" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов


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Cardinaux Richelieu et Mazarin et de M. Colbert, représenté en diverses Satyres & Poësies ingénieuses pour celle de 1693, comprenant aussi des œuvres d’autres auteurs. La seconde étape que l’on peut identifier consiste à affirmer une impression française, comme c’est le cas à partir de l’édition de 1713 : Rome, Paris et Madrid ridicules, avec des remarques historiques et un recueil de poésies choisies par Mr. De B***, A Paris, chez Pierre le Grand. Si l’on suit F. Lachèvre, cette adresse est celle d’un « libraire imaginaire » et l’on ignore si le volume fut édité à Paris, en province ou en Hollande6. Paris ridicule n’apparaîtra plus que dans des recueils jusqu’à la compilation des œuvres de Claude Le Petit par F. Lachèvre en 1918.

      La censure semble avoir pour autre effet le changement du titre de l’œuvre. Plutôt que de reprendre le titre incriminé du Bordel des Muses, les imprimeurs se garantissent un semblant de protection en intitulant ces rééditions Paris ridicule. Il ne faudrait pas négliger l’éventuel gain économique qu’il y avait à ne produire qu’une partie du recueil, moins coûteux qu’un volume entier et plus facile à diffuser sous le manteau. Sans négliger l’hypothèse que certaines pièces n’étaient déjà plus accessibles, il semble peu probable que les imprimeurs d’alors n’aient pas eu connaissance de celles qui nous sont parvenues. L’intitulé peut varier, en intégrant des précisions : Paris ridicule par Petit où il y a 126 dizains (1672, sans lieu), ou pour éveiller un goût nouveau, comme c’est le cas du titre de l’édition de 1713, rapprochant l’œuvre de Claude Le Petit de celle de Saint-Amant.

      Dans les rééditions du XVIIe et du XVIIIe siècles, l’altération du texte ne paraît pas directement liée à la censure7. Ce sont davantage les aléas des variantes et de l’application des copistes – peut-être en partie dues aux entreprises clandestines – qui déforment le texte. Au vu de certaines évolutions, on pourrait émettre l’hypothèse d’un adoucissement des vers les plus virulents. Ainsi, dans les strophes 121 et 122 dédiées aux jésuites, une atténuation des attaques semble se fait jour :

      Mais que ses héritiers8 sont rogues !

      D’où vient qu’étant si triomphants,

      Ils sont devenus pédagogues,

      Et fouetteurs de petits enfants ?

      C’est ce que tout le monde explique

      Selon son animosité :

      L’un dit que c’est par vanité,

      L’autre que c’est par politique ;

      Pour moi qui suis sans passion,

      Je juge de cette action

      Avecque plus de prud’homie,

      Et soutiens plus probablement

      Que c’est par pure sodomie,

      Et ce n’est pas sans fondement.

      Au terme blasphématoire de « sodomie » employé dans la version de 1668, succède le syntagme « pure solemnie9 » dans un autre exemplaire signalé par F. Lachèvre10, daté de la même année, puis s’y substitue l’énigmatique formulation « Qu’il l’est pour le certain M…11 » dans l’édition de 1672, se changeant enfin, certainement dans la continuité de l’édition précédente, en « Que c’est pour certain Me en Mie12 » (1693). L’accusation de sodomie s’affaiblit pour céder la place au reproche adressé aux jésuites de n’être maîtres en rien, c’est-à-dire d’être inutiles. Pourtant, en suivant en parallèle l’évolution de la périphrase désignant les jésuites, à la fin de la strophe 121, cette logique d’adoucissement laisse à désirer. « Fouetteurs d’enfants » dans l’édition originale de 1668, ils sont « fouteurs de petits enfants » dans la contrefaçon de 1668 et enfin « amoureux de petits enfants » dans la version de 1693. De la sorte, l’accusation de pédophilie demeure, déplacée un peu en amont.

      Un manuscrit « à faire passer sous le manteau »

      L’examen plus ample de ces variantes paraît nécessaire pour construire, peu à peu, des interprétations solides sur ces mutations. L’acquisition récente13 d’une copie manuscrite du Paris ridicule, non encore datée, pourrait bien participer à ce dessein. Cet in quarto de 94 pages cousues, sans reliure, aux fils apparents et de pauvre qualité, nous permet d’illustrer l’hypothèse d’une transmission « sous le manteau » de cet ouvrage. En outre, au regard des premières variantes consignées et du format, cet exemplaire ne semble correspondre à aucune des rééditions connues.

      Elle est loin d’être complète : plusieurs des premières strophes sont retranchées à cette version, faisant disparaître le prologue du poète s’adressant à sa muse. Ce choix réduit en partie le nombre de pages et hâte la confrontation avec les lieux publics – on commence immédiatement par « Le Louvre ». C’est sans doute cette orientation qui explique également l’ajout massif de titres pour chaque strophe14, ce qui ajoute à la précision du trajet et accentue l’effet de promenade. Si l’argus l’authentifie bien comme datant du XVIIe siècle, ce manuscrit invite dans tous les cas à poursuivre l’enquête sur les inédits du jeune poète et nous montre comment la fortune littéraire d’une œuvre bannie se renouvelle dans le champ de la recherche.

      La police du livre ayant pour fonction d’établir l’infraction et de la juger, son rôle fut rempli – et de manière radicale – dans la saisie du Bordel des Muses. Elle ne semble cependant pas empêcher la fortune littéraire du Paris ridicule de Claude Le Petit, appelé à se fondre dans la masse des satires portant sur une capitale – telles celles de François Berthod, de Maynard, ou Le Tracas de Paris par François Colletet. Loin d’entériner la suppression d’une œuvre, la censure, en créant une émulation, en fait paradoxalement la publicité. Toutefois, les formes et les lieux de production se déplacent. L’imprimé voit peut-être de moins en moins d’œuvres libertines (au point que certains historiens de la littérature ont affirmé qu’elles disparaissaient pour faire place au fameux « tournant dévot » du dernier tiers du siècle). Mais, en fait, la littérature de cet ordre explose sous la forme d’une poésie satirique/satyrique de circonstance tournée vers la critique des mœurs des puissants qui, circulant de manière manuscrite, représente une masse considérable encore peu explorée15. À cela s’ajoute le marché considérable de la galanterie « noire » qu’emblématise la publication imprimée de l’Histoire amoureuse des Gaules (1665) et autres France Galante (1688), aux frontières de la France. Satire, satyre, écriture de l’obscène deviennent les outils privilégiés de la critique politique. À sa manière, et notamment par ses rééditions, l’œuvre de Le Petit en a ouvert la voie.

      ANNEXE

      Tableau récapitulatif des éditions des œuvres de Claude Le Petit du XVIIe siècle à nos jours

Titre Lieu Date Format Manuscrit
La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule de C. Le Petit A Cologne, chez Pierre de la Place 1668 In-12, 47 p. BnF : Y² 2838
La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule de C. Le Petit A Cologne, chez Pierre de da (sic) Place Probable contrefaçon réalisée à Bruxelles par Philippe Vleugart 1668 In-12, 47 p.
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