Le corricolo. Dumas Alexandre

Le corricolo - Dumas Alexandre


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de ses vices est d'aimer les plaisirs. Les plaisirs ne lui manquent pas. Énumérons les plaisirs du lazzarone.

      Il a l'improvisateur du môle. Malheureusement, nous avons dit qu'à Naples il y avait beaucoup de choses qui s'en allaient, et l'improvisateur est une des choses qui s'en vont.

      Pourquoi l'improvisateur s'en va-t-il? quelle est la cause de sa décadence? Voilà ce que tout le monde s'est demandé et ce que personne n'a pu résoudre.

      On a dit que le prédicateur lui avait ouvert une concurrence: c'est vrai; mais examinez sur la même place le prédicateur et l'improvisateur, vous verrez que le prédicateur prêche dans le désert, et que l'improvisateur chante pour la foule. Ce ne peut donc être le prédicateur qui ait tué l'improvisateur.

      On a dit que l'Arioste avait vieilli; que la folie de Roland était un peu bien connue; que les amours de Médor et d'Angélique, éternellement répétées, étaient au bout de leur intérêt; enfin que, depuis la découverte des bateaux à vapeur et des allumettes chimiques, les sorcelleries de Merlin avaient paru bien pâles.

      Rien de tout cela n'est vrai, et la preuve c'est que, l'improvisateur coupant les séances comme le poète coupe ses chants, et s'arrêtant chaque soir à l'endroit le plus intéressant, il n'y a pas de nuit que quelque lazzarone impatient n'aille réveiller l'improvisateur pour avoir la suite de son récit.

      D'ailleurs, ce n'est pas l'auditoire qui manque à l'improvisateur, c'est l'improvisateur qui manque à l'auditoire.

      Eh bien! cette cause de la décadence de l'improvisation, je crois l'avoir trouvée: la voici. L'improvisateur est aveugle comme Homère; comme Homère, il tend son chapeau à la foule pour en obtenir une faible rétribution; c'est cette rétribution, si modique qu'elle soit, qui perpétue l'improvisateur.

      Or, qu'arrive-t-il à Naples? C'est que, lorsque l'improvisateur fait le tour du cercle tendant son chapeau, il y a des spectateurs poétiques et consciencieux qui y plongent la main pour y laisser un sou; mais il y en a aussi qui, abusant du même geste, au lieu d'y mettre un sou, en retirent deux.

      Il en résulte que, lorsque l'improvisateur a fini sa tournée, il retrouve son chapeau aussi parfaitement vide qu'avant de l'avoir commencée, moins la coiffe.

      Cet état de choses, comme on le comprend, ne peut durer: il faut à l'art une subvention; à défaut de subvention, l'art disparaît. Or, comme je doute que le gouvernement de Naples subventionne jamais l'improvisateur, l'art de l'improvisation est sur le point de disparaître.

      C'est donc un plaisir qui va échapper au lazzarone; mais, Dieu merci! à défaut de celui-ci, il en a d'autres.

      Il a la revue que le roi tous les huit jours passe de son armée.

      Le roi de Naples est un des rois les plus guerriers de la terre; tout jeune, il faisait déjà changer les uniformes des troupes. C'est à propos d'un de ces changemens, qui ne s'opéraient pas sans porter quelque atteinte au trésor, que son aïeul Ferdinand, roi plein de sens, lui disait les paroles mémorables qui prouvaient le cas que le roi faisait, non pas sans doute du courage, mais de la composition de son armée: – Mon cher enfant, habille-les de blanc, habille-les de rouge, ils s'enfuiront toujours.

      Cela n'arrêta pas le moins du monde le jeune prince dans ses dispositions belliqueuses; il continua d'étudier le demi-tour à droite et le demi-tour à gauche; il amena des perfectionnemens dans la coupe de l'habit et la forme du schako; enfin, il parvint à élargir les cadres de son armée jusqu'à ce qu'il pût y faire entrer cinquante mille hommes à peu près.

      C'est, comme on le voit, un fort joli joujou royal que cinquante mille soldats qui marchent, qui s'arrêtent, qui tournent, qui virent à la parole, ni plus ni moins que si chacune de ces cinquante mille individualités était une mécanique.

      Maintenant, examinons comment cette mécanique est montée, et cela sans faire tort le moins du monde au génie organisateur du roi et au courage individuel de chaque soldat.

      Le premier corps, le corps privilégié, le corps par excellence de toutes les royautés qui tremblent, celui auquel est confiée la garde du palais, est composé de Suisses; leurs avantages sont une paie plus élevée; leurs priviléges, le droit de porter le sabre dans la ville.

