Glossaire du patois normand. Du Bois Louis François
la France centrale et de l'Armorique, les troubadours par le languedocien, les trouvères par le picard.»
§ VI
Le plus célèbre des Glossaires patois est celui que La Monnoye fit, en 1701, imprimer avec ses Noëls bourguignons 6. Plusieurs érudits en composèrent aussi pour d'anciens ouvrages qu'ils mirent au jour.
En 1629, la Bibliothèque bleue, que donnait à Troyes le fameux Oudot, vendait un petit dictionnaire d'argot, d'après lequel Grandval fit un lexique à la fin de son poème de Cartouche, en 1723.
En 1649, un petit poème en vers normands parut à Rouen.
On eut, en 1655, le recueil de Ferrand.
En 1672, Moisant de Brieux fit imprimer à Caen ses Origines de quelques coutumes anciennes et façons de parler triviales.
En 1780, Harduin lut à l'Académie d'Arras des Recherches sur le langage art3sien.
En 1786, le Dictionnaire du vieux langage, contenant aussi la langue romance ou provençale et la normande, fut mis au jour en deux volumes.
En 1841, les patois et dialectes de la langue d'Oil (bourguignon, normand, picard et walon) fournirent la matière de plusieurs articles dans les Mémoires de l'Académie de Douai.
Quant à l'origine des patois, le savant Jérôme-Jacques Oberlin, qui composa, en 1775, un Essai fort abrégé sur le patois lorrain des environs du comté du Ban de La Roche, reconnut judicieusement que «le patois des provinces de la France, fort différent en lui-même, remonte, quant à son origine, partout aux changements que la langue latine, introduite autrefois par les Romains et corrompue ensuite en rustique et romane, eut à essuyer depuis le XIe ou le XIIe siècle environ». L'altération du langage des Gaules et l'amalgame de la langue latine commença bien plus tôt, presque dès la conquête, sous l'administration de Rome, par la fréquentation et le mélange des vaincus avec les vainqueurs. Oberlin qui avait été précédé par Dom Jean-François en 1773, et par Gabriel en 1777, trouva encore à glaner après eux en 1794, et remarqua que «les termes les plus obscurs du moyen-âge se retrouvent dans le langage usuel des habitants de la campagne.»
C'est chez les paysans, encore aujourd'hui, qu'il faut surtout aller chercher, étudier et constater les patois; et c'est ce que nous avons fait pendant un grand nombre d'années.
Contrairement au désir de la Convention nationale en 1794 7, on avait depuis long-temps, ainsi que nous l'avons dit plus haut, senti la nécessité de conserver ce qui nous restait de nos anciens patois. Ronsard, auquel Boileau a précisément reproché son hellénomanie, Ronsard suppliait les poètes de n'être plus tant latiniseurs et grécaniseurs, et de prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle. Le savant Henri Estienne dit que nous devrions faire notre profit des mots et des façons de parler que nous trouvons dans notre pays: opinion très-sage que Malherbe émit aussi peu de temps après.
Les savants lexicographes anglais 8 n'ont pas, comme notre Académie française, dédaigné les patois de leur pays. Fléming et Tibbins les ont admis dans leur excellent dictionnaire de la langue anglaise; et Burns, Walter-Scott, entre autres écrivains distingués, se sont servi avec succès de ces pittoresques vocables.
§ VII
Enfin l'Académie celtique, qui devint l'Académie des antiquaires de France, s'adressa à notre ministre de l'intérieur; il s'empressa d'écrire, le 13 novembre 1807, une circulaire aux préfets pour leur recommander de faire recueillir et de lui adresser ce qu'il serait possible de rassembler de mots patois conservés dans leur département. C'était réparer le mal fait par le rapport de Grégoire.
L'appel de l'Académie celtique et du ministre fut entendu et fit naître plusieurs recueils de ces termes jusqu'alors dédaignés, tels que le Patois roman du pays de Vaud 9, le Vocabulaire vendéen, etc.
