Oscar Wilde: The Complete Works. Knowledge house

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tombe entre Salomé et Iokanaan.)

      le page d’hérodias

      Le jeune Syrien s’est tué! le jeune capitaine s’est tué! Il s’est tué celui qui était mon ami! Je lui avais donné une petite boîte de parfums, et des boucles d’oreilles faites en argent, et maintenant il s’est tué! Ah! n’a-t-il pas prédit qu’un malheur allait arriver?… Je l’ai prédit moi-même et il est arrivé. Je savais bien que la lune cherchait un mort, mais je ne savais pas que c’était lui qu’elle cherchait. Ah! pourquoi ne l’ai-je pas caché de la lune? Si je l’avais caché dans une caverne elle ne l’aurait pas vu.

      ·36· le premier soldat

      Princesse, le jeune capitaine vient de se tuer.

      salomé

      Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.

      iokanaan

      N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias? Ne vous ai-je pas dit que j’avais entendu dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort, et l’ange n’est-il pas venu?

      salomé

      Laisse-moi baiser ta bouche.

      iokanaan

      Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse te sauver. C’est celui dont je t’ai parlé. Allez le chercher. Il est dans un bateau sur la mer de Galilée, et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer, et appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez lui [E: demandez-lui] la rémission de vos péchés.

      salomé

      Laisse-moi baiser ta bouche.

      ·37· iokanaan

      Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.

      salomé

      Je baiserai ta bouche, Iokanaan.

      iokanaan

      Je ne veux pas te regarder. Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé, tu es maudite.

      (Il descend dans la citerne.)

      salomé

      Je baiserai ta bouche, Iokanaan, je baiserai ta bouche.

      le premier soldat

      Il faut faire transporter le cadavre ailleurs. Le tétrarque n’aime pas regarder les cadavres, sauf les cadavres de ceux qu’il a tués lui-même.

      le page d’hérodias

      Il était mon frère, et plus proche qu’un frère. Je lui ai donné une petite boîte qui contenait des parfums, et une bague d’agate qu’il portait toujours à la main. Le soir nous nous promenions au bord de la rivière et parmi les amandiers et il me racontait des choses de son pays. ·38· Il parlait toujours très bas. Le son de sa voix ressemblait au son de la flûte d’un joueur de flûte. Aussi il aimait beaucoup à se regarder dans la rivière. Je lui ai fait des reproches pour cela.

      second soldat

      Vous avez raison; il faut cacher le cadavre. Il ne faut pas que le tétrarque le voie.

      premier soldat

      Le tétrarque ne viendra pas ici. Il ne vient jamais sur la terrasse. Il a trop peur du prophète.

      (Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour.)

      hérode

      Où est Salomé? Où est la princesse? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais commandé? ah! la voilà!

      hérodias

      Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours!

      hérode

      La lune a l’air très étrange ce soir. N’est-ce pas que la lune a l’air très étrange? On dirait une ·39· femme hystérique, une femme hystérique qui va cherchant des amants partout. Elle est nue aussi. Elle est toute nue. Les nuages cherchent à la vêtir, mais elle ne veut pas. Elle se montre toute nue dans le ciel. Elle chancelle à travers les nuages comme une femme ivre… Je suis sûr qu’elle cherche des amants… N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre? Elle ressemble à une femme hystérique, n’est-ce pas?

      hérodias

      Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons… Vous n’avez rien à faire ici.

      hérode

      Je resterai! Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Apportez les tables d’ivoire, et les tables de jaspe. L’air ici est délicieux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Aux ambassadeurs de César il faut faire tout honneur.

      hérodias

      Ce n’est pas à cause d’eux que vous restez.

      hérode

      Oui, l’air est délicieux. Viens Hérodias, nos ·40· hôtes nous attendent. Ah! j’ai glissé! j’ai glissé dans le sang! C’est d’un mauvais présage. C’est d’un très mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici?… Et ce cadavre? Que fait ici ce cadavre? Pensez-vous que je sois comme le roi d’Egypte qui ne donne jamais un festin sans montrer un cadavre à ses hôtes? Enfin qui est-ce? Je ne veux pas le regarder.

      premier soldat

      C’est notre capitaine, Seigneur. C’est le jeune Syrien que vous avez fait capitaine il y a trois jours seulement.

      hérode

      Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.

      second soldat

      Il s’est tué lui-même, Seigneur.

      hérode

      Pourquoi? Je l’ai fait capitaine!

      second soldat

      Nous ne savons pas, Seigneur. Mais il s’est tué lui-même.

      hérode

      Cela me semble étrange. Je pensais qu’il n’y ·41· avait que les philosophes romains qui se tuaient. N’est-ce pas, Tigellin, que les philosophes à Rome se tuent?

      tigellin

      Il y en a qui se tuent, Seigneur. Ce sont les Stoïciens. Ce sont des gens très grossiers. Enfin ce sont des gens très ridicules. Moi je les trouve très ridicules.

      hérode

      Moi aussi. C’est ridicule de se tuer.

      tigellin

      On rit beaucoup d’eux à Rome. L’empereur a fait un poème satirique contre eux. On le récite partout.

      hérode

      Ah! il a fait un poème satirique contre eux? César est merveilleux. Il peut tout faire… C’est étrange qu’il se soit tué le jeune Syrien. Je le regrette. Oui, je le regrette beaucoup. Car il était beau. Il était même très beau. Il avait des yeux très langoureux. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse. En effet, j’ai trouvé qu’il l’avait un peu trop regardée.

      ·42· hérodias

      Il y en a d’autres qui la regardent trop.

      hérode

      Son père était roi. Je l’ai chassé de son royaume. Et de sa mère qui était reine vous avez fait une esclave, Hérodias. Ainsi, il était ici comme un hôte. C’était à cause de cela que je l’avais fait capitaine. Je regrette qu’il soit mort… Enfin, pourquoi avez-vous laissé le cadavre ici? Il faut l’emporter ailleurs. Je ne veux pas le voir… Emportez-le… (On emporte le cadavre) Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas


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