Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд

Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд


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admiré ses dessins, ce qui me parut lui être très agréable, et je lui demandai s'il pourrait me montrer quelque autre de ses oeuvres.

      Comme nous feuilletions un portefeuille rempli de choses réellement ravissantes, – car Merton avait une touche très délicate et tout à fait délicieuse, – j'aperçus tout à coup une esquisse du portrait de monsieur W. H. Il n'y avait aucun doute à concevoir à ce sujet.

      C'était presque un fac-simile: la seule différence était que les masques de la tragédie et de la comédie n'étaient pas suspendus à la table de marbre, comme dans le portrait, mais gisaient sur le plancher aux pieds du jeune homme.

      – Où diable avez-vous déniché cela? dis-je.

      Il devint un peu confus et répondit:

      – Ce n'est rien. Je ne savais pas que ce dessin était dans le portefeuille. C'est une chose sans valeur aucune.

      – C'est ce que vous avez fait pour monsieur Cyril Graham, s'écria sa maîtresse. Si ce monsieur veut l'acheter, pourquoi ne pas le lui vendre?

      – Pour monsieur Cyril Graham, répétai-je. Avez-vous peint le portrait de monsieur W. H.?

      – Je ne sais ce que vous voulez dire, répliqua-t'il, en devenant très rouge.

      Bon! L'histoire était vraiment terrible.

      La femme lâcha tout le secret.

      En partant, je lui donnai cinq livres.

      Maintenant il ne m'est pas possible d'y songer, mais certes j'étais alors furieux.

      J'allai d'un trait chez Cyril.

      Je l'attendis trois heures avant qu'il revînt, avec cet affreux mensonge qui s'épanouissait sur son visage et je lui dis que j'avais découvert le faux.

      Il devint très pâle et me dit:

      – J'ai fait cela uniquement pour vous. Vous n'auriez pas été convaincu autrement. Cela ne porte aucune atteinte à la vérité de la théorie.

      – La vérité de la théorie! m'écriai-je. Moins vous en parlerez et mieux cela vaudra. Vous-même vous n'y avez jamais cru. Si vous y aviez cru, vous n'auriez pas commis un faux pour en faire la preuve.

      Il s'échangea entre nous des paroles violentes. Nous eûmes une querelle épouvantable. Je l'avoue, je fus injuste. Le lendemain matin, il était mort.

      – Mort! m'écriai-je.

      – Oui, il se tua d'un coup de revolver. Un peu de son sang jaillit sur le cadre du portrait juste à la place où le nom était peint. Quand j'arrivai, – son domestique m'avait sur-le-champ envoyé chercher, – la police était déjà là. Il avait laissé une lettre pour moi, écrite évidemment dans la plus grande agitation et la plus grande détresse du coeur.

      – Que contenait-elle? demandai-je.

      – Oh! qu'il avait une foi absolue dans l'existence de Willie Hughes, que le faux du portrait n'avait été fait que comme une concession à mon égard et n'affaiblissait à aucun degré la vérité de la théorie; bref, que pour me montrer combien sa foi était ferme et inébranlable, il allait offrir sa vie en sacrifice au secret des Sonnets.

      C'était une lettre folle, démente. Je me souviens qu'il finissait en me disant qu'il me confiait la théorie Willie Hughes et que c'était à moi de la présenter an monde et de dévoiler le secret du coeur de Shakespeare.

      – C'est là une bien tragique histoire, m'écriai-je, mais pourquoi n'avez-vous pas accompli ses voeux?

      Erskine haussa les épaules.

      – Parce que c'est du commencement à la fin une théorie absolument erronée, répondit-il.

      – Mon cher Erskine, lui dis-je en me levant de mon siège, vous êtes là-dessus dans une erreur complète. C'est la seule clé parfaite des _Sonnets _de Shakespeare qu'on ait jamais construite. Elle est parfaite dans tous ses détails. Je crois à Willie Hughes.

