Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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de plus vrai, cela aurait fait le bonheur de ma vie.» Comment cet Esterhazy dont Marie-Thérèse avait vu avec peine la toujours croissante faveur et qu'elle décorait du surnom de «freluquet» était à ce point nécessaire à la famille royale, que Madame Élisabeth, partageant l'engouement de sa belle-sœur et de toute la cour pour le spirituel Hongrois, le déclarait utile à son bonheur!

      Mme de Bombelles ne manque pas d'appuyer les pressantes instances de Madame Élisabeth et insiste sur «les fortes raisons» qui lui faisaient désirer le consentement du comte. Esterhazy pourtant ne se laissa pas séduire; il répondit: «qu'il était très flatté des bontés de Madame, qu'elles étaient bien faites pour le faire passer sur toutes considérations», mais qu'il priait Mme de Bombelles de représenter à la princesse que, «n'ayant jamais demandé ni désiré de place, il lui était impossible d'en accepter une qui n'était pas la première dans sa maison, surtout la première étant destinée à une personne qui n'était pas faite pour passer avant lui56, qu'il donnerait pour raison à la Reine et à Mme de Guéménée l'amour qu'il avait pour sa liberté, qu'il aurait cependant sacrifié au désir que Madame a bien voulu lui en marquer si la place avait pu lui convenir».

      En d'autres termes aut prior, aut nihil. Voyez le beau désintéressement! On ne comptera donc pas Esterhazy parmi ces étrangers qu'on reprochera tant à Marie-Antoinette de favoriser outre mesure et dont elle prendra la défense en disant: «Au moins ceux-là ne demandent rien.» Dans le cas présent le favori de la Reine trouve que la situation offerte ne payait pas suffisamment ses mérites et, s'il reste sous sa tente, n'en doutons pas, c'est qu'il espère mieux. N'était-ce pas assez qu'il fût colonel d'un régiment de hussards, qu'il eût – malgré le comte de Saint-Germain et sur l'ordre exprès de Marie-Antoinette – obtenu la garnison de Rocroi qu'il désirait, qu'il fût pensionné57 et logé par le Roi, ses dettes une fois payées, surtout qu'on tolérât sa présence presque continuelle à Versailles, qu'il fût le confident et l'ami de la Reine58. On conçoit que quitter ce ministère officieux des grâces pour une situation plus assujettissante qu'agréable ne devait guère lui convenir; on comprend même mal que la Reine, qui se servait de lui, en remplacement de Bezenval, pour les missions délicates59, et n'avait nullement l'intention de l'éloigner de sa personne, eût permis qu'on le lui proposât.

      On insista pourtant, à plusieurs reprises. Le lendemain à la revue, à la fin du dîner servi sous la tente, le comte Valentin dit tout bas à Mme de Bombelles que Mme de Guéménée l'avait fait chercher le matin, lui avait de nouveau proposé la place, que lui, l'avait refusée en donnant pour raison sa liberté. Il l'avait ensuite répété à la Reine qui s'en était entretenue avec lui; puis, Mme de Guéménée ayant annoncé à Madame Élisabeth qu'il ne pouvait avoir l'honneur de lui être attaché, cette princesse lui avait exprimé ses regrets avec tant de grâce qu'il en était enchanté et chargeait bien Mme de Bombelles «de lui dire combien il était affligé de ne pas lui appartenir». Ajoutant l'outrecuidance, à ses refus dédaigneux, Esterhazy ne craignait pas, après s'être dit pour la vie le plus zélé des serviteurs de la princesse, d'insinuer que, «si jamais il lui arrivait d'avoir quelques discussions avec la Reine, il lui demandait la permission de plaider sa cause, enfin d'être son agent toutes les fois qu'il pourrait être assez heureux pour lui être utile.» Enfin après le dîner il renouvelait ses regrets à la princesse et lui offrait un petit livre où étaient inscrits les noms des officiers du régiment du roi.

      Il est difficile de souligner davantage la faveur incroyable dont jouissait le présomptueux Hongrois sur l'esprit de la Reine; que penser, de plus, du ton protecteur avec lequel il offre son intervention à Madame Élisabeth. Une femme seule, et encore en situation exceptionnelle comme la princesse de Guéménée, eût eu le droit de parler sur ce diapason à une Fille de France. Personne ne s'en froissa, pas plus la petite princesse qui «répond toutes sortes d'honnêtetés» aux belles phrases d'Esterhazy, que Mme de Bombelles qui n'y vit pas malice. Au contraire, elle termine son récit par ces mots: «Ne parlez de cela à personne, c'est un grand secret… mais, comme vous aimez beaucoup le comte d'Esterhazy, j'ai imaginé que vous seriez bien aise de savoir cette petite anecdote.» Elle a raison, puisque le marquis la remerciera de la lui avoir contée, s'intéressant à tout ce qui touche Esterhazy, regrettant que son ami n'ait pas pu profiter de la situation offerte.

