Mathilde. Эжен Сю

Mathilde - Эжен Сю


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sans comprendre un mot à son étrange langage.

      Gaston finit par dire à Alfred: – Venez, mon ami; ne voyez-vous pas que ces gens-là sont fous?

      – C'est que celui-ci a l'air bien bête pour un fou, – dit Alfred.

      M. Godet, craignant de voir sa proie lui échapper, ne releva pas le propos, et ajouta très-vite, d'un air mystérieux:

      – Je sais tout, vous cherchez une jeune dame qui était dans un petit fiacre bleu à stores rouges avec une femme plus âgée. Chapeau noir, manteau puce, cheveux gris, voilà le signalement de la vieille; cheveux blonds, sourcils et yeux noirs, voilà le signalement de la jeune.

      – Ce sont elles! – s'écria Gaston; puis, reprenant son sang-froid, il dit à M. Godet, qui triomphait d'une joie maligne:

      – En effet, monsieur, j'aurais intérêt à savoir quelle direction ont prise les personnes dont vous parlez.

      – Et surtout à savoir où elles ont porté la petite cassette d'écaille incrustée d'or, n'est-ce pas, monsieur? – reprit M. Godet.

      – Comment êtes-vous instruit de cela? – reprit Gaston de plus en plus étonné.

      – Tout ce que je puis vous affirmer sur l'honneur, c'est que la vieille femme en question a remis, il y a une heure, devant moi, le coffret au domestique du Vampire, dit M. Godet.

      Cette nouvelle était tellement inattendue, si surprenante, que les deux jeunes gens ne la pouvaient croire.

      Mille sentiments contraires, l'inquiétude, la colère, la jalousie, la vengeance, la curiosité, se heurtèrent dans l'esprit de Gaston.

      – Monsieur, – s'écria-t-il en pâlissant, – il faut que vous me disiez à l'instant quelle est la personne que vous avez surnommée le Vampire, et quelle est sa demeure.

      – Peste! vous n'êtes pas dégoûté, mon cher ami, – pensa M. Godet, qui n'était pas disposé à abandonner sitôt ses victimes. Il reprit, en montrant son crâne chauve: – Je vous ferai observer, messieurs, qu'à mon âge je ne suis plus dans mon printemps. Si vous vouliez rentrer au café Lebœuf, nous y causerions sans y geler.

      – Soit, monsieur, – dit Gaston en reprenant avec impatience le chemin du café de la veuve.

      Jamais triomphateur romain, traînant à sa suite des populations esclaves, ne fut plus fier que M. Godet en rentrant dans le café de la veuve, suivi des deux jeunes gens.

      Il fit un signe aux habitués, afin de modérer leur curiosité, et s'enfonça dans un coin du café.

      M. Godet se garda bien d'apprendre tout de suite aux deux jeunes gens le nom du colonel; malgré leur impatience, il leur fallut subir toutes les absurdes histoires forgées par le doyen des habitués du café Lebœuf.

      Sans les faits précis, évidents, que cet impitoyable curieux avait déjà révélés, Gaston n'aurait pas ajouté la moindre foi à ses paroles; il fut pourtant obligé d'entendre l'histoire du coup de fusil, de la voiture magnifiquement harnachée, de l'uniforme du colonel, et, enfin, de ses sacriléges stations au cimetière du Père-Lachaise.

      A travers toutes ces sottises, les jeunes gens furent du moins frappés de l'existence étrange du colonel.

      – Enfin, monsieur, – dit Gaston, – j'ai l'honneur de vous le demander pour la vingtième fois, faites-moi la grâce de me dire où demeure cet homme. Tous ces détails sont fort curieux sans doute, mais encore une fois, l'adresse du colonel, son adresse?..

      – Suivez-moi, messieurs, – dit Godet en se levant subitement d'un air imposant.

      Il ouvrit la porte du café, allongea le doigt, montra à Gaston la petite porte de l'hôtel d'Orbesson, et lui dit: – Voilà, monsieur… la demeure du Vampire, en face… la porte à guichet.

