Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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donné la peine de faire elle-même les extraits.

      Sans doute Plutarque devenu l'instituteur de leur bas âge avait dicté aux princesses, comme à Henri IV, «beaucoup de bonnes honnêtetés et maximes excellentes». Déjà elles suivaient les leçons de physique de l'abbé Nollet, les leçons d'histoire de Guillaume Le Blond; l'abbé de Montaigu succédant à l'abbé Lussins était chargé de l'instruction religieuse. On verra avec quelle élévation il devait comprendre sa vraie mission. Mais c'est à sa nouvelle éducatrice d'un mérite tout particulier qu'il faut avant tout reporter la transformation en qualités des défauts de la jeune Madame Élisabeth.

      Marie-Angélique de Fitte de Soucy, baronne de Mackau, veuve d'un ministre du roi à Ratisbonne26, vivait tout à fait modestement à Strasbourg, lorsque Louis XV, à l'instigation de Mme de Marsan et sur les témoignages rendus par les dames de Saint-Louis (elle avait été élevée à Saint-Cyr), laissant les meilleurs souvenirs l'appela près de ses petites-filles en qualité de sous-gouvernante.

      L'arrivée de Mme de Mackau, escortée de sa fille Angélique, devait faire bonne impression sur la petite princesse.

      «Mme de Marsan, a raconté Mme de Bombelles, reçut ma mère comme si elle eût eu à la remercier d'avoir accepté l'emploi qu'elle lui avait confié. Elle voulut me voir et me présenter à Mesdames. Madame Élisabeth me considéra avec l'intérêt qu'inspire à un enfant la vue d'un autre enfant de son âge.

      Je n'avais que deux ans de plus qu'elle, et étant aussi portée qu'elle à m'amuser, les jeux furent bientôt établis entre nous et la connaissance fut bientôt faite. Ma mère, n'ayant point de fortune, pria Mme de Marsan de solliciter pour moi une place à Saint-Cyr. Elle l'obtint, et je m'attendais à être incessamment conduite dans une maison pour laquelle j'avais déjà un véritable attachement. Cependant Madame Élisabeth demandait sans cesse à me voir; j'étais la récompense de son application et de sa docilité; et Mme de Marsan, s'apercevant que ce moyen avait un grand succès, proposa au Roi que je devinsse la compagne de Madame Élisabeth, avec l'assurance que, lorsqu'il en serait temps, il voudrait bien me marier. Sa Majesté y consentit. Dès ce moment je partageai tous les soins qu'on prenait de l'instruction et de l'éducation de Madame Élisabeth. Cette infortunée et adorable princesse, pouvant s'entretenir avec moi de tous les sentiments qui remplissaient son cœur, trouvait dans le mien une reconnaissance, un attachement qui, à ses yeux, tinrent lieu des qualités de l'esprit; elle m'a conservé sans altération des bontés et une tendresse qui m'ont valu autant de bonheur que j'éprouve aujourd'hui de douleur et d'amertume…» Si façonnée par l'auteur de l'Éloge de Madame Élisabeth que nous apparaisse cette note, elle est bien, aux efforts de style près, l'expression de ce que ressentait Mme de Bombelles auprès de Madame Élisabeth.

      Par cela même qu'elle était la compagne plus âgée de la princesse, dans ses jeux comme dans ses études, et compagne choisie non subie, Angélique devait exercer utile influence, aider puissamment Mme de Mackau à faire triompher son programme de femme de haute piété et d'opiniâtre persévérance. Là où Mme de Marsan, plus indolente, n'avait pas pleinement réussi, Mme de Mackau fut assez rapidement victorieuse. D'une enfant vaniteuse et personnelle elle ne devait pas tarder, avec l'aide de l'abbé de Montaigu, à faire une princesse éprise et respectueuse de ses devoirs; dès l'époque de sa première communion27, qui devait de si peu précéder le mariage de la princesse Clotilde avec le futur roi de Sardaigne, elle avait compris, suivant l'éloquente parole d'un de ses panégyristes28, non l'un des moindres, «qu'une partie de la religion consiste à ne pas faire porter aux autres le fardeau de nos imperfections et de nos caprices, mais, au contraire, à servir nos semblables, s'il se peut, ou du moins à leur témoigner de la bienveillance, ce qui n'est jamais difficile aux grands». Sa tendance originelle à l'orgueil fit bientôt place à la douceur et à l'affabilité, et ce qu'elle avait de trop ardent et de trop personnel s'atténua sensiblement et ne fut plus que de la franchise et de la fermeté.

