Le corricolo. Dumas Alexandre
de ses compagnons.
L'Anglais avait fait les trois choses les plus expressément défendues à Naples: il avait dit du mal du roi, il avait copié des fresques, il avait volé une statue; et tout cela, non pas grâce à son argent, son argent ne lui servit de rien pour ces trois choses, mais grâce à l'imaginative d'un lazzarone.
Mais, pensera-t-on, parmi ces choses, il y en a une qui n'est ni plus ni moins qu'un vol. Je répondrai que le lazzarone est essentiellement voleur; c'est-à-dire que le lazzarone a ses idées à lui sur la propriété, ce qui l'empêche d'adopter à cet endroit les idées des autres. Le lazzarone n'est pas voleur, il est conquérant; il ne dérobe pas, il prend. Le lazzarone a beaucoup du Spartiate: pour lui la soustraction est une vertu, pourvu que la soustraction se fasse avec adresse. Il n'y a de voleurs, à ses yeux, que ceux qui se laissent prendre. Aussi, afin de n'être pas pris, le lazzarone s'associe parfois arec le sbire.
Le sbire n'est souvent lui-même qu'un lazzarone armé par la loi. Le sbire a un aspect formidable; il porte une carabine, une paire de pistolets et un sabre. Le sbire est chargé de faire la police de seconde main: il veille sur la sécurité publique entre deux patrouilles. En cas d'association, aussitôt que la patrouille est passée, le sbire met une pierre sur une borne pour indiquer au lazzarone qu'il peut voler en toute sûreté.
Quand le lazzarone a volé, le sbire parait.
Alors le sbire et le lazzarone partagent en frères.
Seulement, en ce cas, il arrive parfois aussi que le sbire vole le lazzarone ou que le lazzarone escroque le sbire: notre pauvre monde va tellement de mal en pis, qu'on ne peut plus compter sur la conscience, même des fripons.
Le gouvernement sait cela, et il essaie d'y remédier en changeant les sbires de quartier; alors ce sont de nouvelles associations à faire, de nouvelles compagnies d'assurance mutuelle à organiser.
Le sbire se met en embuscade dans la rue de Chiaja, de Toledo ou de Forcella, et, quand il veut, il est sûr, dès le soir de la première journée, d'avoir déjà établi des relations commerciales qui le dédommagent de celles qu'il vient d'être forcé de rompre.
Comme le lazzarone n'a pas de poches, on le trouve éternellement la main dans la poche des autres.
Le lazzarone ne tarde donc jamais à être pris en flagrant délit par le sbire; alors le marché s'établit.
Le sbire, généreux comme Orosmane, propose une rançon.
Le lazzarone, fidèle à sa parole comme Lusignan, dégage sa parole au bout de dix minutes, d'une demi-heure, d'une heure au plus tard.
Parfois cependant, comme je l'ai dit, le sbire abuse de sa puissance ou le lazzarone de son adresse.
Un jour, en passant dans la rue de Tolède, j'ai vu arrêter un sbire. Comme le chasseur de La Fontaine, il avait été insatiable, et il était puni par où il avait péché.
Voici ce qui était arrivé:
Un sbire avait pris un lazzarone en flagrant délit.
– Qu'as-tu volé à ce monsieur en noir qui vient de passer? demanda le sbire.
– Rien, absolument rien, excellence, répondit le lazzarone (le lazzarone appelle le sbire excellence).
– Je t'ai vu la main dans sa poche.
– Sa poche était vide.
– Comment! pas un mouchoir, pas une tabatière, pas une bourse?
– C'était un savant, excellence.
– Pourquoi t'adresses-tu à ces sortes de gens
– Je l'ai reconnu trop tard.
– Allons, suis-moi à la police.
– Comment! mais puisque je n'ai rien volé, excellence.
– C'est justement pour cela, imbécile. Si tu avais volé quelque chose, on s'arrangerait.
– Eh bien! c'est partie remise, voilà tout; je ne serai pas toujours si malheureux.
– Me promets-tu, d'ici à une demi-heure, de me dédommager?
– Je vous le promets, excellence.
– Comment cela?
– Ce qu'il y a dans la poche du premier passant sera pour vous.
– Soit, mais je choisirai l'individu; je ne me soucie pas que tu ailles encore faire quelque bêtise pareille à l'autre.
– Vous choisirez.
Le sbire s'appuie majestueusement contre une borne; le lazzarone se couche paresseusement à ses pieds.
Un abbé, un avocat, un poète, passent successivement sans que le sbire bouge. Un jeune officier, leste, pimpant, paré d'un charmant uniforme, paraît à son tour; le sbire donne le signal.
Le lazzarone se lève et suit l'officier; tous deux disparaissent à l'angle de la première rue. Un instant après, le lazzarone revient tenant sa rançon à la main.
– Qu'est-ce que c'est que cela? demande le sbire.
– Un mouchoir, répond le lazzarone.
– Voilà tout?
– Comment, voilà tout? c'est de la batiste!
– Est-ce qu'il n'en avait qu'un seul1?
– Un seul dans cette poche-là.
– Et dans l'autre?
– Dans l'autre il avait son foulard.
– Pourquoi ne l'as-tu pas apporté?
– Celui-là, je le garde pour moi, excellence.
– Comment, pour toi?
– Oui. N'est-il pas convenu que nous partageons?
– Eh bien?
– Eh bien! chacun sa poche.
– J'ai droit à tout.
– A la moitié, excellence.
– Je veux le foulard.
– Mais, excellence…
– Je veux le foulard!
– C'est une injustice.
– Ah! tu dis du mal des employés du gouvernement. En prison, drôle! en prison!
– Vous aurez le foulard, excellence.
– Je veux celui de l'officier.
– Vous aurez celui de l'officier.
– Où le retrouveras-tu!
– Il était allé chez sa maîtresse, rue de Foria; je vais l'attendre à la porte.
Le lazzarone remonte la rue, disparaît, et va s'embusquer dans une grande porte de la rue de Foria.
Au bout d'un instant, le jeune officier sort; il n'a pas fait dix pas qu'il fouille à sa poche et s'aperçoit qu'elle est vide.
– Pardon, excellence, dit le lazzarone, vous cherchez quelque chose?
– J'ai perdu un mouchoir de batiste.
– Votre excellence ne l'a pas perdu, on le lui a volé.
– Et quel est le brigand?..
– Qu'est-ce que votre excellence me donnera si je lui trouve son voleur?
– Je te donnerai une piastre!
– J'en veux deux.
– Va pour deux piastres. Eh bien! que fais-tu?
– Je vous vole votre foulard?
– Pour me faire retrouver mon mouchoir?
– Oui.
– Et où seront-ils tous les deux?
– Dans la même poche. Celui à qui je donnerai votre foulard est celui à qui j'ai
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A Naples, on a toujours deux mouchoirs dans sa poche: un mouchoir de batiste pour s'essuyer, un mouchoir de soie pour se moucher; il y a même des élégans qui en ont un troisième avec lequel ils époussettent leurs bottes, pour faire croire qu'ils sont venus en voiture.