Le corricolo. Dumas Alexandre

Le corricolo - Dumas Alexandre


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défendu, même en payant.

      – Oh! je paierai le double, le triple, le quadruple.

      – Je vous dis que c'est défendu! défendu! défendu! entendez-vous?

      – Moi vouloir absolument dessiner cette petite bêtise pour faire rire milady.

      – Alors l'invalide mettre vous au corps-de-garde.

      – L'Anglais être libre de dessiner ce qu'il veut.

      Et l'Anglais se remit à dessiner. L'invalide s'approcha d'un air inexorable.

      – Pardonnez, excellence, dit le lazzarone.

      – Parle à moi.

      – Voulez-vous absolument dessiner cette fresque?

      – Je le veux.

      – Et d'autres encore?

      – Oui, et d'autres encore; moi vouloir dessiner toutes les fresques.

      – Alors, dit le lazzarone, laissez-moi donner un conseil à votre excellence. Prenez un invalide aveugle.

      – Oh! oh! s'écria l'Anglais, plus émerveillé encore du second conseil que du premier, moi bien vouloir le invalide aveugle. Voilà deux piastres pour toi avoir trouvé le invalide aveugle.

      – Alors, sortons; j'irai chercher l'invalide aveugle, et vous renverrez l'invalide sourd, en le payant, bien entendu.

      – Je paierai le invalide sourd.

      L'Anglais renfonça son crayon dans son album, et son album dans sa poche; puis, sortant de la maison de Salustre, il fit semblant de s'arrêter devant un mur pour lire les inscriptions à la sanguine qui y sont tracées. Pendant ce temps, le lazzarone courait au corps-de-garde et en ramenait un invalide aveugle, conduit par un caniche noir. L'Anglais donna deux carlins à l'invalide sourd et le renvoya.

      L'Anglais voulait rentrer à l'instant même dans la maison du poète pour continuer son dessin; mais le lazzarone obtint de lui que, pour dérouter les soupçons, il ferait un petit détour. L'invalide aveugle marcha devant, et l'on continua la visite.

      Le chien de l'invalide connaissait son Pompéia sur le bout de la patte; c'était un gaillard qui en savait, en antiquités, plus que beaucoup de membres des inscriptions et belles-lettres. Il conduisit donc notre voyageur de la boutique du forgeron à la maison de Fortunata, et de la maison de Fortunata au four public.

      Ceux qui ont vu Pompéia savent que ce four public porte une singulière enseigne, modelée en terre cuite, peinte en vermillon, et au dessous de laquelle sont écrits ces trois mots: Hic habitat Felicitas.

      – Oh! oh! dit l'Anglais, les maisons être numérotées à Pompéia! Voilà le no. 1. Puis il ajouta tout bas au lazzarone: Moi vouloir peindre le no. 1 pour faire rire un peu milady.

      – Faites, dit le lazzarone; pendant ce temps j'amuserai le invalide.

      Et le lazzarone alla causer avec l'invalide tandis que l'Anglais faisait son croquis.

      Le croquis fut fait en quelques minutes.

      – Moi très content, dit l'Anglais; mais moi vouloir retourner à la maison du poète.

      – Castor! dit l'invalide à son chien; Castor, à la maison du poète!

      Et Castor revint sur ses pas et entra tout droit chez Salustre.

      Le lazzarone se remit à causer avec l'invalide, et l'Anglais acheva son dessin.

      – Oh! moi très content, très content! dit l'Anglais; mais moi vouloir en faire d'autres.

      – Alors continuons, dit le lazzarone.

      Comme on le comprend bien, l'occasion ne manqua pas à l'Anglais d'augmenter sa collection de drôleries; les anciens avaient à cet endroit l'imagination fort vagabonde. En moins de deux heures, il se trouva avoir un album fort respectable.

      Sur ces entrefaites, on arriva à une fouille: c'était, à ce qu'il paraissait, la maison d'un fort riche particulier, car on en tirait une multitude de statuettes, de bronzes, de curiosités plus précieuses les unes que autres, que l'on portait aussitôt dans une maison à côté. L'Anglais entra dans ce musée improvisé et s'arrêta devant une petite statue de satyre haute de six pouces, et qui avait toutes les qualités nécessaires pour attirer son attention.

