Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
il n'est pas de choses aimables qu'elle ne dise sur le mari, surtout maintenant qu'elle est sûre de posséder la femme pour un temps.
L'espoir d'une grossesse taquine la marquise: un mal de cœur lui a semblé de bon augure, puis naïvement elle confesse qu'elle avait plus dîné que d'ordinaire et qu'une fausse digestion était seule cause de ce malaise. En revanche, et tout le monde s'en réjouit, «le ventre de la Reine est très gros». En bon courtisan, la marquise ajoute: «Mais il lui va à merveille… Le Roi avait l'air de très belle humeur.»
Un demi-événement de cour: le comte d'Esterhazy n'est pas encore venu à Marly.
Personne n'en a entendu parler, «ce qui ferait craindre que sa faveur ne soit baissée». Cette «alarme» est de peu de durée d'ailleurs, car Esterhazy ne tarde pas à arriver; il venait d'avoir la goutte aux deux pieds et à une main et avait souffert le martyre. Mme de Bombelles croit remarquer qu'on lui parle moins; ceci ne pouvait être que fortuit, car nous verrons, au moment des couches de la Reine, Esterhazy plus en faveur que jamais.
Les questions de toute la Cour, les empressements du comte d'Artois, qui se plaint galamment d'une trop longue absence, les compliments réitérés de la comtesse Diane, tout cela distrait la petite marquise, mais comme à tous ces hommages et à ces gracieusetés, elle préférerait «ne faire qu'un saut» à Ratisbonne. Elle le dit et le répète le plus gentiment possible.
Les maux de cœur reviennent décidément. Serait-ce vrai? C'est précisément le moment où il y a bal chez le prince de Poix, gouverneur de Marly. La comtesse Diane a proposé à Mme de Bombelles de l'y emmener; chez la dame d'honneur, elle retrouve Mme Jules de Polignac, Mme de Châlons et toutes trois se rendent au bal. La Reine s'étonne de ne pas voir danser la jeune femme et, croyant qu'on ne l'a pas priée, elle se lève et va dire aux «agréables» qui se trouvaient là de la faire danser. Comme Mme de Bombelles a refusé au premier danseur qui se présente, la Reine vient à elle et la questionne: apprenant qu'elle souffre de l'estomac, Marie-Antoinette n'insiste plus, mais se met à causer de façon charmante. Le sujet de l'entretien est Madame Élisabeth. La Reine est très contente de sa belle-sœur, mais elle craint, «comme elle est toujours porte-parole sur tout ce qui la regarde», que la jeune princesse ne «la prenne pour une pédante». Protestation de Mme de Bombelles qui assure à la Reine que Madame Élisabeth lui est profondément attachée et parfaitement sensible à la bonté témoignée.
Cette bienveillance de la Reine, ces égards dont elle est l'objet de la part des hommes de la cour, le duc de Coigny et le comte d'Esterhazy en tête, l'intérêt que tous semblent porter au marquis, Mme de Bombelles s'en dit reconnaissante et touchée; mais la vie de représentation la fatigue, et elle n'est pas fâchée de quitter Marly, car se coucher très tard, faire trois toilettes par jour, rester tout le temps sur un tabouret, sans pouvoir appuyer ses pauvres reins «qui lui font bien mal», c'est trop pour sa santé qui a besoin de ménagements.
Nous ne suivrons pas la marquise dans ses alternatives de joie ou de désappointement suivant qu'elle se croit grosse ou non; l'expression d'un désir si louable adressé à son cher mari ne varie guère dans la forme. D'autres soins encore sollicitent son attention: Mlle de Bombelles a l'air de s'être coiffée du chevalier de Naillac qui, nous l'avons dit, a accompagné les voyageuses depuis Strasbourg, et qui, dès ce moment, a fait une cour en règle: cour un peu libre et sans gêne, à en croire la marquise, car il a écrit à sa belle-sœur des lettres peu respectueuses où il appelle «petite chère amie» celle qu'il aspire à épouser, et cela «sans respects ni considération à la fin».
Le chevalier a des qualités, du bien à venir, mais pour le moment presque rien, et le mariage ne serait possible qu'avec la promesse d'un poste diplomatique donnée par M. de Vergennes. Or les deux époux sont bien d'accord pour ne pas fatiguer le ministre d'une demande nouvelle au moment où la question d'une gratification de 10.000 francs pour le marquis est en suspens. Sans gratification pas de mariage possible, donc de la patience et de la modération, et qu'il ne soit pas reparlé du mariage avant janvier.
