Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre


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le demande un peu, pour que je crève un beau jour au moment où je m'y attendrai le moins, en tirant mes bottes? Mais silence, voici mon adversaire.

      En effet, par la même route qu'avaient suivie Roland et sir John à travers les sinuosités du terrain et les aspérités du rocher, on voyait apparaître la partie supérieure du corps de trois personnages qui allaient grandissant à mesure qu'ils approchaient.

      Roland les compta.

      – Trois. Pourquoi trois, dit-il, quand nous ne sommes que deux.

      – Ah! j'avais oublié, dit l'Anglais: M. de Barjols, autant dans votre intérêt que dans le sien, a demandé d'amener un chirurgien de ses amis.

      – Pourquoi faire? demanda Roland d'un ton brusque et en fronçant le sourcil.

      – Mais pour le cas où l'un de vous serait blessé; une saignée, dans certaines circonstances, peut sauver la vie à un homme.

      – Sir John, fit Roland avec une expression presque féroce, je ne comprends pas toutes ces délicatesses en matière de duel. Quand on se bat, c'est pour se tuer. Qu'on se fasse auparavant toutes sortes de politesses, comme vos ancêtres et les miens s'en sont fait à Fontenoy, très bien; mais, une fois que les épées sont hors du fourreau ou les pistolets chargés, il faut que la vie d'un homme paye la peine que l'on a prise et les battements de coeur que l'on a perdus. Moi, sur votre parole dhonneur, sir John, je vous demande une chose: c'est que blessé ou tué, vivant ou mort, le chirurgien de M. de Barjols ne me touchera pas.

      – Mais cependant, monsieur Roland…

      – Oh! c'est à prendre ou à laisser. Votre parole d'honneur, milord, ou, le diable m'emporte, je ne me bats pas.

      L'Anglais regarda le jeune homme avec étonnement: son visage était devenu livide, ses membres étaient agités d'un tremblement qui ressemblait à de la terreur.

      Sans rien comprendre à cette impression inexplicable, sir John donna sa parole.

      – À la bonne heure, fit Roland; tenez, c'est encore un des effets de cette charmante maladie: toujours je suis prêt à me trouver mal à lidée dune trousse déroulée, à la vue d'un bistouri ou d'une lancette. J'ai dû devenir très pâle, n'est-ce pas?

      – J'ai cru un instant que vous alliez vous évanouir.

      Roland éclata de rire.

      – Ah! la belle affaire que cela eût fait, dit-il, nos adversaires arrivant et vous trouvant occupé à me faire respirer des sels comme à une femme qui a des syncopes. Savez-vous ce qu'ils auraient dit, eux, et ce que vous auriez dit vous le premier? Ils auraient dit que j'avais peur. Les trois nouveaux venus, pendant ce temps, s'étaient avancés et se trouvaient à portée de la voix, de sorte que sir John n'eut pas même le temps de répondre à Roland.

      Ils saluèrent en arrivant. Roland, le sourire sur les lèvres, ses belles dents à fleur de lèvres, répondit à leur salut.

      Sir John s'approcha de son oreille.

      – Vous êtes encore un peu pâle, dit-il; allez faire un tour jusqu'à la fontaine; j'irai vous chercher quand il sera temps.

      – Ah! c'est une idée, cela, dit Roland; j'ai toujours eu envie de voir cette fameuse fontaine de Vaucluse, Hippocrène de Pétrarque. Vous connaissez son sonnet?

       Chiare, fresche e dolci acque Ove le belle membra Pose colei, che sofa a me par donna.

      – Et cette occasion-ci passée, je n'en retrouverais peut-être pas une pareille. De quel côté est-elle, votre fontaine?

      – Vous en êtes à trente pas; suivez le chemin, vous allez la trouver au détour de la route, au pied de cet énorme rocher dont vous voyez le faîte.

      – Milord, dit Roland, vous êtes le meilleur cicérone que je connaisse; merci.

