Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
Ah! je sens trop son malheur pour ne pas tâcher de l'adoucir?»
A ce trait, Mme de Mackau s'était attendrie. «Sa tante et moi, l'avons prise dans nos bras; nous étions aussi affligées que nos cœurs nageaient dans la joie… Ainsi soyez tranquille, votre dernier devoir sera partagé de bien bon cœur par celle qui s'occupe d'avance de remplir tous ceux qui peuvent contribuer à votre bonheur.»
Que Mme de Mackau, déjà séparée de son fils dont le caractère indécis l'effraie, regrette par moments la nécessité de se séparer de «son Angélique qui faisait sa consolation», dont «l'heureux naturel, de ses jours les plus tristes, faisait souvent des jours de bonheur», cela se conçoit. Seule la certitude que le gendre de son choix fera le bonheur de sa fille peut lui rendre courage et sécher ses pleurs. Quand le moment du «dernier sacrifice» sera venu, «la victime sera gaie et contente, la prêtresse ne lui montrera pas une douleur qui serait injuste puisqu'elle ne tiendrait qu'à son personnel».
Avant de clore sa lettre sentimentale, Mme de Mackau se rappelle qu'elle remplit une fonction de Cour et donne des détails sur le séjour de l'empereur Joseph II, arrivé le 18 avril à Paris sous le nom de comte de Falkenstein. «Je débuterai demain la reprise de mon service par l'opéra Castor et Pollux qu'on donne à l'Empereur. Je voudrais bien pouvoir y céder ma place à votre petite femme qui est très affligée de n'y pas aller… Il faut pourtant que ma lettre parle d'un prince qui, dans ce moment-ci, fixe toutes les attentions. Sa manière d'être «si peu commune avec les personnes de son rang» a étonné la Cour. Cette simplicité qui «adoucit la Majesté sans la voiler», cette affabilité, cette «honnêteté» lui gagnent tous les cœurs. Comment ne serait-il pas adoré dans son pays?»
Au seuil de ce récit, nous ne pouvons nous arrêter autant qu'il conviendrait au voyage familial et politique à la fois du frère de Marie-Antoinette. Il serait impardonnable de n'en point dire quelques mots.
Grâce aux récits contemporains nul n'ignore que l'Empereur se posa en mentor de la Reine, dont il était l'aîné de quatorze ans, qu'il lui parla très sérieusement et lui laissa des Instructions écrites33, qui produisirent un effet… momentané. Il affecta de se montrer sévère et critique au milieu des cajoleries dont l'entoura sa sœur, mais il jouait un rôle dont on pouvait deviner les dessous. Il blâmait le luxe, le goût pour les plaisirs que manifestait la Reine. Comme il s'était attaqué précédemment à la princesse de Lamballe, il s'attaqua aux Polignac. Il s'occupa spécialement du jeu effréné, qui se jouait dans l'entourage de Marie-Antoinette, et Mercy rapporte comment il s'emporta au sujet de la princesse de Guéménée, dont il appelait la maison «un tripot».
En ce qui touchait le jeu et l'exagération des plaisirs, Joseph II avait raison. Était-il doué d'un esprit assez supérieur et pondéré pour tout morigéner et critiquer sans apporter le remède? Ce que l'on sait de lui ne le prouverait pas entièrement: s'il a laissé en Allemagne la réputation d'un philanthrope utopiste à la recherche du bien et rempli des meilleures intentions, on ne saurait faire de lui un Marc-Aurèle ou un saint Louis.
Esprit curieux, mais mal équilibré, entêté plutôt que ferme, ayant plus de vivacité que de bon sens, concevant de vastes plans, mais ne les mûrissant pas, passionné pour les petites choses et se noyant dans les détails, «gouvernant trop, mais ne régnant pas assez», a dit le prince de Ligne, parlant en libéral, mais agissant en souverain absolu, le prince philosophe gâtait de vraies qualités par d'indiscutables travers. «Les questions, confesse le baron de Gleichen, avaient l'air de chercher un conseil, mais il ne cherchait ordinairement que d'en trouver un qui s'accordât avec son avis.»
