Les petites filles modèles. Comtesse de Ségur

Les petites filles modèles - Comtesse de Ségur


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      L'heure du dîner vint; les enfants étaient tristes tous les trois. Le plat sucré se trouva être des croquettes de riz, que Madeleine aimait extrêmement.

      MADAME DE FLEURVILLE.

      Madeleine, donne-moi ton assiette, que je te serve des croquettes.

      MADELEINE.

      Merci, maman, je n'en mangerai pas.

      MADAME DE FLEURVILLE.

      Comment! tu n'en mangeras pas, toi qui les aimes tant!

      MADELEINE.

      Je n'ai plus faim, maman.

      MADAME DE FLEURVILLE.

      Tu m'as demandé tout à l'heure des pommes de terre, et je t'en ai refusé parce que je pensais aux croquettes de riz, que tu aimes mieux que tout autre plat sucré.

      MADELEINE, embarrassée et rougissante.

      J'avais encore un peu faim, maman, mais je n'ai plus faim du tout.»

      Mme de Fleurville regarde d'un air surpris Madeleine, rouge et confuse; elle regarde Camille, qui rougit aussi et qui s'agite, dans la crainte que Madeleine ne paraisse capricieuse et ne soit grondée.

      Mme de Fleurville se doute qu'il y a quelque chose qu'on lui cache, et n'insiste plus.

      Le dessert arrive; on apporte une superbe corbeille de pêches et une corbeille de raisin; les yeux de Camille se remplissent de larmes; elle pense avec chagrin que c'est pour elle que sa sœur se prive de si bonnes choses. Madeleine soupire en jetant sur les deux corbeilles des regards d'envie.

      «Veux-tu commencer par le raisin ou par une pêche, Madeleine? demanda Mme de Fleurville.

      —Merci, maman, je ne mangerai pas de dessert.

      —Mange au moins une grappe de raisin, dit Mme de Fleurville de plus en plus surprise; il est excellent.

      —Non, maman, répondit Madeleine qui se sentait faiblir à la vue de ces beaux fruits dont elle respirait le parfum; je suis fatiguée, je voudrais me coucher.

      —Tu n'es pas souffrante, chère petite? lui demanda sa mère avec inquiétude.

      —Non, maman, je me porte très bien; seulement je voudrais me coucher.»

      Et Madeleine, se levant, alla dire adieu à sa maman et à Mme de Rosbourg; elle allait embrasser Camille, quand celle-ci demanda d'une voix tremblante à Mme de Fleurville la permission de suivre Madeleine. Mme de Fleurville, qui avait pitié de son agitation, le lui permit. Les deux sœurs partirent ensemble.

      Cinq minutes après, tout le monde sortit de table; on trouva dans le salon Camille et Madeleine s'embrassant et se serrant dans les bras l'une de l'autre. Madeleine quitta enfin Camille et monta pour se coucher.

      Camille était restée au milieu du salon, suivant des yeux Madeleine et répétant:

      «Cette bonne Madeleine! comme je l'aime! comme elle est bonne!

      —Dis-moi donc, Camille, demanda Mme de Fleurville, ce qui passe par la tête de Madeleine. Elle refuse le plat sucré, elle refuse le dessert, et elle va se coucher une heure plus tôt qu'à l'ordinaire.

      —Si vous saviez, ma chère maman, comme Madeleine m'aime et comme elle est bonne! Elle a fait tout cela pour me consoler, pour être privée comme moi; et elle est allée se coucher parce qu'elle avait peur de ne pouvoir résister au raisin, qui était si beau et qu'elle aime tant!

      —Viens la voir avec moi, Camille; allons l'embrasser!» s'écria Mme de Fleurville.

      Avant de quitter le salon, elle alla dire quelques mots à l'oreille de Mme de Rosbourg, qui passa immédiatement dans la salle à manger.

      Mme de Fleurville et Camille montèrent chez Madeleine qui venait de se coucher; ses grands yeux bleus étaient fixés sur un portrait de Camille, auquel elle souriait.

      Mme de Fleurville s'approcha de son lit, la serra tendrement dans ses bras et lui dit:

      «Ma chère petite, ta générosité a racheté la faute de ta sœur et effacé la punition. Je lui pardonne à cause de toi, et vous allez toutes deux manger des croquettes, du raisin et des pêches que j'ai fait apporter.»

      Au même moment, Élisa la bonne entra, apportant des croquettes de riz sur une assiette, du raisin et des pêches sur une autre. Tout le monde s'embrassa, Mme de Fleurville descendit pour rejoindre Mme de Rosbourg. Camille raconta à Élisa combien Madeleine avait été bonne; toutes deux donnèrent à Élisa une part de leur dessert, et après avoir bien causé, s'être bien embrassées, avoir fait leur prière de tout leur cœur, Camille se déshabilla, et toutes deux s'endormirent pour rêver soufflets, gronderies, tendresse, pardon et raisin.

       Table des matières

       Table des matières

      Un jour, Camille et Madeleine lisaient hors de la maison, assises sur leurs petits pliants, lorsqu'elles virent accourir Marguerite.

      «Camille, Madeleine, leur cria-t-elle, venez vite voir des hérissons qu'on a attrapés; il y en a quatre, la mère et les trois petits.»

      Camille et Madeleine se levèrent promptement et coururent voir les hérissons, qu'on avait mis dans un panier.

      CAMILLE.

      Mais on ne voit rien que des boules piquantes; ils n'ont ni tête ni pattes.

      MADELEINE.

      Je crois qu'ils se sont roulés en boule, et que leurs têtes et leurs pattes sont cachées.

      CAMILLE.

      Nous allons bien voir; je vais les faire sortir du panier.

      MADELEINE.

      Mais ils te piqueront; comment les prendras-tu?

      CAMILLE.

      Tu vas voir.

      Camille prend le panier, le renverse: les hérissons se trouvent par terre. Au bout de quelques secondes, un des petits hérissons se déroule, sort sa tête, puis ses pattes; les autres petits font de même et commencent à marcher, à la grande joie des petites filles, qui restaient immobiles pour ne pas les effrayer. Enfin la mère commença aussi à se dérouler lentement et avança un peu la tête. Quand elle aperçut les trois enfants, elle resta quelques instants indécise; puis, voyant que personne ne bougeait, elle s'allongea tout à fait, poussa un cri en appelant ses petits et se mit à trottiner pour se sauver.

      «Les hérissons se sauvent! s'écria Marguerite; les voilà qui courent tous du côté du bois.»

      Au même moment le garde accourut.

      «Eh! eh! dit-il, mes pelotes qui se sont déroulées! Il ne fallait pas les lâcher, mesdemoiselles; je vais avoir du mal à les rattraper.»

      Et le garde courut après les hérissons, qui allaient presque aussi vite que lui; déjà ils avaient gagné la lisière du bois; la mère pressait et poussait ses petits. Ils n'étaient plus qu'à un pas d'un vieux chêne creux dans lequel ils devaient trouver un refuge assuré; le garde était encore à sept ou huit pas en arrière, ils avaient le temps de se soustraire au danger qui les menaçait, lorsqu'une détonation se fit entendre. La mère roula morte à l'entrée du chêne creux; les petits, voyant leur mère arrêtée, s'arrêtèrent également.

      Le garde, qui avait tiré son coup de fusil sur la mère, se précipita sur les petits et les jeta dans son carnier.


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