      – Ne dites pas cela, répliqua gravement Erskine. Je reconnais qu'il y a dans l'idée quelque chose qui séduit inévitablement et intellectuellement il n'y a rien à y redire. J'ai examiné la question dans tous ses détails et je vous assure que la théorie est entièrement fallacieuse. Elle est plausible jusqu'à un certain point. Au delà tout dégringole. Pour l'amour du ciel, mon cher enfant, ne vous lancez pas sur ce thème de Willie Hughes. Vous y briseriez votre coeur.

      – Erskine, répondis-je, c'est votre devoir de donner cette théorie au monde. Si vous ne le faites pas, je le ferai. En la passant sous silence, vous portez atteinte à la mémoire de Cyril Graham, le plus jeune et le plus splendide de tous les martyrs de la littérature. Je vous supplie de lui rendre justice. Il est mort pour cette théorie, ferez-vous qu'il sera mort en vain?

      Erskine me regarda avec stupeur.

      – Vous êtes emporté par l'émotion de toute cette histoire, dit-il. Vous oubliez qu'une chose n'est pas nécessairement vraie parce qu'un homme meurt pour elle.

      J'étais dévoué à Cyril Graham. Sa mort a été pour moi un terrible coup. Je ne m'en remettrai pas de bien des années.

      Mais Willie Hughes? Il n'y a rien dans l'idée de Willie Hughes.

      Pareil personnage n'a jamais existé.

      Quant à révéler toute l'histoire au monde, le monde croit que Cyril Graham s'est tué par accident. La seule preuve qu'il s'était tué résultait de la lettre qu'il m'a écrite et le public n'a jamais rien su de cette lettre. Actuellement même lord Crediton croit que tout cela fut accidentel.

      – Cyril Graham a sacrifié sa vie à une grande idée, répondis-je, et si vous ne voulez pas parler de son martyre, parlez au moins de sa foi.

      – Sa foi, dit Erskine, était basée sur une chose qui était fausse, sur une chose que pas un scholiaste de Shakespeare ne voudrait accepter un moment. On rirait de la théorie. Ne jouez pas le rôle d'un fou. Ne suivez pas une chimère qui ne mène à aucun but. Vous commencez par affirmer l'existence de la personne même dont il s'agit de prouver l'existence. En outre, tout le monde sait que les _Sonnets _sont adressés à lord Pembroke. La question est résolue une fois pour toutes.

      – La question n'est pas résolue, m'écriai-je. Je répandrai la théorie que Cyril Graham a laissée et je prouverai au monde qu'il avait raison.

      – Enfant têtu, dit Erskine, rentrez chez vous. Il est plus de deux heures. Et ne pensez plus à Willie Hughes. Je regrette de vous en avoir parlé et je suis tout à fait désolé de vous avoir converti à une chose à laquelle je ne crois pas.

      – Vous m'avez donné la clé du plus grand mystère de la littérature moderne, répondis-je. Et je n'aurai pas de repos jusqu'à ce que je vous aie fait reconnaître à tous que Cyril Graham était le plus subtil critique shakespearien de nos jours.

      Comme je regagnais mon domicile à travers le parc de Saint-James, l'aurore naissait sur Londres. Sur le lac poli, les cygnes blancs dormaient et le squelette du palais se détachait en pourpre sur le ciel vert pâle.

      Je pensai à Cyril Graham et mes yeux se remplirent de larmes.

II

      Il était midi passé quand je m'éveillai et le soleil ruisselait à travers les rideaux de ma chambre en longues coulées obliques d'or poussiéreux.

      Je dis à mon domestique que je n'étais chez moi pour personne et, après avoir pris une tasse de chocolat et un petit pain, j'allai chercher sur un rayon de ma bibliothèque mon exemplaire des _Sonnets _de Shakespeare et je commençai à les parcourir avec grande attention.

      Chaque poème me parut une confirmation de la théorie de Cyril Graham.

      Il me semblait que j'avais la main appuyée sur le coeur de Shakespeare et que je comptais un à un tous les battements et toutes les pulsations de la passion.

      Je songeai au merveilleux acteur adolescent et je vis son visage dans chaque vers.

      Deux sonnets, je m'en souviens, me frappèrent particulièrement: c'étaient


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