      Gaston courut vers la porte sans prononcer une parole.

      M. Godet referma la porte, et s'écria en se frottant les mains avec une joie diabolique:

      – Ça chauffe, messieurs, ça chauffe; maintenant à nos trous, à nos trous.

      Les habitués du café Lebœuf se remirent en observation.

      Gaston sonnait avec violence.

      La figure du vieux domestique du colonel parut, non pas à la porte, mais au guichet.

      Les deux jeunes gens semblèrent faire les plus vives instances pour entrer: prier, menacer même, tout fut inutile; il fallut que Gaston se résignât à passer par le guichet sa carte, sur laquelle il écrivit à la hâte quelques mots au crayon.

      S'apercevant que les deux inconnus parlaient avec chaleur, M. Godet entr'ouvrit la porte du café, et entendit distinctement Gaston dire d'une voix courroucée:

      – A demain matin neuf heures. Il n'y aura pas d'excuses, j'espère.

      Les deux jeunes gens disparurent en marchant à grands pas.

      CHAPITRE IV.

      LE RENDEZ-VOUS

      Le lendemain matin à neuf heures, la voiture de Gaston s'arrêta devant l'hôtel d'Orbesson.

      Le valet de pied sonna, la petite porte s'ouvrit, le vieux domestique parut.

      Gaston et Alfred descendirent.

      – M. le colonel Ulrik? – dit Gaston.

      Le domestique s'inclina sans répondre, et précéda les deux jeunes gens.

      Rien de plus triste, de plus désolé que l'intérieur de cette vaste maison.

      Plusieurs grandes dalles provenant sans doute de quelques démolitions étaient couchées çà et là sous l'herbe qui envahissait la cour. On eût dit les pierres sépulcrales d'un cimetière abandonné.

      Toutes les fenêtres étaient extérieurement fermées; la porte vitrée du vestibule cria sur ses gonds rouillés, et fit retentir d'un bruit lugubre la voûte sonore du grand escalier.

      Le colonel habitait le rez-de-chaussée. Le domestique conduisit les deux jeunes gens dans un immense salon à peine meublé; ses hautes fenêtres sans rideaux et à petits carreaux s'ouvraient sur un jardin entouré de grandes murailles, triste comme un jardin de cloître.

      – Monsieur le colonel va venir à l'instant, – dit le domestique; – et il disparut.

      Le jour était sombre, bas; le vent gémissait tristement à travers les portes mal closes. Tout dans cette demeure révélait, non pas la misère, non pas l'incurie, mais la plus profonde insouciance du bien-être matériel.

      Alfred et Gaston se regardèrent quelques moments en silence.

      – Depuis que nous sommes entrés, – dit Alfred en frissonnant de froid, – on dirait que je me sens sur les épaules une chape de plomb glacé. Il n'y a de feu nulle part… C'est un vrai Spartiate que cet homme-là.

      – Cet homme! quel est-il? quel est-il? – dit Gaston en se parlant à lui-même.

      – Elle seule aurait pu vous éclairer; mais elle est partie cette nuit, je crois?

      – Cette nuit, – répondit Gaston.

      – Ulrik! – dit Alfred, – Ulrik! ça doit être un nom russe, prussien ou allemand. Je suis allé hier au club de l'Union, espérant y trouver quelques membres du corps diplomatique; en effet, j'y ai vu trois ou quatre secrétaires de légation ou d'ambassade. Mais aucun ne connaît le colonel Ulrik. Il n'y a plus de ressource pour nous éclairer que dans M. l'ambassadeur de Russie, mais je n'ai pu le rencontrer.

      – Après tout, que m'importe? – dit Gaston. Cet homme a mon secret; elle m'a sans doute sacrifié à lui, c'est une indigne trahison. Je le tuerai ou il me tuera.

      – N'allez pas si vite, mon ami; peut-être cet imbécile d'hier nous a-t-il mal renseignés. Sans doute, toutes les apparences tendent à faire croire qu'elle-même a apporté ce coffret ici; mais remarquez-le


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