Mathilde. Эжен Сю

Mathilde - Эжен Сю


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tout bonnement fait conduire au bord de la rivière pour y jeter ce coffret.

      – Mais vous êtes fou, Alfred! Elle aurait brûlé les lettres chez elle et tout eût été dit… Encore une fois, elle les garde, c'est pour en faire un méchant usage.

      – Un méchant usage! – dit Alfred en haussant les épaules avec impatience. – Que prouvent ces lettres, après tout?.. que vous avez mal agi avec elle, que vous l'avez sacrifiée? Eh! qui diable prend jamais le parti d'une femme sacrifiée? Accablez une femme du monde des plus odieux procédés, traitez-la publiquement avec la plus atroce cruauté, ses amis intimes crieront partout que la malheureuse n'a que ce qu'elle méritait, et les hommes envieront votre brutale insolence sans oser vous imiter, comme les petits voleurs envient les assassins!

      – Je vous dis que vous ne la connaissez pas, – reprit Gaston.

      Voyant la pâleur et l'agitation de son ami, Alfred lui dit cette fois en français: – Allons, Gaston, remettez-vous; nous étions entrés dans cet abominable cabaret pour nous reposer un moment et pour boire un verre d'eau.

      – Vous avez raison, – reprit Alfred en regardant autour de lui: – mais tout ici a l'air si malpropre, que nous ne pourrons peut-être pas seulement avoir un verre d'eau supportable.

      Ces inconvenantes paroles augmentèrent la colère de madame Lebœuf et celle de ses habitués, furieux de n'avoir pas pu prendre part à la conversation des deux jeunes gens, depuis que ceux-ci avaient parlé anglais.

      – Madame, un verre d'eau sucrée, je vous prie, dit Gaston à la veuve.

      Celle-ci, sans répondre, agita majestueusement une sonnette cassée, en criant d'une voix glapissante:

      – Boitard! Boitard! un verre d'eau sucrée!

      – Quelle affreuse odeur de poêle! – dit Gaston en appuyant son front; – j'ai la tête en feu.

      – Il se joint à cela, – reprit Alfred avec dégoût, – je ne sais quelle senteur de moisi et de vieux rentier qui fait que décidément ça empeste…

      – Mais, madame, j'avais demandé un verre d'eau! – dit Gaston avec impatience.

      – Mais, monsieur, il me semble que j'ai sonné Boitard assez fort, – répondit aigrement la veuve en agitant de nouveau sa sonnette.

      – Au fait, c'est vrai, Gaston, madame a sonné Boitard, – dit Alfred avec beaucoup de sérieux; ayez un peu de patience. Mais comme je me défie de la présence de Boitard, par précaution je vais allumer un cigare.

      Alfred tira un cigare d'un cigarero de paille de Lima, prit une allumette chimique dans une petite boîte d'argent damasquinée, et commença à fumer.

      Les habitués du café se regardèrent avec stupéfaction, ne sachant comment qualifier cette audacieuse innovation.

      Quelques-uns toussèrent, d'autres poussèrent quelques hum! hum! énergiques. Nul doute que, sans l'intérêt de curiosité qu'inspiraient ces jeunes gens, par le rôle qu'ils semblaient jouer dans l'aventure du coffret remis au domestique du Vampire, nul doute que la veuve et ses partisans n'eussent vivement protesté contre ces manières de tabagie.

      A ce moment parut Boitard, garçon joufflu, aux bras nus, et pour qui toute saison était canicule.

      Il portait sur un plateau écaillé une carafe, un verre de deux pouces d'épaisseur, et cinq morceaux de sucre dans une soucoupe fêlée.

      Pendant que Gaston semblait livré à de profondes réflexions, Alfred, les deux mains dans ses poches, regardait le verre d'eau avec une défiance mêlée de dégoût; tout à coup il s'écria:

      – Mais, Boitard, mon cher, il y a une araignée dans votre carafe. C'est plus que nous n'avons demandé. Nous sommes pressés. Nous voudrions un simple verre d'eau sans araignée, si c'est possible.