§ VIII
Pendant le XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, les ouvrages sur les patois se multiplièrent. Nous n'allons citer que les principaux:
1753. Essai d'un Dictionnaire franc-comtois, publié par Mme Brun. Réimprimé en 1755.
1756. Dictionnaire languedocien, par l'abbé De S. (De Sauvage); nouvelle édition, 1785. 2 vol. in-8º.
1777. Dictionnaire roman, walon, celtique et tudesque, par Gabriel.
1787. Dictionnaire walon, par l'abbé Cambresier.
1807. Dictionnaire lorrain, par Michel.
1809. Nouvelles recherches sur le patois ou idiomes vulgaires de la France, et en particulier sur ceux du département de l'Isère, par J. – J. Champollion-Figeac.
1822. Dictionnaire du patois du Bas-Limousin, par Béronie; augmenté et publié par Vialle.
1835. Patois de l'arrondissement de Bayeux, par F. Pluquet; deuxième édition, 1834.
1826. Dissertation sur la langue basque, par Lécluse.
1834. Dictionnaire rouchi, par Hécart; troisième édition.
1840. Tableau synoptique et comparatif des idiomes populaires ou patois de la France, par J. – F. Schnakenburg. Berlin.
1841. Des patois et de l'utilité de leur étude, par M. Pierquin de Gembloux.
1842. Vocabulaire du Berry et des provinces voisines; seconde édition.
1849. Dictionnaire du patois normand, par MM. Duméril.
1851. Glossaire étymologique et comparatif du patois picard ancien et moderne, par M. l'abbé Jules Corblet.
1852. Dictionnaire du patois du pays de Bray, par l'abbé Decorde.
§ IX
Nous ne nous sommes pas borné aux simples vocables patois; nous avons rassemblé les différentes façons de parler, certains proverbes particuliers à notre province, divers jurons, beaucoup d'articulations et de lettres euphoniques ou prétendues telles, que le peuple introduit parfois au gré de son caprice plutôt qu'en vertu de principes fondés sur l'usage ou la raison.
C'est après avoir étudié, dans les différentes localités de la Normandie, le sens de chaque mot employé, que nous nous sommes attaché à en donner une définition précise autant qu'exacte, et à faire connaître sa véritable acception. Quant à l'orthographe, nous avons tâché de concilier la prononciation reçue actuellement avec l'étymologie évidente, en nous écartant le moins possible de la manière d'écrire les mots français admis dans le Dictionnaire de l'Académie.
Mesnil-Durand, 1854.
Louis DU BOIS.
BIOGRAPHIE DE LOUIS DU BOIS
Il faut avoir vécu dans l'intimité de Louis Du Bois, l'avoir, comme nous, visité dans sa retraite de Mesnil-Durand, avoir reçu ses confidences, parcouru ses manuscrits, feuilleté ses livres des genres les plus divers, chargés de notes savantes, de rectifications innombrables, d'additions précieuses; il faut avoir assisté, comme nous, à son inventaire, pour se faire une idée nette de la variété de ses connaissances et de la multiplicité de ses travaux. Peu d'hommes étudièrent avec la même ardeur les diverses branches de l'arbre encyclopédique, et cueillirent plus de fruits sur un plus grand nombre de ses rameaux. Histoire et antiquités; politique et religion; agriculture, horticulture et économie domestique; biographie et bibliographie, romans et poésies dans presque tous les genres; critique, commentaires, philologie, traductions exercèrent tour à tour sa plume laborieuse et facile, et ses nombreux ouvrages imprimés ne font pas le tiers des ouvrages qu'il avait faits, commencés ou projetés. En publiant l'une de ses œuvres posthumes, nous croyons devoir esquisser sa vie que d'autres pourront écrire un jour avec plus de détails.
Du
6
7
16 prairial, an 11 (4 juin 1794).
8
La langue romane, importée par la conquête de notre duc Guillaume en 1066, fut bannie des tribunaux anglais, où elle s'était maintenue pendant près de trois siècles, par un arrêt du Parlement de 1361.
9
Emmanuel Déveley fit imprimer, en 1824, la seconde édition de ses