Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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et, s'en tenant à la lettre de ses instructions, il mériterait les éloges du Ministère français; il n'en devait pas être de même du Cabinet autrichien qui, ne trouvant pas en lui un serviteur aveugle de l'Empereur, se plaindra à Paris; de là une série de griefs accumulés sur sa tête et dont la reine Marie-Antoinette lui tiendra bien longtemps rigueur, quand plus tard il sera question de donner au diplomate un avancement mérité.

      Le marquis s'était créé des intimités dans quelques familles; très attiré chez Mme de Schwartzenau, femme du ministre de Prusse, il s'était cru épris de la fille de la maison et avait songé à demander sa main. Certaines hésitations de dernière heure, peut-être aussi des obstacles de fortune ou de caractère que des lettres postérieures nous font deviner l'avaient fait renoncer à son projet. La jeune fille, plus désireuse que lui, sans doute, de contracter cette union, s'était montrée mortifiée de l'abandon du marquis, et la rupture n'alla pas sans récriminations et sans aigreur. Débarrassé d'un poids qui l'étouffait, M. de Bombelles n'eut plus qu'une idée: se marier en France. Il était âgé de trente-trois ans, muni d'un poste diplomatique important, il n'avait plus à se préoccuper que du sort de sa jeune sœur qui alors vivait avec lui à Ratisbonne…

      Ce fut justement Jeanne Renée qui persuada à son frère que, s'il voulait épouser Mlle de Mackau, fille d'une des sous-gouvernantes des Enfants de France, il n'avait qu'à formuler une demande. L'année précédente, le marquis tombé malade à Versailles s'était vu soigner comme un fils par la baronne de Mackau avec laquelle, depuis toujours, il avait entretenu les liens de la plus étroite intimité. Une jeune fille rieuse et raisonnable à la fois, de «caractère enchanteur» et d'éducation parfaite, cette Angélique, que depuis son enfance il suivait pas à pas, avait charmé la convalescence du diplomate; de longues causeries sous les ombrages des parcs appartenant à la princesse de Guéménée et à la comtesse de Marsan16 devaient laisser dans l'esprit de l'un et de l'autre de durables impressions… Ils ne le savaient pas peut-être jusqu'au jour où la correspondance de Mlle de Bombelles avec la baronne de Mackau vint raviver de charmants souvenirs, faire entrevoir la possibilité d'une union entre deux cœurs qui avaient déjà cheminé dans les sentiers de l'amitié.

      De part et d'autre, il était écrit qu'on s'accorderait vite. Mme de Mackau était sans fortune, dans le marquis de Bombelles, diplomate d'avenir, elle trouvait un bon parti pour sa fille. Loin d'élever des objections contre la différence d'âge, elle encouragea sa fille, à peine âgée de seize ans, à répondre aux sollicitations dont son amie, Mlle de Bombelles, se faisait l'interprète. De son côté, Marc-Henri n'était que peu en état par lui-même de donner une brillante situation à celle qui deviendrait sa femme; mais il escomptait volontiers, outre les espérances de carrière, la protection destinée à devenir efficace de la jeune sœur du Roi.

      Si jeune qu'elle fût, en effet, Mlle de Mackau jouait un petit rôle dans la cour intime des Enfants de France. Sa mère, femme fort capable, s'était appliquée à lui donner une instruction sérieuse; la vie modeste qu'elle et ses enfants menaient à Strasbourg n'avait pu que fortifier les excellentes qualités d'Angélique. La jeune fille n'avait pas connu les dangers d'une existence trop mondaine soit dans l'intérieur familial, soit dans les couvents à la mode, lesquels préparaient si bien à la vie de cour et si mal à la vie conjugale.

      A cette époque, la femme appartenant à la société se tient dans le monde comme sur un théâtre. Elle sent sur elle les regards du public, elle apprend un rôle très difficile à porter. Aussi l'apprentissage commence-t-il de bonne heure. La vie de famille d'alors peut nous paraître étrange, tant elle est différente de celle que mènent la plupart des jeunes filles d'aujourd'hui.

