Mathilde. Эжен Сю

Mathilde - Эжен Сю


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vieux domestique reconduisit les deux jeunes gens, et l'hôtel d'Orbesson redevint silencieux et solitaire.

      Les habitués du café Lebœuf, aux aguets depuis le matin, avaient vu entrer les deux jeunes gens.

      Lorsque ceux-ci sortirent pour remonter dans leur voiture, M. Godet, poussé par son invincible curiosité, ouvrit la porte du café, s'avança tête nue vers Gaston, et lui dit d'un air mystérieux et familier:

      – Eh bien, jeune homme! où en sommes-nous? Vous qui avez pénétré dans le capharnaüm du Vampire, vous pouvez nous dire comment est l'intérieur de son antre. Vous a-t-il rendu le coffret de la jolie dame? Vous l'avez, j'espère, joliment tancé, joliment rabroué?

      Alfred et Gaston montèrent en voiture sans répondre un mot aux questions de M. Godet.

      Le valet de pied referma la portière, dit au cocher: A l'hôtel… et l'habitué resta désappointé.

      – Impertinent! joli cœur! – dit Godet. – Tu étais bien plus poli hier, lorsqu'il s'agissait de me soutirer mon secret! C'est égal, ils étaient pâles… ils avaient l'air vexé; c'est toujours cela.

      En rentrant dans le café, M. Godet fut assailli d'interrogations.

      Il prit un air important, et répondit: – Ces messieurs n'ont eu que le temps de me donner quelques détails et de me remercier de mon obligeance. C'est demain matin que tout s'éclaircira.

      Cette défaite, qui se trouva par hasard être la vérité, fut parfaitement accueillie par les habitués; ils attendirent le lendemain avec impatience.

      Ce jour devait être, en effet, un grand jour pour les curieux du café Lebœuf.

      A huit heures, le domestique du colonel sortit seul; il revint environ une heure après en fiacre, amenant avec lui deux soldats d'infanterie.

      – Tiens, – s'écria M. Godet, déjà placé à son poste d'observateur, – il est allé chercher la garde! C'est peut-être pour défendre son maître contre les deux jeunes gens. Il paraît que le Vampire n'est pas crâne.

      – Si c'était la garde, – fit observer quelqu'un, les soldats auraient leurs fusils et leurs gibernes, tandis qu'ils n'ont que leurs sabres.

      – C'est juste; mais alors à quoi bon des soldats, si ce n'est pour prêter main forte au Vampire?

      La discussion en était là lorsque la porte de l'hôtel d'Orbesson s'ouvrit: le colonel en sortit enveloppé d'un grand manteau; il monta dans le fiacre avec les deux soldats.

      La voiture partie, le vieux domestique, au lieu de rentrer aussitôt dans l'intérieur de la maison, selon son habitude, resta quelques moments sur le seuil de la porte en jetant un regard inquiet dans la direction de la voiture… puis il se retira et referma brusquement la porte…

      Ces mouvements n'échappèrent pas aux espies du café Lebœuf; ils ne comprenaient rien à la conduite du colonel: où pouvait-il aller en compagnie de ces deux soldats?

      La veuve fit observer qu'elle avait cru voir comme un fourreau d'épée sortir de dessous le manteau du colonel; mais elle n'osa l'affirmer.

      – Comment, une épée? mais attendez donc, attendez donc… – dit M. Godet en se frottant joyeusement les mains, – mais vous pourriez avoir raison; il s'agit peut-être d'un duel avec ces deux godelureaux d'hier… Mais ça devient très-amusant… Nous en aurons pour notre argent! bravo!

      – S'il y avait un duel, – s'écria la rancunière veuve, – je donnerais bien quelque chose de ma poche pour que ce grand ricaneur qui a fait tant ses embarras pour une malheureuse araignée, attrapât un bon coup de… n'importe quoi.

      – N'ayant pas autrement à me louer de la politesse et de la reconnaissance de ces godelureaux, je me joins à vous pour leur souhaiter quelque chose de très-désagréable, ma chère madame Lebœuf. Pourtant s'il s'agissait d'un duel, il faudrait des témoins.

