Le portrait de monsieur W. H.. Оскар Уайльд

Le portrait de monsieur W. H. - Оскар Уайльд


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l'édition originale des _Sonnets, TEINTS (hews) _est imprimé en lettres capitales et en italiques et cela, prétendait-il, montrait clairement qu'il y avait là une tentative de jeu de mots.

      Cette façon de voir recevait une grande part de confirmation de ces sonnets dans lesquels des jeux de mots bizarres étaient faits sur les mots _usage _et usure.

      Naturellement je me laissai convaincre d'emblée et Willie Hughes devint pour moi un être aussi réel que Shakespeare.

      La seule objection, que je fis à la théorie, était que le nom de Willie Hughes ne se trouve pas dans la liste des acteurs de la compagnie de Shakespeare imprimée au premier folio.

      Cyril, pourtant, établit que l'absence du nom de Willie Hughes de cette liste démontrait réellement la théorie, puisqu'il résultait du sonnet 86 que Willie Hughes avait abandonné la troupe de Shakespeare pour jouer dans un théâtre rival, probablement dans quelques-unes des pièces de Chapman10.

      C'est en allusion à ce fait que dans le grand sonnet sur Chapman, Shakespeare dit à Willie Hughes:

       Mais dès que votre jeu a rehaussé sa poésie, la mienne n'a plus eu de sujet et c'est ce qui l'a fait languir.

      l'expression _dès que votre jeu a rehaussé sa poésie _se rapportant sans nul doute à la beauté du jeune acteur qui faisait vivre, réalisait les vers de Chapman et leur ajoutait du charme.

      La même idée se trouvait encore énoncée dans le 79e sonnet:

       Tant que seul j'ai invoqué ton aide, mon vers seul a possédé toute ta gentille grâce; mais maintenant mes nombres gracieux sont déchus et ma muse malade cède la place à une autre,

      et dans le sonnet qui le précède immédiatement où Shakespeare dit:

       Toutes les autres plumes ont pris exemple sur moi 11 et répandent leur poésie sous ton patronage,

      le jeu de mot use=Hughes étant naturellement voulu et la phrase _répandent leur poésie sous ton patronage _signifiant avec votre concours comme acteur donnent leurs pièces au public.

      C'était une nuit superbe.

      Presque jusqu'au jour nous demeurâmes assis là à lire et à relire les Sonnets.

      Un peu après pourtant, je commençai à voir que, avant que la théorie pût être lancée publiquement sans une forme vraiment parfaite, il était nécessaire d'apporter une démonstration de l'existence de ce jeune acteur Willie Hughes, en dehors des Sonnets.

      Si, un jour, l'on pouvait établir l'existence de ce personnage, il n'y aurait plus de doute possible sur son identité avec monsieur W. H.

      Autrement la théorie tomberait à terre.

      J'exposai cela à Cyril de la façon la plus nette.

      Il fut fort ennuyé de ce qu'il appelait ma tournure d'esprit de Philistin et il fut même un peu amer sur ce sujet.

      Pourtant, je lui fis promettre que, dans son propre intérêt, il ne publierait pas sa découverte avant d'avoir mis toute la question hors de doute et, pendant de longues semaines, nous feuilletâmes les registres des églises de la Cité, les manuscrits Alleyn à Dulwich, les papiers du Record Office, les papiers de lord Chamberlain, bref tout ce que nous pensions pouvoir contenir quelque allusion à Willie Hughes.

      Nous ne découvrîmes rien, cela va sans dire et chaque jour l'existence de Willie Hughes me paraissait devenir plus problématique.

      Cyril était dans un état épouvantable. Il remettait la question sur le tapis tous les jours, s'efforçant de me convaincre, mais j'avais vu le point faible de la théorie et je me refusais à y croire tant que l'existence de Willie Hughes, l'acteur adolescent du temps d'Elisabeth, n'avait pas été démontrée sans doute ni hésitation possible.

      Un jour, Cyril quitta Londres pour se rendre chez son grand-père, du moins je le crus alors, mais plus tard j'ai appris de lord Crediton qu'il n'en fut pas ainsi.

