Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд

Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд


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mais je ne crois pas que je sois en disposition d'être converti à quelque idée nouvelle. La question n'est plus un mystère pour personne et, certes, je suis surpris qu'elle ait jamais été un mystère.

      – Comme je ne crois pas à la théorie, je ne ferai nul effort pour vous la faire adopter, dit Erskine en riant, mais elle peut vous intéresser.

      – Dites-la moi, parbleu! répondis-je. Si la théorie est à moitié aussi délicieuse que la peinture, je serai plus que satisfait.

      – Eh bien! reprit Erskine en allumant une cigarette, je dois commencer par vous parler de Cyril Graham lui-même.

      Lui et moi nous habitions la même maison à Eton. J'avais un ou deux ans de plus que lui, mais nous étions très grands amis. Nous travaillions et nous nous amusions tout le temps ensemble. Certes, nous nous amusions beaucoup plus que nous ne travaillions, mais je ne puis dire que je regrette cela.

      C'est toujours un avantage de n'avoir pas reçu une orthodoxe éducation de boutiquier. Ce que j'ai appris dans les lices de jeu d'Eton m'a été tout aussi utile que tout ce que l'on m'a enseigné à Cambridge.

      Il faut que je vous dise que le père et la mère de Cyril étaient tous les deux morts. Ils s'étaient noyés dans un épouvantable accident de yacht près de l'île de Wight.

      Son père avait été dans la diplomatie et avait épousé une fille, la fille unique en fait, du vieux lord Crediton qui devint le tuteur de Cyril après la mort de ses parents.

      Je ne crois pas que lord Crediton se souciât beaucoup de Cyril. En fait, il n'avait jamais pardonné à sa fille d'épouser un homme qui n'avait pas de titre.

      C'était un étrange aristocrate de la vieille roche, qui jurait comme un marchand de pommes frites et avait les manières d'un fermier.

      Je me souviens de l'avoir vu une fois un jour de distribution des prix. Il gronda contre moi, il me donna un souverain et me dit de ne pas devenir un «sacré radical» comme mon père.

      Cyril avait très peu d'affection pour lui et n'avait pas de plus grande joie que de venir passer la plus grande partie de ses congés avec nous en Écosse.

      En réalité, ils ne s'accordaient jamais ensemble.

      Cyril le considérait comme un ours et il jugeait Cyril efféminé.

      Il était efféminé, je veux bien, en certaines choses, quoiqu'il fût un excellent cavalier et un tireur de première force. En fait, il obtint les fleurets d'honneur avant de quitter Eton. Mais son attitude était très molle.

      Il n'était pas médiocrement vain de sa bonne mine et avait une répugnance extrême pour le foot ball.

      Les deux choses qui le charmaient réellement, c'étaient la poésie et l'art scénique. À Eton, il était toujours occupé à se farder et à réciter du Shakespeare et quand nous allâmes au collège de la Trinité, la première année, il devint un membre du A. D. C.

      Je me souviens que je fus toujours très jaloux de son goût pour la scène. Je lui étais absurdement dévoué. J'étais un garçon gauche, faible, avec d'énormes pieds et le visage horriblement couvert de taches de rousseur.

      Les taches de rousseur, c'est la plaie des familles écossaises, comme la goutte celle des familles anglaises.

      Cyril avait l'habitude de dire que des deux il préférait la goutte, mais il attachait toujours une importance absurde à l'extérieur des gens et, une fois, il lut, devant notre club de controverse, un mémoire pour prouver qu'il valait mieux avoir bonne mine qu'être bon.

      Certes, il était étonnamment beau.

      Les gens, qui ne l'aimaient pas, les Philistins et les professeurs de collège, les jeunes gens qui étudiaient pour être d'Église, avaient coutume de dire qu'il n'était que joli, mais sur son visage il y avait bien autre chose que de la joliesse.

      Je crois qu'il était la plus splendide des créatures que j'aie jamais vue et rien ne peut surpasser la grâce de ses mouvements, le charme de ses manières. Il séduisait tous ceux qui méritaient qu'on les séduisit et bien des gens qui ne le méritaient pas.