Qu'en dehors de la Cour, Joseph II ait obtenu de vrais succès, qu'il ait inspiré un vif intérêt même aux personnes les moins disposées à se laisser imposer par la grandeur, ceci n'est pas douteux; c'est une petite bourgeoise orgueilleuse et destinée à jouer un rôle quelque vingt ans plus tard qui le confessera. Dans une lettre à Sophie Cannet, la future Mme Roland, écrivait à cette époque: «L'Empereur est bien fait, doux, simple et noble, ressemblant à la Reine (la petite Phlipon ne disait pas encore insolemment: Antoinette); grand sans excès, bien campé, blond sans être roux. Il annonce la bonté et a tout à la fois l'air digne et tant soit peu timide. Il va partout, quelquefois sans suite, à pied ou en fiacre. Il visite les hôpitaux, les monuments, il se rend toujours là où il n'est pas attendu, et saisit ainsi la vérité avant qu'on ne lui mette des voiles.» Voilà une phrase qui fleure son Jean-Jacques et nous donne un avant-goût de ces «flambeaux de la vérité» et de ces «masques de l'imposture», dont s'émailleront les discours des rhéteurs de la Révolution. Mais Marie-Jeanne à cette heure d'une visite impériale ne songe guère à revendiquer des améliorations sociales, ni à sacrifier sur l'autel de la Liberté, elle admire un souverain absolu dans la simplicité de son allure, dans son maintien, dans sa manière de s'intéresser à toutes choses. «Il donne des preuves de son goût et de sa bienfaisance par ses remarques, ses questions et ses largesses34… Tout est conséquent chez lui. Il ne fait pas comme ces princes qui, venant incognito, ne laissent pas que de traîner avec eux tout leur faste. Il garde son incognito et en jouit parfaitement.» Jusqu'à sa mise qui se trouve en conformité avec son programme voulu de simplicité: un habit puce avec un bouton d'acier, de petites bottines, une seule boucle à la frisure. Avec Mme Roland on conviendra que c'était là un costume modeste bien en rapport avec le rôle de conseiller somptuaire qu'a assumé le frère de Marie-Antoinette.
En fait, Joseph II est venu en France avec un double but: sous couvert de s'informer du ménage de sa sœur et de donner à Marie-Antoinette des conseils paternels, il tient à se rendre compte à la fois des intentions des conseils du Roi dans le cas d'une rupture avec la Prusse lors de la succession prochaine de Bavière, et de l'état des forces de la France. Il venait de visiter le pays en observateur sagace, et cela au moment même où les comtes de Provence et d'Artois faisaient, à travers la France, des voyages dispendieux et destinés à augmenter l'impopularité de la Cour: «Ils voyagent, écrit la comtesse de La Marck, comme ces gens voyagent, avec une dépense affreuse et la dévastation des postes et des provinces.»
En recevant les Instructions, le premier mouvement de Marie-Antoinette avait été un mouvement d'humeur, puis elle s'était montrée raisonnable et avait pris des résolutions. Elle cessait de faire des promenades à Paris, d'assister au jeu de la princesse de Guéménée. Elle semblait avoir pris goût à la lecture, s'entretenait avec des personnes sérieuses, choisissait plus judicieusement les personnes admises à lui faire la cour… Tout cela ne dura guère que quelques semaines. Quand le comte d'Artois revint de son voyage dans l'Est, il fut plus en faveur que jamais, et entraîna la Reine à une nouvelle série de plaisirs et de distractions.
L'Empereur partira enchanté de sa sœur qui a fait maintes promesses… Reviendra-t-il? Le bruit qui a couru qu'il songeait sérieusement à épouser Madame Élisabeth recevra-t-il une sanction?
