Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4 - Charles Athanase Walckenaer


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avait ordonné d'y construire servit, cette année, aux représentations de Psyché. Il est remarquable que, pendant tout le cours de ce règne, on ne joua dans cette salle que ce seul opéra, et seulement cette année230. Soit que Louis XIV, pour la pompe et la magnificence de sa cour, se trouvât trop peu séparé de la foule, et gêné dans la populeuse ville de Paris; soit qu'il y fût désagréablement poursuivi par le souvenir de la Fronde, presque tous les actes émanés de lui sont, à l'époque où nous sommes parvenus, datés de Saint-Germain en Laye, de Versailles et de Fontainebleau. C'est à Saint-Germain en Laye qu'à la fin de l'année on joua la Comtesse d'Escarbagnas. En même temps que Molière, dans cette pièce, amusait la cour par les ridicules de la province, il faisait rire Paris par la farce bouffonne et spirituelle des Fourberies de Scapin. Quoique Psyché eût été imprimée sous le nom seul de Molière, et même vendue à son profit231, on était averti qu'il n'avait eu qu'une très-faible part à cette pièce, mise en musique par Lulli, et presque entièrement versifiée en quinze jours232 par Quinault et par le grand Corneille, qui dans cette circonstance, à l'âge de soixante-cinq ans, écrivit les vers les plus gracieux et les plus passionnés qui soient sortis de sa plume233.

      Cette fable de Psyché, la plus ingénieuse de toutes celles que l'antiquité nous a transmises, avait surtout été mise en vogue par le roman de la Fontaine. On admirait moins alors la prose élégante et facile de ce roman que les vers trop dédaignés depuis qu'il y a insérés pour décrire les prestiges de Versailles, et qui lui valurent l'honneur de présenter au roi sa nouvelle production234. Cette œuvre singulière, originale par la conception et l'exécution, contenait sur la littérature des dialogues pleins de goût et de sagacité: digressions qui tenaient d'ailleurs aussi peu au sujet principal du roman que les descriptions en vers des jardins de Versailles, où toute la cour se transportait souvent235. Mais ce qui, dans cette même année 1671, recommandait, plus encore que les représentations de Psyché, le nom de la Fontaine à la jeune génération et à celle qui l'avait précédée, c'est qu'il venait de publier deux recueils, tous deux avec privilége du roi, que les plus obséquieux courtisans comme les dames les mieux famées ne se faisaient pas scrupule de lire et de louer. L'un était un recueil de fables nouvelles, avec des poésies amoureuses et autres en faveur de Fouquet et des personnes qu'il recevait à Vaux236. Ce volume contenait aussi la description de Vaux, plus gracieuse, plus poétique encore que celle de Versailles. L'autre recueil était une troisième partie de contes au moins égaux, peut-être supérieurs en agréments poétiques aux deux premières, qui avaient valu tant de célébrité à l'auteur. Madame de Sévigné envoya ces volumes à sa fille237; elle-même les lut avec délices. Ce n'étaient pas les seules productions où les poëtes et les beaux esprits se jouaient de ce qu'une certaine portion de la société de ce temps considérait comme trop respectable pour être en butte à de telles licences: alors que Boileau donnait tant de louanges au roi, il prenait pour sujet d'un poëme qui est l'œuvre la plus achevée de sa muse la satire des chanoines de la Sainte-Chapelle de Paris; et, par les lectures qu'il en faisait alors chez M. de Lamoignon, ses vers, retenus dans la mémoire de ceux qui y avaient assisté, étaient connus avant d'être publiés238.

      Cependant, cette même année 1671, l'ouverture d'un jubilé eut lieu dans la cathédrale de Paris le 23 mars, et, le 28 du même mois, le roi communia publiquement à l'église des Récollets, où il fit une station. Là, ayant à ses côtés le Dauphin et Bossuet, il toucha plus de douze cents malades qui se présentèrent avec l'espoir d'être guéris des humeurs froides par l'influence surnaturelle du descendant de saint Louis239.

