménage modèle, admirable par son amoureuse et amicale fidélité et, en même temps, intéressant non seulement par lui-même mais par ses alentours, par les milieux où il lui a été donné de se mouvoir; grâce à des fragments d'autobiographie et à une correspondance nombreuse – le mari, diplomate, étant souvent absent du nid – prendre ce couple avant les justes noces, le voir évoluer au milieu de la Cour de Marie-Antoinette, l'étudier psychologiquement durant les années heureuses, pouvoir plus tard le suivre aux heures de lutte, aux heures d'angoisse, voilà le régal que nous offraient les dossiers inexplorés des Bombelles.

      Avec le fonds Dupleix-Valori qui a servi à l'ouvrage de M. Tibulle Hamon, Dupleix et la perte des Indes, le fonds Bombelles est le plus important des archives de Seine-et-Oise si riches en correspondances et papiers d'émigrés2. C'est sans doute à cette importance considérable (ce fonds ne contient pas moins de 230 dossiers très fournis), que nous avons dû de le trouver à peu près inexploré. Exception doit être faite pour M. A. de Beauchesne qui, dans sa Vie de Madame Élisabeth, a publié quelques lettres de Mme de Bombelles à son mari pendant l'année 1781; pour M. Maxime de La Rocheterie qui a «visé» çà et là des impressions tirées de cette même correspondance pour son Histoire de Marie-Antoinette3. Ces citations peu nombreuses et partielles ne déflorent pas l'ensemble d'une correspondance qui, avec d'autres papiers inédits, fournit le canevas principal du récit que nous offrons aujourd'hui au public.

      Quand, il y a plusieurs années déjà – habitant alors Versailles, dans l'atmosphère même où nos héros et leur entourage avaient vécu, aimé et commencé à souffrir – nous faisions transcrire sous nos yeux les parties principales de ces innombrables dossiers, le savant archiviste du Département – très épris d'histoire lui-même, quand les paperasses administratives lui en laissent le temps, – M. Émile Coüard, a complaisamment dirigé nos recherches dans ce labyrinthe cartonné. Son obligeante expérience a souvent épargné notre peine: qu'il reçoive ici l'expression de notre amicale reconnaissance.

      Versailles, 1902. – Paris, 1905.

      CHAPITRE PREMIER

      Les Bombelles dans l'histoire. – Le marquis tuteur de ses sœurs. – Henriette-Victoire, comtesse de Reichenberg, épouse morganatique du landgrave de Hesse-Rheinfels. – M. de Bombelles à Ratisbonne. – Les instructions du comte de Vergennes. – Mlle de Schwartzenau. – Jeanne-Renée de Bombelles projette de marier son frère à Mlle de Mackau. – L'éducation des jeunes filles et les mariages dans la noblesse. – La sous-gouvernante des Enfants de France et la jeunesse de Madame Élisabeth. – Intimité de la princesse avec Angélique. – Lettres de Mlle de Mackau au marquis de Bombelles. – L'empereur Joseph II à Versailles. – Eléonore d'Olbreuse et ses descendants. – Mariage d'Angélique.

      Aucun des écrivains ayant eu à retracer la vie de Madame Élisabeth n'a négligé de prononcer le nom de la marquise de Bombelles, née Angélique de Mackau. On sait qu'avec la marquise de Raigecourt, née Causans, et la vicomtesse des Monstiers Mérinville, née La Briffe, elle fut l'amie de cœur de la sœur de Louis XVI, et les nombreuses lettres si affectueusement incorrectes que lui a adressées Madame Élisabeth ont sauvé son nom de l'oubli4. Par malheur les renseignements que nous ont transmis Ferrand dans son Éloge de Madame Élisabeth (1795), Feuillet de Conches dans son Introduction aux Lettres de Madame Élisabeth, et l'éditeur des Mémoires de la baronne d'Oberkirch sont erronés sur bien des points.

      Quant au marquis de Bombelles, hormis dans les livres documentaires sur l'émigration, où d'ailleurs on le confond souvent avec un de ses frères, il n'est guère parlé de lui5. Histoire générale et mémoires ont l'air de l'ignorer. Il est donc nécessaire d'expliquer en peu de mots ce qu'étaient sa famille et celle de sa femme.

      La famille de Bombelles fixée au XVIIIe siècle en Alsace, dans les fiefs de Worck, d'Achenheim et de Reishoffen, descendait de Salmon de Bombelles, docteur en médecine, natif de Senes au comté d'Asti, qui, attaché au service du duc d'Orléans (Louis XII), reçut des lettres de naturalité du roi Charles VIII6. Il est retrouvé trace de cette maison plus ancienne qu'illustre, à la cour des ducs de Lorraine; elle est couchée sur les listes de pension pour officiers et loyaux serviteurs de ces princes; après l'annexion à la France des duchés de Lorraine et de Bar, il est question de démêlés judiciaires entre le comte de Bombelles, lieutenant général et l'administration des duchés au sujet du fief de Reishoffen appartenant naguère au grand-duc de Toscane et échangé contre d'autres terres.

      Ce Henri-François de Bombelles, lieutenant général, gouverneur de Bitche, commandant de la frontière de la Lorraine Allemande et de la Sarre, est le père de Marc-Henri. Officier de valeur et de services éclatants7 (les lettres du maréchal de Belle-Isle, du prince de Nassau, du maréchal du Muy, de Paris-Duverney, conservées aux Archives de Seine-et-Oise, témoignent


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<p>1</p>

De certaines femmes de cette époque on a pu dire: «Elles n'ont connu ni les grandes passions ni les grands repentirs; les philosophes du XVIIIe siècle ne leur avaient laissé que la moins consolante des religions: celle du plaisir.» (A. de Pontmartin, Causeries du Lundi.)

<p>2</p>

Ignorés d'ailleurs de la plupart des intéressés.

<p>3</p>

M. de La Rocheterie a également publié la Correspondance du marquis et de la marquise de Raigecourt avec le marquis et la marquise de Bombelles pendant l'émigration. Société d'histoire contemporaine, 1892. Tiré à petit nombre et devenu rarissime.

<p>4</p>

Nous l'avons dit plus haut: grâce à M. M. de la Rocheterie, on connaissait la correspondance pendant l'émigration des Raigecourt avec la marquise de Bombelles.

<p>5</p>

Sauf dans Feuillet de Conches (Louis XVI, Marie-Antoinette, etc.), pour la période qui se rapporte à sa mission en Russie, et récemment dans la Correspondance du comte de Vaudreuil avec le comte d'Artois (2 volumes publiés par M. Léonce Pingaud).

<p>6</p>

Archives de Seine-et-Oise, E. 231.

<p>7</p>

A Fontenoy, à Raucoux, il se distingua particulièrement; comme gouverneur de la Lorraine allemande qu'il a fortifiée et rendue praticable par des chemins militaires, il a droit également aux éloges, comme le témoigne l'importante correspondance militaire qui lui est adressée.