      Quand, le 20 août, Madame Clotilde, mariée par procuration, partit pour le Piémont, ce fut pour sa sœur un cruel déchirement. Ce qu'étaient, à l'époque, ces mariages à l'étranger des Filles de France, on le sait: adieu suprême à la famille, à la patrie, à toutes les affections, à toutes les intimités de l'enfance et de la jeunesse. Elles n'avaient plus même, ces princesses, pour épancher leur cœur, cette consolation des correspondances intimes qui entretiennent les liens des parents et des élus de l'amitié. Toute lettre était obligée de subir l'estampille officielle, de suivre le canal diplomatique; souvent elle passait au crible des agents secrets des Gouvernements: la confiance, l'abandon disparaissaient de cet échange de pensées; il fallait user de subterfuges pour faire passer des lettres qui exprimaient autre chose que des phrases protocolaires. Madame Clotilde sera autorisée à venir de temps à autre jusqu'à Chambéry pour y recevoir des membres de sa famille. Elle aura l'occasion de revoir ses frères, mariés eux-mêmes à des princesses de Piémont, elle ne reverra jamais la jeune sœur dont elle avait protégé l'enfance et qui professait pour elle une si tendre et sincère affection.

      Les onze ans de Madame Élisabeth n'avaient pas encore la force de dissimuler ce qu'elle ressentait amèrement: elle se laissa aller, se sentant orpheline pour la seconde fois, à la violence de son désespoir. L'éclat de cette douleur fit impression à la Cour où ce genre de manifestations s'éteint d'ordinaire sous les règles de l'étiquette et la banalité des conventions: devoirs ou plaisirs. Marie-Antoinette s'en attendrit et, sous l'empire de cette émotion, elle put écrire à l'impératrice Marie-Thérèse: «Depuis le départ de la princesse de Piémont, je connais beaucoup plus ma sœur Élisabeth, c'est une charmante enfant qui a de l'esprit, du caractère et beaucoup de grâce. Elle a montré au départ de sa sœur une sensibilité bien au-dessus de son âge.»

      Si intéressante que soit la jeune princesse, il ne nous est pas permis de la suivre jour par jour dans le cours de ses études et de ses distractions29. Nous nous la figurons pourtant dans tous les déplacements de Cour, à Compiègne, à Fontainebleau, jouant comme précédemment les charades qu'a composées Mme de Marsan, la vicomtesse d'Aumale30, une des sous-gouvernantes, remplissant le rôle de souffleur, Mme de Mackau présidant aux répétitions. A ses côtés nous voyons toujours Angélique, compagne de jeux et compagne de «classe». Elle était le sourire quand, pour mieux se faire obéir, Mme de Mackau se croyait obligée de prendre le front sévère; elle représentait l'émulation et le goût au travail quand la jeune princesse avait le regard «absent». Elle la suivait dans ces courses de botanique, dont Madame Élisabeth se montrait si friande sous l'égide de Lemonnier, médecin des Enfants de France ou d'un autre savant, Dassy, médecin habitant Fontainebleau, elle l'accompagnait aux soupers de la famille royale où, dès sa douzième année, la sœur de Louis XVI est admise.

      Quand Mme de Marsan, peu après le départ de Madame Clotilde, eût donné sa démission et passé son «gouvernement» à la princesse de Guéménée, celle-ci voulut modifier la direction si sage jusqu'alors donnée. Dans la vie de Cour elle comprenait surtout les côtés brillants. La simplicité des goûts de Madame Élisabeth l'étonnait, et elle s'employa à lui donner toutes les distractions possibles, reprochant à sa tante, Mme de Marsan, «d'avoir formé la princesse pour la pauvreté du couvent, au lieu de l'avoir élevée pour occuper un des trônes d'Europe».

      La vérité est que Madame Élisabeth avait une prédilection pour la maison de Saint-Cyr. La comtesse de Marsan y conduisait volontiers ses élèves, les religieuses que ne gâtaient plus guère de visites royales accueillaient avec empressement les petites princesses, et c'était toujours une vraie joie pour Madame Élisabeth quand il lui était permis de passer une journée au milieu de ses chères orphelines. Elle aimait à leur répéter: «Je suis comme vous une enfant de la Providence», faisant allusion aux malheurs de son enfance; elle prenait part aux jeux, à la promenade et au goûter des jeunes filles, puis elle recevait à leurs côtés la bénédiction


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<p>26</p>

Les Mackau appartenaient à une noble et ancienne famille irlandaise. Au XIXe siècle le nom fut illustré par l'amiral de Mackau, une des gloires de la marine française. Il était le petit-fils de la baronne de Mackau, mère d'Angélique, et le père du vaillant champion des Droites à la Chambre, député de l'Orne depuis trente ans.

<p>27</p>

Le 13 août 1775.

<p>28</p>

Mgr Darboy, Préface à la Correspondance de Madame Elisabeth, publiée par Feuillet de Conches.

<p>29</p>

Voir la Vie de Madame Elisabeth, par M. de Beauchesne, et Madame Elisabeth, par Mme la comtesse d'Armaillé.

<p>30</p>

C'était aussi une ancienne élève de Saint-Cyr. Elle était douce et gaie et s'était fait aimer de Madame Elisabeth.