David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс

David Copperfield – Tome II - Чарльз Диккенс


Скачать книгу
contenterons d'y penser, comme si elle était bien loin, sous un autre ciel; nous nous contenterons de la confier à son mari, à ses petits enfants, peut-être, et d'attendre, pour la revoir, le temps où nous serons tous égaux devant Dieu!»

      La simple éloquence de son discours ne fut pas absolument sans effet. Mistress Steerforth conserva ses manières hautaines, mais son ton s'adoucit un peu en lui répondant:

      «Je ne justifie rien. Je n'accuse personne, mais je suis fâchée d'être obligée de répéter que c'est impraticable. Un mariage pareil détruirait sans retour tout l'avenir de mon fils. Cela ne se peut pas, et cela ne se fera pas: rien n'est plus certain. S'il y a quelque autre compensation…

      – Je regarde un visage qui me rappelle par sa ressemblance celui que j'ai vu en face de moi, interrompit M. Peggotty, avec un regard ferme mais étincelant, dans ma maison, au coin de mon feu, dans mon bateau, partout, avec un sourire amical, au moment où il méditait une trahison si noire, que j'en deviens à moitié fou quand j'y pense. Si le visage qui ressemble à celui-là ne devient pas rouge comme le feu à l'idée de m'offrir de l'argent pour me payer la perte et la ruine de mon enfant, il ne vaut pas mieux que l'autre; peut-être vaut-il moins encore, puisque c'est celui d'une dame.»

      Elle changea alors en un instant: elle rougit de colère, et dit avec hauteur, en serrant les bras de son fauteuil:

      «Et vous, quelle compensation pouvez-vous m'offrir pour l'abîme que vous avez ouvert entre mon fils et moi? Qu'est-ce que votre affection en comparaison de la mienne? Qu'est-ce que votre séparation au prix de la nôtre?»

      Miss Dartle la toucha doucement et pencha la tête pour lui parler tout bas, mais elle ne voulut pas l'écouter.

      «Non, Rosa, pas un mot! Que cet homme m'entende jusqu'au bout! Mon fils, qui a été le but unique de ma vie, à qui toutes mes pensées ont été consacrées, à qui je n'ai pas refusé un désir depuis son enfance, avec lequel j'ai vécu d'une seule existence depuis sa naissance, s'amouracher en un instant d'une misérable fille, et m'abandonner! Me récompenser de ma confiance par une déception systématique pour l'amour d'elle, et me quitter pour elle! Sacrifier à cette odieuse fantaisie les droits de sa mère à son respect, son affection, son obéissance, sa gratitude, des droits que chaque jour et chaque heure de sa vie avaient dû lui rendre sacrés! N'est-ce pas là aussi un tort irréparable?»

      Rosa Dartle essaya de nouveau de la calmer, mais ce fut en vain.

      «Je vous le répète, Rosa, pas un mot! S'il est capable de risquer tout sur un coup de dé pour le caprice le plus frivole, je puis le faire aussi pour un motif plus digne de moi. Qu'il aille où il voudra avec les ressources que mon amour lui a fournies! Croit-il me réduire par une longue absence? Il connaît bien peu sa mère s'il compte là-dessus. Qu'il renonce à l'instant à cette fantaisie, et il sera le bienvenu. S'il n'y renonce pas à l'instant, il ne m'approchera jamais, vivante on mourante, tant que je pourrai lever la main pour m'y opposer, jusqu'à ce que, débarrassé d'elle pour toujours, il vienne humblement implorer mon pardon. Voilà mon droit! Voilà la séparation qu'il a mise entre nous! Et n'est-ce pas là un tort irréparable?» dit-elle en regardant son visiteur du même air hautain qu'elle avait pris tout d'abord.

      En entendant, en voyant la mère, pendant qu'elle prononçait ces paroles, il me semblait voir et entendre son fils y répondre par un défi. Je retrouvais en elle tout ce que j'avais vu en lui d'obstination et d'entêtement. Tout ce que je savais par moi-même de l'énergie mal dirigée de Steerforth me faisait mieux comprendre le caractère de sa mère; je voyais clairement que leur âme, dans sa violence sauvage, était à l'unisson.

      Elle me dit alors tout haut, en reprenant la froideur de ses manières, qu'il était inutile d'en entendre ou d'en dire davantage, et qu'elle désirait mettre un terme à cette entrevue. Elle se levait d'un air de dignité pour quitter la chambre, quand M. Peggotty déclara que c'était inutile.