      Après une quinzaine, je reçus de Cyril un télégramme, expédié de Warwick, où il me priait de ne pas manquer de venir dîner avec lui, ce soir-là, à huit heures précises.

      À mon arrivée, il m'accueillit par ces mots:

      – Le seul apôtre, qui ne méritait pas que rien lui fût prouvé, était saint Thomas et saint Thomas fut le seul apôtre à qui la preuve fut donnée.

      Je lui demandai ce qu'il voulait dire.

      Il répondit qu'il ne lui avait pas été seulement possible d'établir l'existence au XVIe siècle d'un acteur adolescent nommé Willie Hughes, mais de prouver, avec l'évidence la plus concluante, que c'était bien là le monsieur W. H. des Sonnets.

      Il ne voulut rien me dire de plus pour le moment; mais, après le dîner, il mit solennellement sous mes yeux le portrait, que je vous ai montré, et me dit qu'il l'avait découvert, par le hasard le plus extraordinaire, cloué à un des panneaux d'un vieux coffre qu'il avait acheté dans une maison de ferme du comté de Warwick.

      Il avait naturellement rapporté également le coffre lui-même qui était un fort beau spécimen de l'ébénisterie du temps d'Elisabeth.

      Au milieu du panneau de front on lisait, sans le moindre doute les initiales W. H. gravées dans le bois.

      C'était ce monogramme qui avait attiré l'attention de Cyril et il me dit qu'il n'avait songé à examiner avec soin l'intérieur du coffre que plusieurs jours après qu'il l'avait en sa possession.

      Un matin, pourtant, il s'aperçut que l'une des parois du coffre était beaucoup plus épaisse que l'autre et en y regardant de très près il découvrit qu'un panneau de peinture encadré y était emboîté.

      Il le dégagea et il se trouva que c'était le portrait qui était maintenant étalé sur le canapé.

      Le panneau était très sale et couvert de moisissures, mais il réussit à le nettoyer et, à sa grande joie, il vit qu'il était tombé par pur hasard sur la seule chose qui pût exciter son désir.

      C'était un portrait authentique de monsieur W. H. Sa main reposait sur la page dédicatoire des _Sonnets _et, sur le châssis même, on pouvait distinguer le nom du jeune homme écrit en initiales noires sur un fond d'or terni: monsieur William Hews.

      Bon! que pouvais-je dire?

      Il ne me vint pas un instant à la pensée que Cyril Graham me jouât la comédie et qu'il essayât de démontrer la théorie au moyen d'un faux.

      – Mais est-ce un faux? demandai-je.

      – Certes oui, dit Erskine. C'était un faux très bien fait, mais ce n'en était pas moins un faux.

      Je crus alors que Cyril avait eu ses apaisements sur toute cette question, mais je me souviens qu'il me dit plus d'une fois que pour lui il n'était besoin d'aucune preuve de ce genre et qu'il croyait la théorie complète, même sans cela.

      Je riais de sa confiance.

      Je lui dis que sans cette preuve toute la théorie dégringolait à terre et je le félicitai chaudement de sa merveilleuse découverte.

      Alors nous décidâmes que le portrait serait gravé ou reproduit en fac-similé et placé comme frontispice en tête de l'édition des _Sonnets _de Cyril.

      Pendant trois mois, nous ne fîmes que repasser tous les poèmes vers par vers jusqu'à ce que nous eûmes dominé toutes les difficultés du texte ou de sens.

      Un malheureux jour, j'étais dans un magasin d'estampes à Holborn, quand je vis sur le comptoir quelques dessins à la pointe d'argent extrêmement beaux.

      Je fus si fort attiré par eux que je les achetai, et le propriétaire du magasin, un certain Rawlings, me dit qu'ils étaient l'oeuvre d'un jeune peintre nommé Edward Merton qui était très habile, mais aussi pauvre qu'un rat d'église.

      Quelques jours après, j'allai voir Merton dont le


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<p>10</p>

Georges Chapman (1557-1534) contemporain de Shakespeare, remis en honneur par Algernon C. Swinburne et réédité en 1873. (Note du traducteur.)

<p>11</p>

Ou ont pris mon Hughes. (Note du traducteur.)