Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
sérieusement, Mlle de Mackau a commencé sa lettre du 28 mai, datée de Montreuil où elle est au régime du lait pour enrayer une grippe opiniâtre. Elle a remercié le marquis de ces promesses d'avenir; elle lui est reconnaissante des arrangements pris pour sa mère. «Il ne m'est plus permis de douter de tout ce que vous m'assurez et, quoique je ne comprenne pas encore bien comment vous ferez, je tiens cela presque aussi assuré que si je le voyais.»
Voici l'épigramme qui n'est vraiment pas mal pour une pensionnaire: «Vous prenez un grand empire sur mon esprit, et j'ai peur que bientôt je finisse par croire tout ce que vous me direz. C'en est au point qu'en lisant avec plaisir les deux lignes et demie de vers que vous me citez, j'ai été tout étonnée de les trouver dans l'Enfant Prodigue de M. de Voltaire, trouvant très extraordinaire qu'ils ne fussent point de Boileau, puisque vous le disiez. Je me suis persuadée que M. de Voltaire les avait volés à Boileau et que vous étiez initié dans ce petit secret.»
La pointe railleuse achevée, la petite personne raisonnable qu'est Angélique passe à d'autres sujets: les affaires de sa mère que le marquis prend à charge, le chagrin de Mlle de Schwartzenau que sa rivale heureuse plaint de tout son cœur. «Quant à ma façon de penser sur Caroline, je serais indigne de vous si cela était autrement. Une personne malheureuse est toujours un objet intéressant pour une âme sensible; d'ailleurs cette jeune personne aura toujours un attrait près de moi; il ne dépendra pas de moi d'adoucir ses malheurs et elle trouvera toujours en moi une véritable amie.»
Elle lit, elle travaille dans «son petit château36» de Montreuil, elle tâche de se rendre digne de son «savant mari». Et de la carrière de ce mari dont dépendra la tranquillité de tous les siens, elle s'occupe déjà. Sa mère a vu le ministre, M. de Vergennes, et M. Gérard de Rayneval, premier commis des Affaires étrangères; ils ne sont pas d'avis que M. de Bombelles prenne un long congé pour aller à Vienne voir son ancien chef, le baron de Breteuil. Une absence de deux mois pendant que la Diète le réclame, ce n'est pas possible: quinze jours tout au plus. «Autrement vous feriez très mal et je serais fâchée tout rouge.»
Si elle donne des conseils de carrière, la petite ambitieuse, elle accepte volontiers des avis conjugaux, et la fin d'une de ses lettres de juin est pénétrée d'une soumission qu'elle s'efforce de faire paraître relative, mais que l'on sent, malgré les réticences, prête à se montrer entière. «La raison vous guidera sûrement dans ce que vous me ferez faire, aussi je suis parfaitement tranquille. Je suis bien aise que vous ayez marqué un trait noir sur tous les je veux des maris; ils sont bien désagréables pour une femme. Vos prières seront toujours des ordres pour moi, et je serai toujours bien aise de vous faire plaisir. Mais je vous avoue que je ne ferais jamais une chose volontiers lorsque vous m'auriez dit je veux, et il n'y a que ce vilain mot qui pourrait me donner un peu d'humeur.»
Bien que ne devant être célébré qu'en janvier le mariage est annoncé, et Mlle de Mackau entre en relations suivies avec sa nouvelle famille. C'est la comtesse de Reichenberg qui écrit d'Allemagne plusieurs lettres plus tendres les unes que les autres; c'est la comtesse de Bombelles, femme du frère du marquis, qui fait un effort pour paraître aimable. «Elle m'aime beaucoup, dit Angélique un peu sceptique, je lui ferai bien ma cour pour qu'elle m'aime davantage.» Le monde de la Cour se met aussi en frais pour l'amie de Madame Élisabeth; la princesse de Guéménée la mène à l'Opéra voir un nouvel opéra, Evrelingue. La Reine ayant la fièvre tierce, il n'y a pas de séjour à Compiègne; Angélique s'en console aisément, car «Compiègne l'ennuie», et elle s'est dit: «A quelque chose malheur est bon.»
A la fin de l'automne, il est question de former la maison de Madame Élisabeth. La comtesse de Reichenberg mande aussitôt la nouvelle qui l'intéresse particulièrement à son frère: «Mme de Brancas est dame d'honneurs, et Mme de Canillac dame d'atours. Je sais bien que Mme de Mackau conserve le titre de sous-gouvernante des Enfants de France et les appointements, mais cela l'éloigne de Madame Élisabeth.»