      «Ne craignez pas que je sois pour vous un embarras, madame: je n'ai plus rien à vous dire, reprit-il en faisant un pas vers la porte. Je suis venu ici sans espérance et je n'emporte aucun espoir. J'ai fait ce que je croyais devoir faire, mais je n'attendais rien de ma visite. Cette maison maudite a fait trop de mal à moi et aux miens pour que je pusse raisonnablement en espérer quelque chose.»

      Là-dessus nous partîmes, en la laissant debout à côté de son fauteuil, comme si elle posait pour un portrait de noble attitude avec un beau visage.

      Nous avions à traverser, pour sortir, une galerie vitrée qui servait de vestibule; une vigne en treille la couvrait tout entière de ses feuilles; il faisait beau et les portes qui donnaient dans le jardin étaient ouvertes. Rosa Dartle entra par là, sans bruit, au moment où nous passions, et s'adressant à moi:

      «Vous avez eu une belle idée, dit-elle, d'amener cet homme!»

      Je n'aurais pas cru qu'on pût concentrer, même sur ce visage, une expression de rage et de mépris comme celle qui obscurcissait ses traits et qui jaillissait de ses yeux noirs. La cicatrice du marteau était, comme toujours dans de pareils accès de colère, fortement accusée. Le tremblement nerveux que j'y avais déjà remarqué l'agitait encore, et elle y porta la main pour le contenir, en voyant que je la regardais.

      «Vous avez bien choisi votre homme pour l'amener ici et lui servir de champion, n'est-ce pas? Quel ami fidèle!

      – Miss Dartle, répliquai-je, vous n'êtes certainement pas assez injuste pour que ce soit moi que vous condamniez en ce moment?

      – Pourquoi venez-vous jeter la division entre ces deux créatures insensées, répliqua-t-elle; ne voyez-vous pas qu'ils sont fous tous les deux d'entêtement et d'orgueil?

      – Est-ce ma faute? repartis-je.

      – C'est votre faute! répliqua-t-elle. Pourquoi amenez-vous cet homme ici?

      – C'est un homme auquel on a fait bien du mal, miss Dartle, répondis-je; vous ne le savez peut-être pas.

      – Je sais que James Steerforth, dit-elle en pressant la main sur son sein comme pour empêcher d'éclater l'orage qui y régnait, a un coeur perfide et corrompu; je sais que c'est un traître. Mais qu'ai-je besoin de m'inquiéter de savoir ce qui regarde cet homme et sa misérable nièce?

      – Miss Dartle, répliquai-je, vous envenimez la plaie: elle n'est déjà que trop profonde. Je vous répète seulement, en vous quittant, que vous lui faites grand tort.

      – Je ne lui fais aucun tort, répliqua-t-elle: ce sont autant de misérables sans honneur, et, pour elle, je voudrais qu'on lui donnât le fouet.»

      M. Peggotty passa sans dire un mot et sortit.

      «Oh! c'est honteux, miss Dartle, c'est honteux, lui dis-je avec indignation. Comment pouvez-vous avoir le coeur de fouler aux pieds un homme accablé par une affliction si peu méritée?

      – Je voudrais les fouler tous aux pieds, répliqua-t-elle. Je voudrais voir sa maison détruite de fond en comble; je voudrais qu'on marquât la nièce au visage avec un fer rouge, qu'on la couvrît de haillons, et qu'on la jetât dans la rue pour y mourir de faim. Si j'avais le pouvoir de la juger, voilà ce que je lui ferais faire: non, non, voilà ce que je lui ferais moi-même! Je la déteste! Si je pouvais lui reprocher en face sa situation infâme, j'irais au bout du monde pour cela. Si je pouvais la poursuivre jusqu'au tombeau, je le ferais. S'il y avait à l'heure de sa mort un mot qui pût la consoler, et qu'il n'y eut que moi qui le sût, je mourrais plutôt que de le lui dire.»

      Toute la véhémence de ces paroles ne peut donner qu'une idée très- imparfaite de la passion qui la possédait tout entière et qui éclatait dans toute sa personne, quoiqu'elle eût baissé la voix au lieu de l'élever. Nulle description ne pourrait rendre le souvenir que j'ai conservé d'elle, dans cette ivresse de fureur. J'ai vu la colère sous bien des formes, je ne l'ai jamais vue sous celle-là.

      Quand je rejoignis M. Peggotty, il descendait la colline lentement et d'un air pensif. Il me dit, dès que je l'eus atteint, qu'ayant maintenant le coeur net de ce qu'il avait voulu faire à Londres, il avait l'intention de partir le soir même pour ses voyages. Je lui demandai où il comptait aller? Il me répondit seulement:

      «Je


Скачать книгу