      La garde ne vient qu'en second, ce qui fait que, quoique jouissant à peu près des mêmes avantages et des mêmes priviléges que les Suisses, elle exècre ces dignes descendans de Guillaume Tell, qui, à ses yeux, ont commis un crime irrémissible, celui de lui avoir pris le premier rang.

      Apres la garde vient la légion sicilienne, qui exècre les Suisses parce qu'ils sont Suisses, et les Napolitains parce qu'ils sont Napolitains.

      Après les Siciliens vient la ligne, qui exècre les Suisses et la garde parce que ces deux corps ont des avantages qu'elle n'a pas et des priviléges qu'on lui refuse, et les Siciliens par la seule raison qu'ils sont Siciliens.

      Enfin, vient la gendarmerie, qui, en sa qualité de gendarmerie, est naturellement exécrée par les autres corps.

      Voilà les cinq élémens dont se compose l'armée de Ferdinand II, cette formidable armée que le gouvernement napolitain offrait au prince impérial de Russie comme l'avant-garde de la future coalition qui devait marcher sur la France.

      Mettez dans une plaine les Suisses et la garde, les Siciliens et la ligne; faites-leur donner le signal du combat par la gendarmerie, et Suisses, Napolitains, Siciliens et gendarmes s'entr'égorgeront depuis le premier jusqu'au dernier, sans rompre d'une semelle. Échelonnez ces cinq corps contre l'ennemi, aucun ne tiendra peut-être, car chaque échelon sera convaincu qu'il a moins à craindre de l'ennemi que de ses alliés, et que, si mal attaqué qu'il sera par lui, il sera encore plus mal soutenu par les autres.

      Cela n'empêche pas que, lorsque cette mécanique militaire fonctionne, elle ne soit fort agréable à voir. Aussi, quand le lazzarone la regarde opérer, il bat des mains; lorsqu'il entend sa musique, il fait la roue. Seulement, lorsqu'elle fait l'exercice à feu, il se sauve: il peut rester une baguette dans les fusils; cela s'est vu.

      Mais le lazzarone a encore d'autres plaisirs.

      Il a les cloches qui, partout, sonnent, et qui, à Naples, chantent. L'instrument du lazzarone, c'est la cloche. Plus heureux que Guildenstern qui refuse à Hamlet de jouer de la flûte sous prétexte qu'il ne sait pas en jouer, le lazzarone sait jouer de la cloche sans l'avoir appris. Veut-il, après un long repos, un exercice agréable et sain, il entre dans une église et prie le sacristain de lui laisser sonner la cloche; le sacristain, enchanté de se reposer, se fait prier un instant pour donner de la valeur à sa concession; puis il lui passe la corde: le lazzarone s'y pend aussitôt, et, tandis que le sacristain se croise les bras, le lazzarone fait de la voltige.

      Il a la voiture qui passe et qui le promène gratis. A Naples, il n'y a pas de domestique qui consente à se tenir debout derrière une voiture, ni de maître qui permette que le domestique se tienne assis à côté de lui. Il en résulte que le domestique monte près du cocher et que le lazzarone monte derrière. On a essayé tous les moyens de chasser le lazzarone de ce poste, et tous les moyens ont échoué. La chose est passée en coutume, et, comme toute chose passée en coutume, a aujourd'hui force de loi.

      Il a la parade des Puppi. Le lazzarone n'entre pas dans l'intérieur où se joue la pièce, c'est vrai. Aux Puppi, les premières coûtent cinq sous, l'orchestre trois sous, et le parterre six liards. Ces prix exorbitans dépassent de beaucoup les moyens des lazzaroni. Mais, pour attirer les chalands, on apporte sur des tréteaux dressés devant l'entrée du théâtre les principales marionnettes revêtues de leur grand costume. C'est le roi Latinus avec son manteau royal, son sceptre à la main, sa couronne sur sa tête; c'est la reine Amata, vêtue de sa robe de grand gala et le front serré avec le bandeau qui lui serrera la gorge; c'est le pieux Eneas, tenant à la main la grande épée qui occira Turnus; c'est la jeune Lavinie, les cheveux ombragés de la fleur d'oranger virginale; c'est enfin Polichinelle. Personnage indispensable, diplomate universel, Talleyrand contemporain de Moïse et de Sésostris, Polichinelle est chargé de maintenir la paix entre les Troyens et les Latins; et, lorsqu'il perdra tout espoir d'arranger les choses, il montera sur un arbre pour regarder la bataille, et n'en descendra que pour en enterrer les


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