Si la nouvelle était vraie, c'eût été peut-être un changement dans la situation de sa future belle-sœur. Puisque son frère avait d'avance fait le sacrifice de la laisser trois ans à Versailles, pourquoi ne pas faire nommer sa femme «dame de compagnie» pendant ce temps. Par intérêt de famille, Mme de Reichenberg observe: «Il serait bien désirable qu'il y eût une femme de notre nom à la cour, à cause des enfants. Non sans raison, elle ajoute: «Notre chère petite belle-sœur connaît bien sa princesse et sûrement serait mieux auprès d'elle qu'aucune de ces dames.»
A la fin de cette lettre de novembre, où elle annonçait prématurément au marquis la constitution de la maison de Madame Élisabeth, se trouve rappelé un fait historique qui a déjà frappé quelques écrivains et qui mérite d'être noté en passant.
Mme de Reichenberg, s'ennuyant à Waldeck, s'est plongée dans la lecture de l'histoire d'Allemagne. Elle y a lu, écrit-elle, une anecdote qui pourra peut-être lui servir un jour. Il s'agit, comme on va le voir, d'un mariage inégal et elle prévoit ce qui pourrait arriver à la mort du landgrave; or ce mariage inégal intéresse l'histoire européenne. Le fait est connu dans sa donnée générale, il l'est moins dans ses détails.
Le point de départ est celui-ci: en 1693, le duché d'Hanovre fut érigé en électorat par l'Empereur Léopold, en faveur de la branche cadette de Brunswick. Cette maison de Brunswick était divisée en trois branches: la première s'appelait Brunswick-Lunebourg, la deuxième Zell, et la troisième Hanovre. Il était naturel de penser que les deux branches aînées s'opposeraient à l'érection d'un neuvième électorat en faveur de la branche cadette; le prince de Brunswick se contenta de formuler son opposition; quant au duc de Zell, voici la raison qui semble l'avoir engagé à donner son consentement: «Il avait épousé une demoiselle d'Orbreuse, fille d'un gentilhomme du Poitou, d'abord de la main gauche; ensuite il avait obtenu de l'Empereur Léopold, que la duchesse jouirait des mêmes prérogatives que si elle eût esté épousée de la main droite, en sorte que, si de ce mariage, il fût provenu des enfants mâles, ils auraient succédé légitimement et sans contradictions.»
Les deux époux en mourant ne laissèrent qu'une fille qui épousa ce même Ernest-Auguste, évêque d'Osnabruck, duc d'Hanovre et nouvel électeur; ainsi le duc de Zell, ne pouvant rien désirer de plus avantageux que de faire sa fille électrice ne s'opposa point à ce que fût érigé un nouvel électorat: «De cette électrice descend toute la maison de Hanovre qui règne aujourd'hui en Angleterre, et par conséquent les trois enfants du landgrave de Cassel, puisque sa femme était la sœur du feu Roi d'Angleterre.» Mme de Reichenberg en tire des conséquences toutes personnelles que nous la verrons rappeler au cours de ce récit, et c'est pourquoi nous y insistons: «De cette anecdote, dit-elle à son frère, vous savez ce que nous devons conclure, et je ne croirai plus les personnes, qui me diront que l'Empereur ne peut pas rendre à une femme les prérogatives que les préjugés lui ont ôtées, surtout lorsqu'elle ne peut ni ne veut faire aucun tort à la succession.» Si l'on envisage la question à un point de vue d'histoire générale, elle offre un intérêt: la généalogie donnée par l'historien allemand est vraie. De cette duchesse de Zell descendent les familles royales d'Angleterre et les Hohenzollern. Son nom seul est estropié; la demoiselle du Poitou s'appelait Éléonore Dexmier d'Olbreuse et appartenait à la famille de Jean V Dexmier d'où descendent également les Dexmier d'Archiac représentés aujourd'hui par le comte d'Archiac. A cette dernière branche se rattachaient la célèbre Madame Davasse de Saint-Amaranthe (en réalité Saint-Amarand) et sa fille Émilie de Sartine qui tenaient sous la Terreur un salon assez mélangé et furent guillotinées dans la fameuse fournée des Chemises rouges37.
Le marquis de Bombelles se préoccupait-il à ce moment de généalogies princières qui devaient fournir à sa sœur un précédent pour se faire reconnaître princesse? C'est fort peu probable. Les prétentions dont Mme de Reichenberg le harcèlera sans cesse, surtout l'année suivante quand elle sera veuve, il s'en souciait fort peu en novembre 1777. Il s'apprêtait à revenir à Paris pour hâter les préparatifs d'une union désirée avec ardeur des deux côtés.
Le
36
«Ce petit château», on l'a déjà dit, était une modeste maison donnant sur la rue Champ-la-Garde et dont le jardin communiquait avec le parc de la princesse de Guéménée. La maison de la comtesse de Marsan était un peu plus loin dans la même rue.
37
Voir comte Horric de Beaucaire,
Il est question aussi des