      La préférence donnée en cette occasion par Louis XIV à l'église du couvent des Récollets, une des moindres de Paris, pour un acte aussi solennel, était due à ce que ces religieux étaient en possession de lui fournir de zélés aumôniers pour ses armées240.

      La littérature est toujours le reflet de l'époque qui la produit; et si nous rappelons ces faits, c'est qu'ils nous font parfaitement connaître les contrastes qu'offrait alors cette société française, joviale et sérieuse, licencieuse et dévote, qui appréciait vivement la beauté des chefs-d'œuvre des auteurs récents, sans avoir renoncé entièrement à ses anciennes admirations pour ceux qui les avaient précédés. C'est ce que démontre le succès qu'eut alors un Recueil de poésies chrétiennes et diverses241, en trois volumes, recueil formé par Loménie de Brienne et quelques-uns des solitaires de Port-Royal, qui eurent la singulière idée, pour en hâter le débit, de le publier sous le nom célèbre et populaire de l'auteur des Contes et des Fables. Il est vrai que, pour que le titre de ce recueil ne fût pas tout à fait une fable, on fit composer par le complaisant la Fontaine une nouvelle paraphrase en vers du psaume XVII, Diligam te, Domine242, et l'épître dédicatoire au prince de Conti. Ce recueil renfermait un choix des poésies de tous les auteurs depuis Henri IV jusqu'aux plus récents, et semblait surtout calculé pour remettre en honneur les poëtes qui avaient fréquenté l'hôtel de Rambouillet, ou acquis, durant la fin du règne de Louis XIII et la minorité de Louis XIV, une grande célébrité.

      Ce n'était pas une des moindres singularités de ce recueil, d'y trouver, au nombre des meilleures pièces, une Ode à la Sagesse243, par M. de Pomponne, nouvellement nommé ministre, et composée de strophes harmonieuses sur l'ambition et la capricieuse instabilité de la fortune. On lisait dans ces volumes des vers sur des sujets saints, par mademoiselle de Scudéry et la Fontaine; puis après des vers sur des sujets profanes, par le jeune Fléchier; enfin d'admirables morceaux de Boileau, de Racine et de Corneille, placés entre ceux de Cassagne et de l'abbé Cotin. C'est que le goût du public était encore partagé et vacillant; c'est que la recherche dans les pensées, la fausse délicatesse dans le langage, les subtilités du cœur, l'affectation du savoir prévalaient dans les cercles et dans les réunions qui s'étaient formées à l'imitation de celle de l'hôtel de Rambouillet, et que la lutte engagée entre les auteurs, dans le commencement de ce règne, était toujours fort animée. Dans les recueils de vers qu'on publiait en Hollande, on avait soin, pour plaire aux diverses sortes de lecteurs, de mêler avec les satires de Boileau des satires composées contre lui et contre Molière244.

      C'est parce qu'il était fortement choqué de ce défaut de discernement en matière littéraire que Boileau avait composé son Art poétique, de tous ses ouvrages celui qui a le plus contribué à sa gloire et à celle de la littérature française. Il en faisait à cette époque des lectures chez M. de Lamoignon, le duc de la Rochefoucauld, le cardinal de Retz245. Il gravait ainsi dans la mémoire de ses auditeurs, avant qu'elles fussent publiées, les règles du goût et de l'art d'écrire; et comme il corrigeait beaucoup ses vers, c'est de lui surtout qu'on a pu dire, lorsqu'il vivait: «On récite déjà les vers qu'il fait encore.»

      Presque toutes les satires composées contre Boileau et contre Molière, quoique paraissant sous le voile de l'anonyme, étaient attribuées à l'abbé Cotin246, conseiller et aumônier du roi. Cotin était admis dans la société intime des duchesses de Rohan, de Nemours, de Longueville, des ducs de Montausier et de St-Agnan. MADEMOISELLE l'honorait du nom de son ancien, et elle avait amusé Louis XIV par la lecture de quelques-unes de ses énigmes en sonnet. Il avait publié un grand nombre d'ouvrages en vers247 et en prose, dont plusieurs étaient à la louange du roi248; pendant seize ans il avait, avec quelque succès,


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<p>230</p>

Les frères PARFAICT, Histoire du théâtre françois, t. XI, p. 121-125, et p. 174 et 178.

