Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд

Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд


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à Ophélie, lui dit:

       De quelle substance êtes-vous donc fait, vous qu'escortent des millions d'ombres étranges? Chaque être n'a qu'une ombre unique, et vous, qui n'êtes qu'un pourtant, vous prêtez votre ombre à tout,

      vers qui étaient inintelligibles s'ils ne s'adressaient pas à un acteur, car le mot _ombre _avait au temps de Shakespeare un sens qui se rattachait à la scène.

      «Les meilleurs en ce genre ne sont que des ombres,» dit Thésée des acteurs dans le _Songe d'une Nuit d'été, _et il y a bien d'autres allusions similaires dans la littérature de l'époque.

      Les _Sonnets _appartenaient évidemment aux séries dans lesquelles Shakespeare disait la nature de l'art de l'acteur et du tempérament étrange et rare qui est indispensable au parfait comédien.

      «Comment se fait-il, dit Shakespeare à Willie Hughes, que vous ayez tant de personnalités», et alors il en arrive à établir que sa beauté est telle qu'elle semble réaliser toute forme et toute phase de fantaisie, incarner tout rêve de l'imagination créatrice, une idée, qui est encore exprimée plus avant dans le sonnet qui suit immédiatement, ou en commençant par la délicate pensée:

      _Oh! comme la beauté semble plus belle lorsqu'elle est embaumée par _LA VÉRITÉ.

      Shakespeare nous invite à remarquer combien la vérité du jeu, la vérité de la représentation visible sur la scène, ajoute au prestige de la poésie, donne la vie à toute sa nature séduisante et la réalité actuelle à sa forme idéale.

      Et pourtant, dans le 67e sonnet, Shakespeare invite Willie Hughes à renoncer à la scène si artificielle avec sa vie fausse, ses mimes au visage maquillé et au costume sans réalité, ses influences et ses suggestions immorales, son éloignement du vrai monde, de l'action réelle et du langage sincère.

       Oh! pourquoi mon bien-aimé vivrait-il avec la corruption et honorerait-il le sacrilège de son prestige en sorte que le péché obtiendrait par lui un avantage décisif et se parerait de sa société?

       Pourquoi le fard imiterait-il le teint de ses joues et plagierait-il, par une copie inanimée, leurs vives couleurs? Pourquoi la pauvre beauté chercherait-elle indirectement les reflets de la rose, quand elle a la rose vraie?

      Il peut sembler étrange qu'un aussi grand dramaturge que Shakespeare, qui réalisa sa propre perfection comme artiste et son humanité comme homme sur le plan idéal de la littérature du théâtre et du jeu scénique, ait écrit en ces termes sur le théâtre, mais nous devons nous souvenir que, dans les sonnets 110 et 111, Shakespeare nous montre qu'il était las du monde des marionnettes et plein de honte d'avoir joué aux yeux de tous son rôle d'arlequin. Le 111e sonnet surtout est amer:

       Oh! grondez à mon sujet la fortune, cette déesse coupable de tous mes torts, qui ne m'a laissé d'autre moyen d'existence que la ressource publique qui nourrit une vie publique.

       C'est là ce qui fait que mon nom porte un stigmate et que ma nature est, pour ainsi dire, marquée du métier qu'elle fait comme la main du teinturier. Ayez donc pitié de moi et souhaitez que je sois régénéré,

      et il y a ailleurs bien des signes du même sentiment, signes familiers à tous les vrais fanatiques de Shakespeare. Un point m'embarrassa beaucoup quand je lus les _Sonnets _et il s'écoula bien des jours avant que j'établisse la Vraie interprétation que certes Cyril Graham lui-même paraît ne pas avoir saisie.

      Je ne pouvais comprendre que Shakespeare accordât tant d'importance à voir son jeune ami se marier.

      Lui-même s'était marié jeune, et le résultat n'avait pas été heureux: il n'était pas probable qu'il voulût pousser Willie Hughes à commettre la même erreur.

      Le jeune acteur de Rosalinde n'avait rien à gagner au mariage et aux passions de la vie réelle. Les premiers sonnets, avec leurs étranges supplications d'avoir des enfants, me parurent une note discordante.