      Il était souvent volontaire et impertinent et bien souvent je pensais qu'il manquait épouvantablement de sincérité.

      Cela était dû, je crois, surtout à son désir immodéré de plaire. Pauvre Cyril! je lui dis une fois qu'il se contentait de triompher à bon compte, mais il n'en fit que rire.

      Il était horriblement gâté.

      Tous les gens charmants, j'imagine, sont horriblement gâtés. C'est le secret de leur attraction.

      Pourtant il me faut vous parler du jeu de Cyril.

      Vous savez que l' A. D. C. ne fait accueil sur sa scène à aucune actrice, du moins, c'était ainsi de mon temps; je ne sais comment les choses se passent aujourd'hui.

      Eh bien! tout naturellement Cyril était toujours choisi pour les rôles de jeunes filles et, quand on donna _Comme il vous plaira, _ce fut lui qui joua Rosalinde.

      L'exécution fut merveilleuse.

      En fait, Cyril Graham était la seule Rosalinde parfaite que j'aie jamais vue. Il me serait impossible de vous décrire la beauté, la délicatesse, le raffinement en tous points de son jeu.

      Il fit une énorme sensation et l'horrible petit théâtre – ce n'était pas autre chose alors – était comble chaque soir.

      Même quand je lis la pièce maintenant, je ne puis m'empêcher de songer à Cyril. Elle eût pu être faite pour lui.

      L'année suivante, il prit ses grades et vint à Londres se préparer à la carrière diplomatique. Mais il ne travaillait jamais. Il passait ses journées à lire les _Sonnets _de Shakespeare et ses soirées à fréquenter le théâtre.

      Il avait certes une envie folle de monter sur les planches. Lord Crediton et moi, nous fîmes tous nos efforts pour l'en empêcher.

      Peut-être s'il s'était mis à jouer, il serait encore vivant.

      C'est toujours une chose sotte que de donner des conseils, mais donner de bons conseils est absolument question de chance. Je vous souhaite de ne jamais tomber dans l'erreur de vouloir conseiller. Si vous le faites, vous aurez à le regretter.

      Eh bien! pour en venir au vrai noeud de cette histoire, un jour je reçus une lettre de Cyril dans laquelle il me demandait de passer chez lui le soir.

      Il avait un délicieux appartement à Piccadilly avec vue sur le Green Park, et, comme j'avais l'habitude d'aller le voir tous les jours, je fus un peu surpris qu'il eût pris la peine de m'écrire.

      Naturellement j'allai chez lui et, quand j'arrivai, je le trouvai dans un état de grande surexcitation.

      Il me dit qu'il avait enfin découvert le vrai secret des _Sonnets _de Shakespeare, que tous les lettrés et les critiques avaient fait fausse route et qu'il était le premier qui, travaillant uniquement d'après l'évidence des faits, avait élucidé qui était réellement monsieur W. H.

      Il était tout à fait fou de joie et il demeura longtemps sans vouloir me dire sa théorie.

      Enfin, il exhiba un paquet de notes, prit son exemplaire des _Sonnets _sur sa cheminée, s'assit et me fît une longue conférence sur toute la question.

      Il débuta par établir que le jeune homme, à qui Shakespeare adressait ces poèmes étrangement passionnés, devait être quelqu'un qui avait été réellement un facteur vital dans le développement de son art dramatique et que ni lord Pembroke ni lord Southampton ne se trouvaient dans ce cas.

      En outre, à tout prendre, ce ne pouvait être un homme de haute naissance, comme il résulte abondamment du sonnet 25, dans lequel Shakespeare le met en parallèle avec ceux qui sont les favoris de _grands princes _et dit avec une entière franchise:

       Que ceux qui sont en faveur auprès de leurs étoiles se parent des honneurs publics et des titres superbes, tandis que moi, que la fortune prive de tels triomphes, je jouis d'un bonheur inespéré qui est pour moi l'honneur suprême, et termine le


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