      On a formé l'enfant dès le berceau aux belles manières. Elle s'est habituée à se promener d'un air grave; on juge de ce que peuvent être ses jeux de prime jeunesse en corps de baleine et en paniers; sauter et courir voilà de fort sottes occupations pour une fille noble destinée à tenir un rang dans la société, surtout à la Cour, but de toutes les aspirations. Elle voit fort peu sa mère, tant les multiples occupations mondaines, le théâtre, la Cour, les petits salons où l'on cause, où l'on joue, où l'on soupe, où l'on médit, prennent son temps, accaparent exclusivement son esprit. Passer des heures avec l'enfant dont l'intelligence s'éveille peu à peu, jouer avec elle en un charmant abandon, livrer les profondeurs naïves de sa tendresse maternelle, se montrer petite et simple pour mieux insuffler son amour, se faire aimer à force d'abdication du moi, à force d'oubli des préoccupations et des soucis extérieurs, reprendre peu à peu et savoir garder la place qu'ont occupée les «remplaçantes», voilà ce que tant de femmes – appartenant même à la société la plus absorbée par les devoirs mondains, la plus en proie aux suggestions frivoles – savent quotidiennement faire aujourd'hui. C'était autrefois une fort rare exception. Quelle intimité peut exister entre une mère qui à peine quelques minutes par jour s'informe de la santé, de la conduite et des progrès de sa fille, et une enfant qui, sitôt le devoir solennel accompli, remonte dans les combles de l'hôtel avec sa gouvernante? Aucune. Au respect filial, se mêle une bonne dose de crainte et, dans l'amour, il est comme une hésitation, un désir d'obéir plus qu'un besoin de répondre à un sentiment naturel. Les parents n'ont pas plus que ceux d'aujourd'hui au fond du cœur une grande dureté, mais il va de leur dignité de garder cette hauteur qui écarte les familiarités, met un frein aux attendrissements, conserve les distances.

      Cette première vie de famille un peu sommaire ne suffit pas pour l'éducation d'une fille. La mode n'est pas venue encore des institutrices à demeure, mais il est de grandes maisons de tenue religieuse17 et d'allure mondaine à la fois où se retirent des femmes de tout âge, où l'on se dispute ces enfants de la noblesse suivant leur rang et leur fortune: Fontevrault, Panthémont18, rue de Grenelle, les Dames de Sainte-Marie de la rue Saint-Jacques, Saint-Louis de Saint-Cyr pour un noyau restreint, portes ouvertes à deux battants sur le monde dont les bruits, les nouvelles, les caquets arrivaient sans retard. A ces veuves, prises d'accès de dévotion passagère, à ces femmes en instances de séparation judiciaire, à celles qui fuyaient la société trop bruyante par raison ou par tristesse ou simplement parce que la petite vérole les avait maltraitées, il fallait ces distractions, ces effluves de la Cour et de la Ville… Les jeunes filles élevées dans un bâtiment séparé prenaient contact, aux longues heures de récréation, avec celles qui peuplaient les parloirs, elles s'imprégnaient de l'air du siècle, cependant qu'on leur enseignait le chant, le dessin et la danse, tous les talents de la bonne compagnie et surtout l'art de plaire19.

      Elle sait se tenir, marcher, faire sa partie dans un menuet; elle sait causer de mille riens, baragouiner l'anglais ou l'italien, se moquer et critiquer; elle a appris la généalogie de sa famille et un peu celle des Bourbons; elle a cet esprit naturel qui est instinctif aux castes qui, ne prenant pas le temps d'approfondir les sujets et n'ayant pas à se préoccuper des difficultés de l'existence, cueillent la fleur au vol… Elle ne sait rien de la vie et de ses devoirs, rien des plaies sociales qui, sans qu'elle s'en doute, l'entourent et qu'elle peut être appelée à secourir… Elle n'a qu'un but, qu'un désir, que son éducation particulière a fait croître, surchauffé au point d'en faire une obsession: se marier très jeune, suivant les convenances de rang et de fortune. Les parents arrangent tout d'avance: les futurs conjoints se voient une ou deux fois, le mariage est décidé avant qu'ils n'aient le temps de se connaître. Parfois elle a treize ou quatorze ans, lui seize ou dix-sept ans20; dans ce cas, le soir des noces les deux enfants sont séparés, le mari pour faire son apprentissage aux armées21, elle pour rentrer pour deux ou trois ans dans son couvent ou dans un autre.