      – Oh! dit l'Anglais, moi vouloir acheter cette petite statue.

      – Le roi de Naples pas vouloir la vendre, répondit le lazzarone.

      – Moi je paierai ce qu'on voudra, pour faire rire un peu milady.

      – Je vous dis qu'elle n'est point à vendre.

      – Moi la paierai le double, le triple, le quadruple.

      – Pardon, excellence, dit le lazzarone en changeant de ton, je vous ai déjà donné deux conseils, vous vous en êtes bien trouvé; voulez-vous que je vous en donne un troisième? Eh bien! n'achetez point la statue, volez-la.

      – Oh! toi avoir raison. Avec cela, nous avoir l'invalide aveugle. Oh! oh! oh! ce être très original.

      – Oui; mais avoir Castor, qui a deux bons yeux et seize bonnes dents, et qui, si vous y touchez seulement du bout du doigt, vous sautera à la gorge.

      – Moi, donner une boulette à Castor.

      – Faites mieux: prenez un invalide boiteux. Comme vous avez à peu près tout vu, vous mettrez la statuette dans votre poche et nous nous sauverons. Il criera; mais nous aurons des jambes, et il n'en aura pas.

      – Oh! s'écria l'Anglais, encore plus émerveillé du troisième conseil que du second, moi bien vouloir le invalide boiteux; voilà trois piastres pour toi avoir trouvé le invalide boiteux.

      Et pour ne point donner de soupçons à l'invalide aveugle et surtout à Castor, l'Anglais sortit et fit semblant de regarder une fontaine en coquillages d'un rococo mirobolant, tandis que le lazzarone était allé chercher le nouveau guide.

      Un quart d'heure après il revint accompagné d'un invalide qui avait deux jambes de bois; il savait que l'Anglais ne marchanderait pas, et il ramenait ce qu'il avait trouvé de mieux dans ce genre.

      On donna trois carlins à l'invalide aveugle, deux pour lui, un pour Castor, et on les renvoya tous les deux.

      Il ne restait à voir que les théâtres, le Forum nundiarium et le temple d'Isis; l'Anglais et le lazzarone visitèrent ces trois antiquités avec la vénération convenable; puis l'Anglais, du ton le plus dégagé qu'il put prendre, demanda à voir encore une fois le produit des fouilles de la maison qu'on venait de découvrir; l'invalide, sans défiance aucune, ramena l'Anglais au petit musée.

      Tous trois entrèrent dans la chambre où les curiosités étaient étalées sur des planches clouées contre la muraille.

      Tandis que l'Anglais allait, tournait, virait, revenant sans avoir l'air d'y toucher, à sa statuette, le lazzarone s'amusait à tendre, à la hauteur de deux pieds, une corde devant la porte. Quand la corde fut bien assurée il fit signe à l'Anglais, l'Anglais mit la statuette dans sa poche, et, pendant que l'invalide ébahi le regardait faire, il sauta par dessus la corde, et, précédé par le lazzarone, il se sauva à toutes jambes par la porte de Stabie, se trouva sur la route de Salerne, rencontra un corricolo qui retournait à Naples, sauta dedans et rejoignit sa calèche, qui l'attendait à la via del Sepolcri. Deux heures après avoir quitté Pompéia il était à Torre del Greco, et une heure après avoir quitté Torre del Greco il était à Naples.

      Quant à l'invalide, il avait d'abord essayé d'enjamber par dessus la corde, mais le lazzarone avait établi sa barrière à une hauteur qui ne permettait à aucune jambe de bois de la franchir: l'invalide avait alors tenté de la dénouer; mais le lazzarone avait été pêcheur dans ses momens perdus, et savait faire ce fameux noeud à la marinière qui n'est autre chose que le noeud gordien. Enfin l'invalide, à l'exemple d'Alexandre-le-Grand, avait voulu couper ce qu'il ne pouvait dénouer, et avait tiré son sabre; mais son sabre, qui n'avait jamais coupé que très peu, ne coupait


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