      Boitard passa une grosse main rouge dans ses cheveux, se gratta la tête, regarda attentivement dans la carafe, et reconnut en effet la présence réelle d'une araignée.

      Au lieu d'être accablé par cette abominable découverte, il haussa les épaules en se tournant à demi du côté de la veuve et des habitués.

      Ce mouvement semblait dire: «En vérité, ce monsieur fait bien le dégoûté avec son araignée!»

      A quoi la veuve et les habitués répondirent par une autre pantomime signifiant à peu près: «Ah! mon Dieu! ne nous en parlez pas, Boitard; cela fait pitié!»

      Alors Boitard, haussant de nouveau les épaules, prit la carafe d'une main, enfonça à plusieurs reprises son gros vilain doigt dans le goulot, et commença une pêche d'un nouveau genre.

      Cette pêche fut couronnée d'un plein succès. Boitard retira l'araignée, la prit délicatement entre le pouce et l'index, l'écrasa sous son pied, remit, avec un imperturbable sang-froid, la carafe sur la table, et dit à Alfred, comme s'il lui eût reproché un caprice d'enfant gâté: – Eh bien, monsieur, j'espère que vous ne me direz plus qu'il y a des araignées dans l'eau, maintenant!

      Alfred avait contemplé la manœuvre de Boitard avec une admiration profonde. Ces derniers mots lui parurent sublimes.

      Il lui mit cent sous dans la main et lui dit: – Ceci est pour vous, Boitard; toute perfection a son prix, et, dans votre spécialité, vous êtes, mon cher, magnifiquement malpropre.

      Boitard regardait tour à tour Alfred, l'argent, la veuve et les habitués, d'un air stupide.

      Gaston, toujours resté rêveur, dit à demi-voix, en se parlant à lui-même; – Que faire?.. que faire?.. Où est à cette heure ce coffret? – Et il avança machinalement la main vers la carafe.

      – Du diable! si vous touchez à cela, Gaston, – dit Alfred.

      Et il raconta à son ami la pêche à l'araignée.

      Gaston repoussa le plateau avec horreur, et s'écria avec impatience:

      – Allons, il est impossible de boire un verre d'eau: j'ai la tête brûlante, j'ai la gorge en feu… Venez, Alfred; tâchons de trouver quelque endroit un peu moins répugnant.

      Ces mots mirent le comble à la colère de la veuve.

      Elle s'écria d'un air indigné en s'adressant à Alfred:

      – D'abord, monsieur, on ne fume pas ici comme dans un estaminet, entendez-vous? Et puis, je suis bien aise de vous dire, malgré votre air ricaneur, que, si vous ne buvez pas ce qu'on vous sert ici, vous ne devez pas chercher à en dégoûter les autres.

      Alfred répondit avec un sérieux imperturbable:

      – Croyez, ma chère madame, que je n'ai pas abusé de mon influence sur monsieur. Je vous déclare que, lorsqu'il est abandonné à ses propres penchants, il ne mange jamais d'araignée.

      – Venez, cette femme est folle, – dit Gaston en jetant un louis sur le comptoir.

      La veuve repoussa fièrement la pièce d'or, en s'écriant que, dans son établissement, on ne payait que ce que l'on avait consumé.

      – J'ai donné à ce drôle pour son araignée, – dit Alfred à Gaston.

      Celui-ci reprit son louis, et les deux jeunes gens sortirent.

      A peine avaient-ils fermé la porte du café, que M. Godet les suivit nu-tête, malgré le froid.

      – Votre chapeau, M. Godet! – s'écria la veuve, qui devina les intentions de son habitué.

      – Mon chapeau! – dit M. Godet, – il n'en est pas besoin; je vais à l'instant vous les ramener ici pieds et poings liés, et doux comme des moutons, ces beaux godelureaux.

      En deux enjambées il rejoignit les jeunes gens, et toucha légèrement la manche d'Alfred, qui lui inspirait plus de confiance.

      – Que voulez-vous, monsieur? – dit ce dernier, étonné de la grotesque figure de l'habitué.

      – Je veux, monsieur,


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