<p>231</p>

Psiché (sic), tragédie-ballet, par L.-B.-P. MOLIÈRE; et se vend chez l'auteur à Paris, 1671.

<p>232</p>

Psiché; Paris, 1671, p. 1 de l'avis au libraire.

<p>233</p>

Psiché, tragédie-ballet; Paris, 1671, acte III, scène III, p. 45 et 51.

<p>234</p>

Les Amours de Psiché (sic) et de Cupidon, par M. DE LA FONTAINE; Paris, 1669, in-8o et in-12.—Histoire de la vie et des ouvrages de la Fontaine, troisième édition, 1824, in-8o, p. 200.

<p>235</p>

Le 12 septembre 1671, le roi donne à Versailles un divertissement, et on y joue la comédie. Voyez Recueil des gazettes, p. 904.

<p>236</p>

Fables nouvelles et autres poésies de M. DE LA FONTAINE; Paris, 1671.—Contes et Nouvelles en vers, par M. DE LA FONTAINE; Paris, 1671. Le privilége du roi dit: «Achevé d'imprimer le 27e jour de janvier 1671.»

<p>237</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 mars, 27 avril 1671; 9 mars 1672), t. I, p. 190; t. II, p. 140, 349 et 352, édit. M.

<p>238</p>

Voyez Berriat Saint-Prix, Œuvres de Boileau, t. I, p. CXLI des Notices bibliographiques.

<p>239</p>

Gazettes des 23 et 28 mars 1671, p. 315 et 339. Le jubilé fut terminé le 11 avril, p. 304.

<p>240</p>

JAILLOT, Recherches critiques, historiques et topographiques sur la ville de Paris, 1773, in-8o, t. II, quartier Saint-Martin des Champs, p. 33 et 34.

<p>241</p>

Recueil de poésies chrétiennes et diverses, par M. DE LA FONTAINE; 1671, in-12, 3 vol. in-8o. Le premier volume seul porte le titre de Recueil de poésies chrétiennes et diverses. Les deux autres ont pour titre: Recueil de poésies diverses. Le privilége du roi est accordé à l'imprimeur Pierre le Petit, qui y déclare que le livre lui a été remis entre les mains par Lucie Hélie de Brèves. Conférez, sur l'auteur ou les auteurs de ce recueil, Histoire de la vie et des ouvrages de LA FONTAINE, 3e édit., p. 212.—BERRIAT SAINT-PRIX, édition Boileau, t. I, p. CXXXIX.—MORERI, Grand dictionnaire, édit. 1759, p. 219.

<p>242</p>

Recueil, etc., t. I, p. 413 à 418.

<p>243</p>

Recueil de poésies diverses, par M. DE LA FONTAINE; 1671, in-12, t. II, p. 114 à 119.

<p>244</p>

Recueil des contes du sieur de la Fontaine, les satires de Boileau, et autres pièces curieuses; Amsterdam, chez Jean Venhœven, 1668, in-18, p. 226-240. Discours IX, X, XI et XII.

<p>245</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (9 mars 1672), t. II, p. 404, édit. G.; t. II, p. 353, édit. M. L'Art poétique ne fut publié que deux ans après ces lectures, en 1674.

<p>246</p>

Conférez Berriat Saint-Prix dans son édition de Boileau, t. I, p. CCXIII et CCXIV. D'autres satires furent publiées par Coras; puis vint la comédie de Boursault, par la suite les satires de Perrault et d'autres. La critique désintéressée des satires du temps, 1666, in-8o de 64 pages, est seule de COTIN. On a eu tort de lui attribuer celle qui est intitulée: Despréaux, ou la satire des satires de Boileau; 1660, petit in-12.

<p>247</p>

Œuvres meslées de M. COTIN, de l'Académie françoise, contenant énigmes, odes, sonnets et épigrammes, dédiées à MADEMOISELLE, p. 1 de l'épître dédicatoire.

<p>248</p>

COTIN, dans la Biographie universelle, t. X, p. 69, ne fait point mention de cet ouvrage.