Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
dans une terre familiale. Puis la jeune femme accourra à Paris, se montrera dans quelques salons, recueillera sourires et compliments, et couverte de bijoux, en grand habit, elle paraîtra le vendredi à l'Opéra dans la première loge du côté de la Reine. Voilà les mariages dans la noblesse au XVIIIe siècle.
Si les buts à atteindre sont souvent les mêmes de nos jours pour de très jeunes épousées, il faut confesser que l'état de la jeune fille actuelle est plus enviable. N'a-t-elle pas le droit d'avoir place au banquet des plaisirs, de jouer son rôle dans le mouvement mondain? jusqu'à un certain point ne lui est-il pas possible d'étudier ceux parmi lesquels elle choisira ou laissera choisir son mari? Du moins ne la force-t-on pas comme jadis à prononcer des vœux religieux afin que par le sacrifice des filles et des cadets traités en branches parasites s'épanouisse en pleine sève le principal rejeton.
De là ces religieuses, ces abbés sacrifiés «par ordre», et l'ancien évêque d'Autun pourra écrire: «Dans les grandes maisons, c'était la famille que l'on aimait bien plus que les individus et surtout que les jeunes individus que l'on ne connaissait pas encore». Contre ces abus de puissance paternelle qui réglait cruellement le sort de quelques-uns en faveur du seul qui dût en profiter, il avait été protesté dès le Concile de Trente, mais ces menaces n'avaient produit aucun effet; après comme avant, les parents continuèrent à régler eux-mêmes et suivant leur fantaisie le sort de leurs fils ou de leurs filles. Si l'on ne peut nier que le droit d'aînesse, tel qu'il a pu se conserver en Angleterre, tel que la constitution des majorats pouvait, dans une certaine mesure, le remplacer chez nous, devait et doit encore s'offrir comme l'unique moyen de garder intacts non seulement les terres patrimoniales, mais le rang auquel ont droit certains noms illustrés au service de l'État, on ne saurait s'indigner assez haut contre cette habitude mise en vigueur aux XVIIe et XVIIIe siècles de froquer tout ce qui était jugé inutile. Parcourez Saint-Simon: la liste est longue des grandes familles qui procédaient ainsi. C'est le premier duc de la Rochefoucauld qui fait prêtres le deuxième et le quatrième de ses fils, force cinq filles sur cinq à se faire religieuse. Le second duc eut trois chevaliers de Malte et un prêtre parmi ses cinq fils. Les Rohan, les Matignon, les Mailly usaient des mêmes procédés envers les cadets de leurs fils et filles. Forcée aussi Mlle de Mortemart qui, «faisant de nécessité vertu», devint l'irréprochable abbesse de Fontevrault. Forcée Mlle de Tencin… dont les aventures sont connues. Forcés tous ces petits abbés de cour, écrivains licencieux, de Chaulieu à Grécourt, de La Châtre à Voisenon qui se vengèrent par le scandale de leurs livres et de leurs mœurs de la violence qu'ils avaient dû subir. Quand Fléchier arrive en Auvergne, avec les juges des Grands Jours, il est informé qu'un certain nombre de religieuses se sont évadées de leur couvent, et que d'autres s'adressent aux représentants du roi, pour être rendues à la liberté; et l'évêque de constater: «Je ne m'en étonnai pas. On les contraint pour des intérêts domestiques, on leur ôte par des menaces la liberté de refuser. Les mères les sacrifient avec tant d'autorité qu'elles sont contraintes de souffrir sans se plaindre.»
Rapprochons-nous de l'époque qui nous occupe. Il y a toujours des chevaliers de Malte pris par ordre parmi les cadets de vieille souche et plus ou moins bien lotis, des prêtres forcés, des abbesses nées parmi les plus grandes maisons… Nécessité familiale devant laquelle on s'incline. Il est un clan où le chapeau de cardinal se passe d'oncle en neveu, les Rohan sont un instant plusieurs à porter la pourpre et on les distingue par le nom de Guéménée et de Soubise, tandis que le senior garde le nom de Rohan. Plût au Ciel que la source de ces cardinaux se fût tarie, avant l'avènement du trop célèbre Louis, grand-aumônier de France… l'homme du Collier!..
Il y a toujours de tout jeunes gens qu'on marie sans les consulter comme on avait marié le prince Charles-Joseph de Ligne et le duc de Fronsac. Il y a toujours des jeunes filles élevées dans des couvents très mondains où l'on apprend les révérences et l'art de se comporter à la Cour, il y a toujours aussi Saint-Cyr où la règle est plus sévère, l'éducation plus sérieuse, mais là ce n'est plus un couvent uniquement de luxe; n'y entrent et sur places libres, que les jeunes filles nobles et de famille militaire qu'a désignées la faveur du Roi… Celles-là auront une dot minuscule et un trousseau pour faciliter leur établissement, et c'est pourquoi la noblesse pauvre recherche tant pour ses filles l'institution de Saint-Louis. Le temps n'est plus où Racine faisait chanter les chœurs d'Esther, devant la Cour, par les protégées de Mme de Maintenon: les dames de Saint-Cyr sont des religieuses augustines et les exhibitions mondaines ont cessé.