Que ceci paraisse long à Henriette de Bombelles toute férue de son chevalier, conseillée par l'un et par l'autre, encouragée par la duchesse de Mailly65, ceci n'est pas douteux. De là de petites discussions – très courtoises d'ailleurs – entre les deux belles-sœurs, et l'on peut supposer que chacune garde sa manière de penser et d'agir. Avant que ce mariage, en apparence sur le point de se faire, soit définitivement rompu, il coulera beaucoup d'encre à ce sujet.
C'est à Ratisbonne, où il est enfin rentré malgré les inondations du Danube66, que le marquis reçoit les dernières lettres de sa femme. Le voyage avec ses péripéties et ses incidents l'a distrait; l'arrivée dans la triste capitale de la Diète l'a rendu de nouveau morose.
Non pas qu'on ne lui fasse fête et qu'on ne désire, par tous les moyens possible le «dissiper». Certaine soirée chez la baronne de Buchenberg vaut la peine d'être racontée. Il y avait là «petite assemblée» dont Mme de Beulwitz que le marquis citera souvent, une Mme de Gillerberg «qui fait de petits yeux à son mari pour que le bonhomme n'oublie pas sa paternité», et «beaucoup de demoiselles qui, rangées à une table autour du jeune Lincken qui est grand comme une perche, ressemblaient à des écoliers qui se grandissent tant qu'ils peuvent pour sucer, sur le Pont-Neuf, la noix confite attachée au haut d'un grand bâton.» Tout ce monde semblait assez triste, les parties allaient finir, lorsque le marquis entra; ce furent des élans de joie à sa vue. «Je m'apercevais fort bien, dit M. de Bombelles à la contenance de Mme de Beulwitz, à l'aimable rougeur qui couvrait son teint, qu'elle avait une grande proposition à me faire. Si ma vertu n'eût pas été rassurée par la sienne, à son regard embarrassé, à ses mots entrecoupés, j'aurais craint une attaque à ma fidélité conjugale. Mais ses désirs étaient plus aisés à satisfaire qu'il ne lui a été de les articuler. Vois-la, je t'en prie, debout, me dire après une douzaine de révérences: «Monsieur le marquis… mais oserai-je?.. Non, ce n'est pas possible, je n'oserai pas… Vous êtes bien honnête, mais encore… c'est que cela vous fatiguerait.» – «Eh bien! Madame, de grâce, de quoi s'agit-il? – Ah! Monsieur, de me faire un extrême plaisir… mais un plaisir si grand que je ne sais comment m'y prendre pour vous le demander… ma fille, parlez pour moi; mon fils, aidez-moi dans ma prière.» – Alors les compliments de la fille n'ont pas été moins longs et dureraient encore si le fils n'était venu me réciter en écolier qui craint d'oublier sa leçon: «Monsieur, c'est que ma chère mère, ma chère sœur et moi nous voudrions bien que vous chantassiez sur le clavecin l'air: Fournissez un canal au ruisseau.» Jusqu'à ce moment, le reste de la société s'était tue. Alors, une demoiselle, nièce du grand-prévôt du chapitre dont tu te rappelles l'énorme fadeur du blond de ses cheveux, a crié comme un aigle: «Oui, Fournissez un canal au ruisseau.» Et bravement, je me suis mis au clavecin. Je ne t'exagère pas, ils m'y ont tenu une heure entière; et l'air que la demoiselle blonde a encore retenu mot à mot est: Il était un oiseau gris. Ah! c'est là, mon ange, où il fallait tout le flegme que donne l'habitude du ridicule. Figure-toi qu'elle nous a chanté cet air en voulant imiter ma sœur; sa mine, son accent allemand, sa voix glapissante formaient un ensemble qui fournirait à lui seul un des meilleurs tableaux de Callot.»
En somme, succès énorme pour M. de Bombelles qui continue à se gausser de ses admirateurs. Il chantait tant qu'il voulait hors de mesure, «mettait une phrase de chant pour une autre», tout cela paraissait «unique, charmant», et la bonne Mme de Beulwitz de s'écrier à chaque reprise: «Ah! que mon mari n'est-il là… Tenez, Mesdames, vous voyez la preuve de ce qu'il m'a dit!» – «Et que vous a-t-il dit?» reprenait la demoiselle blonde. – «Que M. de Bombelles avait un doigt sur le clavecin, comme on n'en a jamais vu.»
M. de Bombelles ignorait le charme de son doigt: «Tu n'as pas remarqué le doigt, mon Angélique, et j'en suis bien aise, car tu me regretterais trop!» Il dit en terminant: «J'espère que ce récit t'amusera un moment; sois sûre que je ne l'ai nullement orné, et que je pourrais y ajouter mille détails aussi ridicules et aussi vrais.»
La
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Née Talleyrand-Périgord, belle-fille du maréchal de Mailly, de la branche de Mailly-Haucourt.
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Depuis 1729, on ne se rappelait pas avoir vu une crue pareille.