      Projets, contre-projets et départ pour Plombières reculé, d'où regrets et protestations de tendresses de part et d'autre, voilà ce qui forme, avec des réflexions diplomatiques et des plaintes contre le ministre des Affaires étrangères, le canevas des lettres un peu monocordes qu'échangent en mai les deux époux. Le marquis a approuvé Mme de Bombelles de fuir les occasions dangereuses, tout en usant d'égards respectueux envers la princesse de Guéménée qui a protégé son enfance et marqué de l'intérêt au ménage. Aussi c'est avec peine qu'il apprend que la gouvernante des Enfants de France a été frappée d'un coup de sang. Esterhazy le préoccupe peut-être davantage, car cette amitié, sur laquelle il se croit en droit de compter, doit à un moment donné lui être fort utile. C'est de lui qu'on tient les renseignements émanant du ministère, c'est par lui qu'on pourra réclamer l'appui de la Reine le jour où l'«avancement» sera en jeu.

      L'avancement c'est le but de tout fonctionnaire public, mais il faut avouer que M. de Bombelles est piqué de cette tarentule à un degré peu commun, et l'on conçoit que ses demandes incessantes aient quelquefois lassé, et les bureaux du ministère, habitués de tout temps à agir avec une lenteur aussi sage que désespérante, et les protecteurs plus ou moins bien armés auxquels il a confié ses intérêts. Nous verrons plus tard que, lorsqu'il s'agira d'obtenir l'appui de la Reine, celle-ci, qui a d'autres protégés et à qui Bombelles, pour des raisons venant d'Autriche, n'est pas entièrement sympathique, ne se laissera pas persuader que le marquis est mûr pour une ambassade, et que la comtesse Diane d'un côté, et Esterhazy de l'autre, le seconderont tièdement.

      La vie de Cour est assez calme: une petite comédie, Mélanide, à Montreuil, puis un déplacement à Marly. «La vie y est réglée comme un couvent, écrit la marquise le 29 mai. Le matin, on va à la messe; à midi trois quarts, je dîne avec Madame Élisabeth. Nous travaillons, nous lisons, nous causons jusqu'à sept heures; à sept heures, nous faisons une grande toilette pour aller au salon où l'on arrive à sept heures trois quarts. On joue au pharaon jusqu'à dix heures; après, on soupe. Après le souper, on se remet au pharaon qui dure jusqu'à je ne sais quelle heure. Madame Élisabeth s'en va à minuit… et puis nous nous couchons.» Ce que Mme de Bombelles ne dit pas, parce qu'elle peut l'ignorer, c'est que les parties offraient souvent de grosses différences. Pendant ce séjour à Marly, la Reine, qui avait perdu un instant jusqu'à 1.000 louis, se trouvait à la fin en perte de 60060. Un plus grave résultat se produisit un jour; on ouvrait toutes grandes les portes pour avoir des joueurs. «Il s'y introduisit des fripons, écrit le comte de Mercy; et on en saisit un qui venait de donner au banquier un rouleau de jetons en guise de louis.» On comprend si d'aussi fâcheuses aventures survenues au jeu de la Cour excitaient la critique du public. On le sut et on le colporta61.

      Les jours ne sont pas toujours aussi monotones; il y a parfois comédie ou danse. Madame Élisabeth ayant désiré monter à cheval, des ordres sont donnés en conséquence. Mme de Bombelles doit-elle l'accompagner? Oui, si l'on n'eût consulté que son plaisir; mais, la comtesse Diane ayant insinué prudemment que la marquise, ne sachant pas monter, pouvait faire encourir des dangers à Madame Élisabeth, elle a suivi la première fois en carrosse pendant que la princesse était à cheval. Moins prudente, la Reine trouve que cela «n'a pas le sens commun» et déclare à Mme de Bombelles qu'il faut qu'elle monte à cheval, que cela l'amusera et donnera de l'émulation à Madame Élisabeth, «qu'il n'y avait aucun danger parce qu'un piqueur serait chargé de lui montrer». Personne ne trouva à redire à cette combinaison discutable, et la première promenade se passa sans encombre. Le hasard fit que Mme de Bombelles avait du goût


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<p>56</p>

Le comte de Coigny, chevalier d'honneur.

<p>57</p>

Les papiers trouvés dans l'armoire de fer ont appris que Louis XVI remettait tous les ans 15.000 francs à la Reine pour le comte Esterhazy.

<p>58</p>

Esterhazy jouissait de faveurs spéciales qui excitaient la jalousie. Il sera, nous le verrons, l'un des quatre gentilshommes autorisés à tenir compagnie à la Reine, pendant qu'elle a la rougeole (été de 1779). Mercy se plaint, dès le 17 janvier, qu'il est autorisé, plus expressément que quiconque, à venir faire sa cour à la Reine, dans sa loge, à Versailles et à Paris. Cette distinction, qui n'était pas dans les usages de ce pays-ci, et qui était une prérogative exclusive pour les charges de cour, a excité de la jalousie contre le comte Esterhazy et quelque surprise parmi cet ordre du public qui fréquente habituellement les théâtres.»

<p>59</p>

Voir les Mémoires de Lauzun, dans Fantômes et Silhouettes, les Esterhazy à la cour de Marie-Antoinette, et les fragments de Mémoires de Valentin Esterhazy, publiés par Feuillet de Conches.

<p>60</p>

Dans l'année 1778, la Reine fit des différences énormes. A la fin de l'année, elle se trouvait perdre 7.550 louis, chiffre donné par l'abbé de Vermond au comte de Mercy.

<p>61</p>

Corresp. du comte de Mercy, t. III; – Lettres de Mme de Coislin, dans le Gouvernement de la Normandie, par C. Hippeau, t. IV.