Angélique de Mackau, de famille noble et sans fortune, se trouvait bien dans les conditions voulues pour entrer dans cette maison recherchée. Il s'en fallut de peu qu'elle n'y complétât son éducation… Mais la jeune princesse dont elle était devenue la compagne la réclamait pour elle-même et, devant sollicitation si impérieuse, toutes considérations s'étaient tues.
Comment s'était conclu cet arrangement, Mme de Bombelles l'a conté elle-même en 1795 à M. Ferrand, tout en expliquant de quelle façon, quelques années auparavant, sa mère était devenue sous-gouvernante de cette enfant volontaire et indisciplinée, mais d'une grâce et d'une sensibilité charmante qui était Madame Élisabeth.
La première éducation de la petite princesse ne s'était pas faite sans difficulté. Orpheline à trois ans22, elle n'obéissait à personne. Les témoignages contemporains la montrent à l'âge de six ans comme une petite sauvage, avec un air déterminé et doux en même temps, avec je ne sais quoi d'entier et de rebelle qui ne se laissait pas aisément apprivoiser. Elle offrait des aspérités, des disparates bizarres de caractère; elle passait volontiers d'un extrême à l'autre: tantôt sensible et charmante, tantôt fière et hautaine. Ses inégalités rappelaient le duc de Bourgogne23.
La comtesse de Marsan24, gouvernante des Enfants de France, eut fort à faire pour mater cette nature indépendante. A l'encontre de Madame Clotilde, sa sœur, âgée de cinq ans, qui s'offrait très souple, désireuse d'apprendre et de se plier à ce qui lui était commandé, Madame Élisabeth se montrait entêtée dans ses caprices, opiniâtre dans ses révoltes, orgueilleuse et hautaine avec ceux qui la servaient; dans l'exagération de sa morgue princière elle ne souffrait pas non seulement qu'on lui tint tête, mais même qu'on pût tarder à exécuter ses désirs. A ses débutantes études, elle n'apportait ni grâce ni bon vouloir et, malgré l'exemple de sa sœur, toujours mis devant ses yeux, – à sa grande jalousie, d'ailleurs, – elle proclamait qu'elle n'avait besoin ni de se fatiguer, ni d'apprendre, «puisqu'il y avait toujours près des princes, des hommes qui étaient chargés de penser pour eux».
Une circonstance fortuite devait amener un premier changement dans l'humeur fantasque de l'enfant. Elle était tombée malade. Clotilde demanda avec instance à la soigner, obtint que son lit fût apporté dans la chambre de sa sœur. S'il ne lui fut pas permis de la veiller la nuit, du moins ne la quitta-t-elle pas dans le jour, et de cette intimité de chaque instant, de ces soins apportés avec touchante affection devaient naître de probants résultats. Clotilde donna d'excellents conseils à sa sœur et, de plus, se fit sa vraie première institutrice; bientôt Élisabeth, qui s'y était refusée jusqu'alors, consentit à épeler ses mots; au bout de peu de temps, elle prenait goût à la lecture.
La marquise de la Ferté-Imbault, fille de la célèbre Mme Geoffrin et femme philosophe des plus instruites, avait été priée par Mme de Marsan de l'aider dans sa tâche, en attendant que fût nommée une sous-gouvernante capable de diriger effectivement les jeunes princesses25. Mme de la Ferté-Imbault se mit à la besogne, choisit dans son vaste répertoire philosophique les morceaux les plus délicats et qu'elle jugeait les mieux propres à influencer de jeunes esprits. On demeure étonné des auteurs élus dans ce but. Nourrie surtout dans l'antiquité, la marquise fit apprécier à ses élèves des fragments d'Aristote, elle ne leur épargna ni Zoroastre, ni Confucius, elle fit surtout pour elles des «arrangements» inspirés des Hommes illustres de Plutarque. Le livre où Mme Roland raconte en ses Mémoires avoir
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Elisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, née le 3 mai 1764, baptisée le même jour en présence de la famille royale, par l'archevêque de Reims, et tenue sur les fonts par le duc de Berry, son frère aîné, le futur Louis XVI, au nom de l'Infant Don Philippe, et par Madame Adélaïde, sa tante, au nom de la reine d'Espagne douairière. Le dauphin mourut en 1765; la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, deux ans après.
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Comte Ferrand,
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Marie-Louise Geneviève de Rohan-Soubise, veuve de Jean-Baptiste Charles, comte de Marsan, prince de Lorraine, mort à vingt-trois ans sans enfants, en 1743. La comtesse de Marsan, très «Rohan» et très «Lorraine», portait au plus haut degré l'orgueil des maisons qu'elle représentait. Elle embrassa les prétentions des Rohan de passer avant les ducs et pairs, comme descendants des rois de Bretagne et des rois de Navarre. Ils réclamèrent le titre d'Altesse quand Elisabeth Godfried, de Rohan Soubise, épousa le prince de Condé (Voir les lettres d'elle publiées dans
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Sur Mme de la Ferté-Imbault, consulter le