      Et, faisant à son témoin un signe amical de la main, il s'éloigna dans la direction de la fontaine en chantonnant entre ses dents la charmante villanelle de Philippe Desportes:

       Rosette, pour un peu dabsence, Votre coeur vous avez changé. Et, moi sachant cette inconstance, Le mien autre part jai rangé. Jamais plus beauté si légère Sur moi tant de pouvoir naura; Nous verrons, volage bergère, Qui premier sen repentira.»

      Sir John se retourna aux modulations de cette voix à la fois fraîche et tendre, et qui, dans les notes élevées, avait quelque chose de la voix d'une femme; son esprit méthodique et froid ne comprenait rien à cette nature saccadée et nerveuse, sinon qu'il avait sous les yeux une des plus étonnantes organisations que l'on pût rencontrer.

      Les deux jeunes gens l'attendaient; le chirurgien se tenait un peu à l'écart.

      Sir John portait à la main sa boîte de pistolets; il la posa sur un rocher ayant la forme d'une table, tira de sa poche une petite clef qui semblait travaillée par un orfèvre, et non par un serrurier, et ouvrit la boîte. Les armes étaient magnifiques, quoique d'une grande simplicité; elles sortaient des ateliers de Menton, le grand-père de celui qui aujourd'hui est encore un des meilleurs arquebusiers de Londres. Il les donna à examiner au témoin de M. de Barjols, qui en fit jouer les ressorts et poussa la gâchette d'arrière en avant, pour voir s'ils étaient à double détente.

      Ils étaient à détente simple.

      M. de Barjols jeta dessus un coup d'oeil; mais ne les toucha même pas.

      – Notre adversaire ne connaît point vos armes? demanda

      M. de Valensolle.

      – Il ne les a même pas vues, répondit sir John, je vous en donne ma parole d'honneur.

      – Oh! fit M. de Valensolle, une simple dénégation suffisait.

      On régla une seconde fois, afin qu'il n'y eût point de malentendu, les conditions du combat déjà arrêtées; puis, ces conditions réglées, afin de perdre le moins de temps possible en préparatifs inutiles, on chargea les pistolets, on les remit tout chargés dans la boîte, on confia la boîte au chirurgien, et sir John, la clef de sa boîte dans sa poche alla chercher Roland.

      Il le trouva causant avec un petit pâtre qui faisait paître trois chèvres aux flancs roides et rocailleux de la montagne, et jetant des cailloux dans le bassin.

      Sir John ouvrait la bouche pour lui dire que tout était prêt; mais lui, sans donner à lAnglais le temps de parler:

      – Vous ne savez pas ce que me raconte cet enfant, milord! Une véritable légende des bords du Rhin. Il dit que ce bassin, dont on ne connaît pas le fond, s'étend à plus de deux ou trois lieues sous la montagne, et sert de demeure à une fée, moitié femme, moitié serpent, qui, dans les nuits calmes et pures de l'été, glisse à la surface de leau, appelant les pâtres de la montagne et ne leur montrant, bien entendu, que sa tête aux longs cheveux, ses épaules nues et ses beaux bras; mais les imbéciles se laissent prendre à ce semblant de femme: ils s'approchent, lui font signe de venir à eux, tandis que, de son côté, la fée leur fait signe de venir à elle. Les imprudents s'avancent sans s'en apercevoir, ne regardant pas à leurs pieds; tout à coup la terre leur manque, la fée étend le bras, plonge avec eux dans ses palais humides, et, le lendemain, reparaît seule. Qui diable a pu faire à ces idiots de bergers le même conte que Virgile racontait en si beaux vers à Auguste et à Mécène?

      Il demeura pensif un instant, et les yeux fixés sur cette eau azurée et profonde; puis, se retournant vers sir John:

      – On dit que jamais nageur, si vigoureux qu'il soit, n'a reparu après avoir plongé dans ce gouffre; si j'y plongeais, milord, ce serait peut-être plus sûr que la balle de M. de Barjols. Au fait, ce sera toujours une dernière ressource; en attendant, essayons de la balle. Allons, milord, allons.

      Et, prenant par dessous le bras l'Anglais émerveillé de cette mobilité d'esprit, il le ramena vers ceux qui les attendaient.

      Eux, pendant ce temps, s'étaient occupés de chercher un endroit convenable et l'avaient trouvé.

      C'était un petit plateau, accroché


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