Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2. Constantin-François Volney

Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2 - Constantin-François Volney


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à peine la viande dans les plus grandes maladies; ils ont, comme les autres Grecs, trois grands carêmes par an, une foule de jeûnes, pendant lesquels ils ne mangent ni œufs, ni lait, ni beurre, ni même de fromage. Presque toute l’année ils vivent de lentilles à l’huile, de fèves, de riz au beurre, de lait caillé, d’olives et d’un peu de poisson salé. Leur pain est une petite galette grossière et mal levée, dure le second jour, et que l’on ne renouvelle qu’une fois par semaine. Avec cette nourriture, ils se prétendent moins sujets aux maladies que les paysans; mais il faut remarquer qu’ils portent tous des cautères au bras, et que plusieurs sont attaqués d’hernies, dues, je crois, à l’abus de l’huile. Chacun a pour logement une étroite cellule, et pour tout meuble une natte, un matelas, une couverture, et point de draps; ils n’en ont pas besoin, puisqu’ils dorment vêtus. Leur vêtement est une grosse chemise de coton rayée de bleu, un caleçon, une camisole, et une robe de bure brune si roide et si épaisse, qu’elle se tient debout sans faire un pli. Contre l’usage du pays, ils portent des cheveux de huit pouces de long; et au lieu de capuchon, un cylindre de feutre de dix pouces de hauteur, tel que celui des cavaliers turks. Enfin chacun d’eux, à l’exception du supérieur, du dépensier et du vicaire, exerce un métier d’un genre nécessaire ou utile à la maison; l’un est tisserand, et fabrique les étoffes; l’autre est tailleur, et coud les habits; celui-ci est cordonnier, et fait les souliers; celui-là est maçon, et dirige les constructions. Deux sont chargés de la cuisine, quatre travaillent à l’imprimerie, quatre à la reliure; et tous aident à la boulangerie, le jour que l’on fait le pain. La dépense de 40 à 45 bouches qui composent le couvent, n’excède pas chaque année la somme de 12 bourses, c’est-à-dire, 15,000 liv.; encore sur cette somme prend-on les frais de l’hospitalité de tous les passants, ce qui forme un article considérable. Il est vrai que la plupart de ces passants laissent des dons ou aumônes, qui font une partie du revenu de la maison; l’autre partie provient de la culture des terres. Ils en ont pris à rente une assez grande étendue, dont ils paient 400 piastres de redevance à deux émirs. Ces terres ont été défrichées par les premiers religieux; mais aujourd’hui, ils ont jugé à propos d’en remettre la culture à des paysans qui leur paient la moitié de tous les produits. Ces produits sont des soies blanches et jaunes que l’on vend à Baîrout; quelques grains et des vins25 qui, faute de débit, sont offerts en présent aux bienfaiteurs, ou consommés dans la maison. Ci-devant les religieux s’abstenaient d’en boire; mais, par une marche commune à toutes les sociétés, ils se sont déja relâchés de leur austérité première; ils commencent aussi à se tolérer la pipe et le café, malgré les réclamations des anciens, jaloux en tout pays de perpétuer les habitudes de leur jeunesse.

      Le même régime a lieu pour toutes les maisons de l’ordre, qui, comme je l’ai dit, sont au nombre de 12. On porte à 150 sujets la totalité des religieux; il faut y ajouter 5 couvents de femmes qui en dépendent. Les premiers supérieurs qui les fondèrent, crurent avoir fait une bonne opération; mais aujourd’hui l’ordre s’en repent, parce que des religieuses en pays turk sont une chose dangereuse, et qu’en outre elles dépensent plus qu’elles ne rendent. L’on n’ose cependant les abolir, parce qu’elles tiennent aux plus riches maisons d’Alep, de Damas et du Kaire, qui se débarrassent de leurs filles dans ces couvents, moyennant une dot. C’est d’ailleurs pour un marchand un motif de verser des aumônes considérables. Plusieurs donnent chaque année cent pistoles, et même cent louis et mille écus, sans demander d’autre intérêt que des prières à Dieu, pour qu’il détourne d’eux le regard dévorant des pachas. Mais comme d’autre part ils le provoquent par le luxe fastueux de leurs habits et de leurs meubles, ces dons ne les empêchent point d’être rançonnés. Récemment l’un d’eux osa bâtir à Damas une maison de plus de 120,000 livres. Le pacha qui la vit, fit dire au maître qu’il était curieux de la visiter, et d’y prendre une tasse de café. Or, comme le pacha eût pu s’y plaire et y rester, il fallut, pour se débarrasser de sa politesse, lui faire un cadeau de 10,000 écus.

      Après Mar-hanna, le couvent le plus remarquable est Dair-Mokallés, ou couvent de Saint-Sauveur. Il est situé à trois heures de chemin au nord-est de Saide. Les religieux avaient amassé dans ces derniers temps une assez grande quantité de livres arabes imprimés et manuscrits; mais il y a environ 8 ans que Djezzâr ayant porté la guerre dans ce canton, ses soldats pillèrent la maison et dispersèrent tous les livres.