      – Eh… ces soldats?..

      – Allons donc, ma chère madame Lebœuf, le Vampire est colonel, il n'irait pas prendre pour témoins deux simples voltigeurs. Ce serait contre toutes les règles de la discipline. Ah çà! que diable vient encore faire ce domestique sur le seuil de la porte? – ajouta M. Godet en regardant à travers les carreaux. – Depuis que son maître est parti, voilà trois fois qu'il vient se planter là, droit comme un therme. Ceci n'est pas naturel, il se passe quelque chose, il a l'air inquiet… Si j'allais l'interroger?

      – Le moment serait mal choisi, monsieur Godet, – dit la veuve; – ne vous exposez pas aux brutalités de ce vieux misérable…

      – Silence!.. silence!.. j'entends le roulement d'une voiture, – dit M. Godet en collant de nouveau sa figure aux carreaux.

      En effet, le fiacre revenait avec les deux soldats et le colonel.

      Celui-ci sauta lestement de voiture, dit quelques mots aux soldats, leur serra la main et les congédia.

      Madame Lebœuf affirma plus tard avoir vu une larme couler des yeux du vieux domestique lorsqu'il referma sur son maître la petite porte de l'hôtel.

      Malheureusement pour les habitués du café Lebœuf, à ces deux journées si fécondes en événements, succédèrent des jours d'une monotonie désespérante.

      Ils ne virent plus arriver ni lettres, ni coffret, ni voiture; chaque matin le pourvoyeur apporta sa provision accoutumée, mais ce fut tout.

      L'épreuve de la cendre, souvent renouvelée dans la ruelle, prouva que le Vampire continuait ses promenades nocturnes.

      Quoique M. Godet ne se sentît plus le goût de les partager, il ne douta pas qu'elles ne fussent toujours dirigées vers le cimetière du Père-Lachaise.

      Le seul fait qui réveilla passagèrement la curiosité des habitués fut l'apparition de la femme âgée qui avait apporté le coffret.

      Deux mois environ après le duel du colonel, cette femme revint à l'hôtel d'Orbesson, et remit un paquet assez volumineux au domestique du colonel.

      Depuis, elle ne reparut plus.

      Nous raconterons donc cette dernière visite de madame Blondeau au colonel Ulrik.

      CHAPITRE V.

      LE COLONEL ULRIK

      Le vieux domestique fit entrer madame Blondeau dans le grand salon où, deux mois auparavant, le colonel avait reçu Gaston et Alfred.

      La physionomie de Stok, ainsi se nommait cet ancien serviteur, avait perdu son expression rébarbative.

      – Comment se porte M. le marquis?.. non, M. le colonel, veux-je dire, puisque votre maître préfère qu'on l'appelle ainsi.

      – Toujours de même, madame Blondeau; le corps est de fer, mais la tête est faible; quelquefois monsieur passe des journées à pleurer comme un enfant… Lui pleurer!.. lui… on m'eût dit cela, il y a un au, voyez-vous, que je ne l'aurais jamais cru!.. et puis presque toutes les nuits… et Stok soupira.

      – Toujours au cimetière? juste ciel!

      – Toujours, madame Blondeau… c'est à fendre l'âme…

      – Et le reste du temps, monsieur Stok?

      – Il rêve, il se désole, il se promène dans la petite chambre carrelée qu'il habite. Elle est cent fois plus froide, plus humide que les autres, car elle servait de salle de bains. Eh bien! on dirait que monsieur l'a choisie exprès, parce qu'elle est la plus mauvaise de l'hôtel. Tenez, madame Blondeau, il y a quelque chose qui a l'air d'un enfantillage, et pourtant les larmes me viennent aux yeux quand je vois cela.

      – Quoi donc, monsieur Stok?

      – Depuis six mois que nous habitons cette maison, à force de marcher dans cette petite chambre, de la porte à la fenêtre, et de la fenêtre à la porte, toujours dans le même endroit, mon maître a tellement usé le carreau, qu'on y voit creusée la trace de ses pas.

      – Ah!


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