Mme de Mackau a rencontré l'Empereur chez Madame Élisabeth, et, de là, mille projets caressés, repoussés, repris encore. Pourquoi ne pas le dire, même si c'est impossible? L'Empereur a semblé frappé de l'aménité et du charme de Madame Élisabeth35, sa physionomie indiquait qu'il était fait pour la rendre heureuse, «et, dans le vrai, il ne pourrait faire une chose plus convenable, car il est impossible d'être plus aimable que cette jeune princesse». Et ce beau projet, que d'autres ont entrevu et qui sera repris plus tard, hante Mme de Mackau. Elle craint pourtant qu'il s'envole en fumée: «Les gens de ce haut parage, ajoute-t-elle en moraliste pratique, ne se marient pas pour le bonheur; ils ne sont pas aussi heureux que nous, n'est-ce pas? Plaignons-les sur cet article et réjouissons-nous de l'usage que nous allons faire de notre bon sens en préférant le bonheur aux grandeurs et à l'opulence.»
Une réponse de M. de Bombelles que nous ne possédons pas a témoigné la joie ressentie à Ratisbonne au reçu de la lettre de Mlle de Mackau. Notre diplomate, comme on le verra, en bonne veine d'humeur, aime les vers, ceux des autres et même les siens, hélas! car ses lettres sont souvent inondées de ces lignes plus ou moins badines, à peu près
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Les
Voici quelques-uns des paragraphes du questionnaire impérial:
– Employez-vous tous les soins à plaire au Roi? Etudiez-vous ses désirs, son caractère pour vous y conformer? Tâchez-vous de lui faire goûter votre compagnie et les plaisirs que vous lui procurez, et auxquels, sans vous, il devrait trouver du vide?
Votre seul objet doit être l'amitié, la confiance du Roi.
Comme Reine, vous avez un emploi lumineux: il faut en remplir les fonctions.
Votre façon n'est-elle pas un peu trop leste?..
Plus le Roi est sérieux, plus votre Cour doit avoir l'air de se calquer après lui. Avez-vous pesé les suites des visites chez les dames, surtout chez celles où toute sorte de compagnie se rassemble, et dont le caractère n'est pas estimé?
Avez-vous pesé les conséquences affreuses des jeux de hasard, la compagnie qu'ils rassemblent, le ton qu'ils y mettent?
… Daignez penser un moment aux inconvénients que vous avez déjà rencontrés aux bals de l'Opéra.
… Gardez-vous, ma sœur, des propos contre le prochain, dont on fait tout l'amusement… Par des méchancetés dites sur le prochain… on évite les honnêtes gens…
L'Empereur recommandait aussi à sa sœur de conserver l'étiquette, de bien penser à sa situation et à sa nation «qui est trop encline à se familiariser et à manger dans la main».
Or, lui-même donnait l'exemple de la simplicité outrée. On peut s'étonner de voir l'Empereur philosophe recommander à sa sœur de se montrer «dévote et recueillie à l'église», ajoutant que le plus grand impie devrait l'être par politique. Il était mieux dans son rôle en signalant l'inconvénient de la société des jeunes gens, et de l'accueil trop facile fait aux étrangers, surtout aux Anglais dont les usages et les mœurs devenaient alors fort à la mode, au grand déplaisir du Roi. – Joseph II à Léopold, 11 mai 1777, et Mercy à Marie-Thérèse.
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Il avait passé en revue les manufactures et les arsenaux, rendu visite à Geoffrin et à l'Institut, à Mme du Barry et à Buffon (avec le grand naturaliste, il avait à réparer une bévue de son frère Maximilien refusant maladroitement un exemplaire de luxe de l'
Dans ce concert de louanges, il pouvait se produire des notes discordantes.
Joseph II, en effet, se montra plus que froid avec Choiseul, qui pourtant était le promoteur de l'Alliance autrichienne, qui avait valu la Dauphine à la France.