      En revenant à la côte, on doit remarquer d’abord Saîda, rejeton dégénéré de l’ancienne Sidon26. Cette ville, ci-devant résidence du pacha, est, comme toutes les villes turkes, mal bâtie, malpropre, et pleine de décombres modernes. Elle occupe, le long de la mer, un terrain d’environ 600 pas de long sur 150 de large. Dans la partie du sud, le terrain qui s’élève un peu, a reçu un fort construit par Degnîzlé. De là l’on domine la mer, la ville et la campagne; mais une volée de canon renverserait tout cet ouvrage, qui n’est qu’une grosse tour à un étage, déja à demi ruinée. A l’autre extrémité de la ville, c’est-à-dire au nord-ouest, est le château. Il est bâti dans la mer même, à 80 pas du continent, auquel il tient par des arches. A l’ouest de ce château, est un écueil de 15 pieds d’élévation au-dessus de la mer, et d’environ 200 pas de long. L’espace compris entre cet écueil et le château, sert de rade aux vaisseaux; mais ils n’y sont pas en sûreté contre le gros temps. Le rivage qui règne le long de la ville, est occupé par un bassin enclos d’un môle ruiné. C’était jadis le port; mais le sable l’a rempli au point qu’il n’y a que son embouchure près le château, qui reçoive des bateaux. C’est Fakr el Din, émir des Druzes, qui a commencé la ruine de tous ces petits ports, depuis Baîrout jusqu’à Acre, parce que craignant les vaisseaux turks, il y fit couler à fond des bateaux et des pierres. Le bassin de Saide, s’il était vidé, pourrait tenir 20 à 25 petits bâtiments. Du côté de la mer, la ville est absolument sans muraille; du côté de la terre, celle qui l’enceint n’est qu’un mur de prison. Toute l’artillerie réunie ne monte pas à six canons, qui n’ont ni affûts ni canonnier. A peine compte-t-on 100 hommes de garnison. L’eau vient de la rivière d’Aoula, par des canaux découverts où les femmes vont la puiser. Ces canaux servent aussi à abreuver des jardins d’un sol médiocre, où l’on cultive des mûriers et des limoniers.

       Saide est une ville assez commerçante, parce qu’elle est le principal entrepôt de Damas et du pays intérieur. Les Français, les seuls Européens que l’on y trouve, y ont un consul et 5 ou 6 maisons de commerce. Leurs retraits consistent en soie, et surtout en cotons bruts ou filés. Le travail de ce coton est la principale branche d’industrie des habitants, dont le nombre peut se monter à cinq mille ames.

      A 6 lieues au sud de Saide, en suivant le rivage, l’on arrive par un chemin de plaine très-coulant, au village de Sour. Nous avons peine à reconnaître dans ce nom celui de Tyr, que nous tenons des Latins; mais si l’on se rappelle que l’y fut jadis ou; si l’on observe que les Latins ont substitué le t au thêta des Grecs, et que ce thêta avait le son sifflant du th anglais dans think27, l’on sera moins étonné de l’altération. Elle n’a point eu lieu chez les Orientaux, qui, de tout temps, ont appelé Tsour et Sour le lieu dont nous parlons.

      Le nom de Tyr tient à tant d’idées et de faits intéressants pour quiconque a lu l’histoire, que je crois faire une chose agréable à tout lecteur, en traçant un tableau fidèle des lieux qui furent jadis le théâtre d’un commerce et d’une navigation immenses, le berceau des arts et des sciences, et la patrie du peuple le plus industrieux peut-être et le plus actif qui ait jamais existé.

      Le local actuel de Sour est une presqu’île qui saille du rivage en mer en forme de marteau à tête ovale. Cette tête est un fond de roc recouvert d’une terre brune cultivable, qui forme une petite plaine d’environ 800 pas de long sur 400 de large. L’isthme qui joint cette plaine au continent, est un pur sable de mer. Cette différence de sol rend très-sensible l’ancien


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Ces vins sont de trois espèces: savoir, le rouge, le blanc et le jaune: le blanc, qui est le plus rare, est amer à un point qui le rend désagréable. Par un excès contraire, les deux autres sont trop doux et trop sucrés. La raison en est qu’on les fait bouillir, en sorte qu’ils ressemblent au vin cuit de Provence. L’usage de tout le pays est de réduire le moût aux deux tiers de sa quantité. On ne peut en boire pendant le repas sans s’exposer à des aigreurs, parce qu’ils développent leur fermentation dans l’estomac. Cependant il y a quelques cantons où l’on ne cuit pas le rouge, et alors il acquiert une qualité presque égale au Bordeaux. Le vin jaune est célèbre chez nos négociants, sous le nom de vin d’or, qu’il doit à sa belle couleur de topaze. Le plus estimé se cueille sur les coteaux du Zoûq ou village de Masbeh près d’Antoura. Il n’est pas nécessaire de le cuire, mais il est trop sucré. Voilà ces vins du Liban vantés des anciens gourmets grecs et romains. C’est à nos Français à essayer s’ils seraient du même avis; mais ils doivent observer que dans le passage de la mer, les vins cuits fermentent une seconde fois, et font crever les tonneaux. Il est probable que les habitants du Liban n’ont rien changé à l’ancienne méthode de faire le vin, ni à la culture des vignes. Elles sont disposées par échalas de six à huit pieds de hauteur. On ne les taille point comme en France, ce qui nuit sûrement beaucoup à la quantité et à la qualité de la récolte. La vendange se fait sur la fin de septembre. Le couvent de Mar-hanna cueille environ cent cinquante kâbié ou jarres de terre, qui tiennent à peu près cent dix pintes. Le prix courant dans le pays peut s’évaluer à sept ou huit sous notre pinte.

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Le nom de Sidon subsiste encore dans un petit village à une demi-lieue de Saide.

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Et non le son du z, comme dans there.