      On l'appelle madame, elle a le droit de recevoir quelques visites, elle continue à se perfectionner dans les arts d'agrément, les livres sont presque complètement fermés; la petite mariée ne songe qu'au jour où il lui sera permis de paraître sur la première scène du monde, à être présentée à la Cour et à se mêler à la société brillante. Elle envisage la nouvelle vie


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La princesse de Guéménée, née Rohan-Soubise, était propriétaire de ce domaine de Montreuil, qui deviendra l'habitation aimée de Madame Elisabeth. La comtesse de Marsan occupait rue Champ-la-Garde une grande maison dont le parc pouvait communiquer avec celui de sa nièce. Derrière la propriété de Mme de Guéménée, avec son entrée sur la rue Champ-la-Garde, se trouvait la petite maison prêtée à Mme de Mackau, et que lui donna plus tard Madame Elisabeth.

<p>17</p>

«L'usage de ce temps aimable et frivole, écrit la vicomtesse de Noailles (Vie de la princesse de Poix) était de confier l'éducation des filles au couvent depuis l'enfance jusqu'au mariage. Personne n'avait, ou ne croyait avoir le temps d'élever ses enfants: d'ailleurs, sur plusieurs filles, il y en avait toujours quelqu'une destinée à entrer en religion, et, par conséquent, il fallait l'éloigner du monde avant qu'elle pût le regretter.» La dernière phrase est-elle bien juste? Ce n'est pas toujours dans ces couvents-là qu'on plaçait les jeunes filles destinées au voile.

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L'abbaye de Panthémont était située là où est maintenant le temple protestant, 108, rue de Grenelle. C'était le couvent le plus élégant et le plus mondain de Paris. Les princesses Bathilde d'Orléans et Louise de Condé y passèrent plusieurs années, cette dernière jusqu'à sa vingt-cinquième année. Les deux princesses avaient leur appartement à part, leur train de vie à part, leur table particulière, une dame d'honneur, plusieurs femmes de service. Elles donnaient à dîner et recevaient toute une petite cour. (Voir la Dernière des Condé, par le marquis P. de Ségur; – et comte Ducos, la Mère du duc d'Enghien. – Voir aussi la Femme au XVIIIe siècle des Goncourt, et les charmants Portraits de Jules Soury.)

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Ces maisons où l'éducation est si frivole font naturellement penser à ce couvent de Terceire dans les Açores, où firent halte les officiers français revenant d'Amérique. Lauzun, Broglie, Ségur y remportèrent de faciles succès. L'abbesse qui n'y voyait pas de mal adressait aux jeunes conquérants des compliments que Ségur paraphrasa ainsi: «Ces jeunes personnes auxquelles je vous laisse offrir vos hommages, s'étant exercées à plaire, seront un jour plus aimables pour leurs maris, et celles qui se consacreront à la vie religieuse, ayant exercé la sensibilité de leur âme et la chaleur de leur imagination, aimeront plus tendrement la divinité.»

<p>20</p>

Mariées à quatorze ans: Mlles de Bouillon, de Luynes, de Noailles d'Ayen; à treize ans et demi: Mlles de Montmorency, de Polignac; à douze ans, Mlle de Nantes, Mlles de Brézé, du Lude, d'Arquien; à onze ans, Mlles de Noailles, de Boufflers et la fille de Samuel Bernard; à dix ans et demi, Mlles de Mailly, Colbert, etc. Un duc d'Uzès se maria à dix-sept ans avec une fille du prince de Monaco qui en avait trente-quatre; le prince de Turenne, le duc de Fitz-James, le duc de Fronsac se mariaient aux mêmes âges. Le duc de la Trémoille se mariait à quatorze ans, la même année que Louis XV qui en avait quinze… Il en est bien d'autres dont les Mémoires du duc de Luynes et de Saint-Simon nous donnent les noms. Charles-Gaspard de Rohan Rochefort aura seize ans quand il épousera sa cousine, Louise-Josèphe de Rohan-Guéménée, de six mois plus âgée que lui. Le fils du comte de Berchenyi, à seize ans, épousera une enfant de neuf ans. (Voir infra). – Voir aussi l'excellent livre de M. Fernand Giraudeau, les Vices du jour et les Vertus d'Autrefois.

<p>21</p>

Qui n'a présent à l'esprit le mariage du jeune duc de Bourbon, âgé de quatorze ans et demi, avec la princesse Bathilde d'Orléans. Celui qui, depuis, devait faire si mauvais ménage avec sa femme, commença par l'enlever le soir des noces. Ce petit scandale amusa la cour, et Laujon en fit une pièce qu'il appela l'Amoureux de quinze ans (Voir la Mère du duc d'Enghien, par le comte Ducos; – et nos Fantômes et Silhouettes, Emile Paul, 1903).