      L'explication du mystère m'arriva presque subitement et je la trouvai dans la bizarre dédicace.

      On doit se rappeler que la dédicace est ainsi conçue:

       À l'unique engendreur de ces sonnets ci-après Monsieur W. H., tout le bonheur Et cette éternité, promesses de notre poète immortel, puisse-t'il les avoir. C'est le souhait bien sincère de celui qui aventure cette publication

T. T.

      Quelques commentateurs ont supposé que le mot _engendreur _dans cette dédicace indique simplement celui qui a fourni les _Sonnets _à Thomas Thorpe, leur éditeur. Mais cette opinion est maintenant généralement abandonnée et les plus hautes autorités sont tout à fait d'accord sur ce point que ce mot est pris dans le sens _d'inspirateur, _la métaphore étant tirée de l'analogie de la vie physique.

      Alors je vis que la même métaphore est employée par Shakespeare lui-même dans tous ses poèmes et cela me mit dans le droit chemin.

      Finalement je fis ma grande découverte.

      Le mariage que Shakespeare propose à Willie Hughes, c'est le mariage avec sa muse, une expression qui est précisément employée dans le 82° sonnet où, dans l'amertume de son coeur, lors de la défection du jeune acteur, pour qui il avait écrit ses plus grands rôles et dont la beauté les lui avait vraiment inspirés, il commence ses doléances en disant:

       Je conviens que tu n'es pas marié à ma muse.

      Les enfants qu'il le suppliait d'engendrer ne sont pas des enfants de sang et de chair, mais les plus immortels enfants d'une gloire qui ne peut mourir.

      Tout le cycle des premiers sonnets est simplement l'invitation de Shakespeare à Willie Hughes de monter sur la scène et de se faire acteur. Combien ce serait chose vile et vaine, dit-il, que votre beauté, si vous n'en usiez pas.

       Lorsque quarante hivers assiégeront ton front et creuseront des tranchées profondes dans le champ de ta beauté, la fière livrée de ta jeunesse, si admirée maintenant, ne sera qu'une guenille dont on fera peu de cas.

       Si l'on te demandait alors où est toute ta beauté où est tout le trésor de tes jours florissants, et si tu répondais que tout cela est dans tes yeux creusés, ce serait une honte dévorante et un stérile éloge.

      Vous devez créer quelque chose en art. Mon vers «est à toi et naît de toi», écoute-moi seulement et je «mettrai au monde des vers immortels qui vivront une éternité» et vous peuplerez des formes de votre propre visage le monde imaginaire et la scène. Ces enfants que vous engendrez, continue-t-il, ne dépériront pas, comme des enfants sujets à la mort, mais vous vivrez en eux et dans mes pièces: donc

       Crée un autre toi-même pour l'amour de moi; que ta beauté vive en ton enfant comme en toi.

      Je réunis tous les passages qui me paraissaient corroborer cette interprétation: ils produisirent sur moi une forte impression et me montrèrent combien la théorie de Cyril Graham était vraiment complète.

      Je vis aussi qu'il était très facile de séparer les vers, dans lesquels il parle des _Sonnets _mêmes, et ceux dans lesquels il parle de ses grandes oeuvres dramatiques.

      C'était là un point qui avait absolument échappé aux critiques antérieurs à Cyril Graham.

      Et, pourtant, c'était une des considérations les plus importantes dans toutes les séries de poèmes.

      Aux _Sonnets _Shakespeare était plus ou moins indifférent. Il n'ambitionnait pas que sa gloire reposât sur eux. C'était, à ses yeux, sa «muse légère», comme il les appelle, et, comme le dit Meres, il désirait une circulation réservée, seulement parmi un petit nombre, un nombre très restreint d'amis.

      D'autre part, il était extrêmement conscient de la haute valeur artistique de ses pièces et témoigne d'une noble confiance en son génie dramatique.

      Quand il dit à Willie Hughes:

      _Mais ton éternel été ne se flétrira pas et ne sera pas dépossédé de tes grâces. La mort ne se vantera pas de ce que tu erres sous son ombre, quand


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