Le duc était venu à Versailles le jour de la cérémonie des cordons bleus et au jeu de la Reine, «mais il n'y a rien eu de bien remarquable dans l'accueil qu'il lui a fait, l'ayant connu personnellement à Vienne, écrit le comte de Viry, si ce n'est que le Roi Très Chrétien a laissé apercevoir de nouveau, à cette occasion, ses dispositions peu favorables pour cet ex-ministre qui est retourné mardi dernier à la campagne.»
Joseph II avait traversé la Touraine sans s'arrêter à Chanteloup.
Avec M. de Vergennes, l'Empereur attaqua de front la question brûlante. L'entrevue se passa ainsi, d'après la dépêche du comte de Viry, ministre de Sardaigne.
«Bien des gens, lui dit ce prince, sont surpris de l'inaction de la France dans les circonstances actuelles.
« – Je le sais, a répondu le secrétaire d'Etat; mais le conseil du Roi a pensé sagement qu'il ne fallait pas qu'un Roi de vingt-deux ans signalât le commencement de son règne par une guerre d'ambition. Nous connaissons tous les avantages de notre position, mais nous ne voulons pas nous embarquer dans une guerre qui pourrait causer un incendie général. – La France, répliqua l'Empereur, n'a rien à craindre, tant que durera notre alliance. Quant à moi, je me trouve dans des positions plus épineuses; il me sera bien difficile de toujours conserver la paix… – J'ose vous assurer, monsieur le Comte (l'Empereur voyageait sous le nom de comte de Falkenstein), dit alors M. de Vergennes, que la maison d'Autriche n'a rien à craindre, tant que durera notre alliance. – Cette réponse, placée avec esprit et à propos, a fait sentir finement à l'Empereur, combien l'on pensait à Versailles que cette alliance lui était avantageuse. Aussi le prince a-t-il coupé court à ces matières…»
[Au marquis d'Aigueblanche, 6 juin 1777 (Recueil Flammermont.)]
Paris l'avait séduit, la nation ne lui déplaisait pas, malgré sa légèreté, et, s'il avait une fort mince opinion de ceux qui gouvernaient, malgré les belles phrases dont il les avait bernés, il conservait une haute idée des ressources de la monarchie, si le gouvernail était aux mains de plus habiles.
Il redoutait le retour de Choiseul au pouvoir. «Si le duc de Choiseul avait été en place, disait-il, – à la satisfaction du Roi, et au vrai déplaisir de la Reine, sa tête inquiète et turbulente aurait pu jeter le royaume dans de grands embarras.»
Par contre, l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, lui avait laissé une haute idée de sa capacité (Mercy, t. III, p. 70).
Sur chacun il avait une opinion: le comte d'Artois était «un petit-maître», Mesdames de France étaient «nulles». Avec Louis XVI, il s'était ouvert sur bien des questions, et il avait semblé goûter sa conversation. En revanche, il écrivait à Léopold son impression intime: «Cet homme est un peu faible, mais point imbécile; il a des notions, il a du jugement, mais c'est une apathie de corps comme d'esprit. Le
Joseph II, qui prétendait tout savoir et morigénait tout le monde à fleur de jugement, était jugé par plus fin que lui. «L'Empereur, écrivait le comte de Provence à Gustave III, est fort cajolant, grand faiseur de protestations et de serments d'amitié; mais, à l'examiner de près, ses protestations et son air ouvert, cachent le désir de faire ce qui s'appelle tirer les vers du nez et de dissimuler les sentiments propres, mais en maladroit; car avec un peu d'encens, dont il est fort friand, loin d'être pénétré par lui, on le pénètre facilement. Ses connaissances sont très superficielles.» (
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«L'Empereur, écrit le comte de Viry, ministre de Sardaigne, n'ignorant pas tous les bruits qui ont couru du projet de mariage qu'on lui supposait avec Madame Elisabeth, a affecté de dire à Leurs Majestés très chrétiennes, à toute la famille royale, qu'il ne pensait pas à se remarier.» (Au roi de Sardaigne, 25 avril 1777. Dans