Des variations du langage français depuis le XIIe siècle. F. Génin
r: autels, bacheliers; et d'autres consonnes, c, f, qui ne sont pas dures comme le t, et n'ont pas comme lui le privilége spécial de marquer le singulier; en sorte qu'il n'y a pas antipathie. On a toujours écrit: les Francs,—les chefs; les caitifs,—tens, encens, etc.
§ III.
DEUX CONSONNES FINALES.—PREUVE PAR LES RIMES EN I.
On demande de deux consonnes finales laquelle se détache sur la voyelle initiale suivante:
La pénultième quand c'est une liquide, l ou r;
Autrement, la dernière.
Fils est la moitié du temps écrit sans s.
Mais la douce virge Marie
Est primerains en piez saillie;
Devant son fil en est venue.
(La Court de Paradis, v. 537.)
Faites tost mes dras emmaler
Et vostre fil apareillier.
(L'Enfant remis au soleil, v. 60.)
Faites sentir l's de draps et l'l de fils.
Ile zont, comme l'on prononce aujourd'hui, est tout à fait moderne: tous les textes donnent il ont, et Théodore de Bèze, à la fin du XVIe siècle, en fait encore une règle expresse:—«L's ne sonne jamais dans le pronom pluriel ils, que le mot suivant commence par une voyelle ou par une consonne, il n'importe. Ils ont dit, ils disent, prononcez il ont dit, i disent.»
(De Ling. fr. rect. pron., p. 72.)
Mort angoisseuse, corps alègre, fort et ferme; prononcez hardiment mor angoisseuse, cor alègre, for et ferme.
Dans le cas d'une consonne initiale suivante, il va sans dire qu'on arrêtait la voix sur la dernière voyelle; l'euphonie, qui défend d'articuler une finale, à plus forte raison en défendra deux. Il était réservé à notre siècle de prononcer more taffreuse, remore zet crime.
Le mutisme complet des finales est encore démontré par les rimes.
Car s'il est vrai que jamais consonne ne fût articulée ni n'agît à reculons sur la voyelle précédente, il s'ensuit que les poëtes, travaillant pour l'oreille et attentifs uniquement à la satisfaire, doivent avoir employé quantité de rimes qui aujourd'hui révolteraient également l'oreille et les yeux.
C'est précisément ce qui arrive, et par là se trouve confirmée la règle posée au début de ce chapitre: Toute consonne finale s'annule.
Ainsi venin rimait avec ennemi:
Qui doulceur baille a ennemi
Si le tendra il pour venin.
(Marie de France, fable VIII.)
Le refrain de la chanson des Ordres, par Rutebœuf, est:
Papelart et beguin
Ont le siecle honni.
(Fabliaux, éd. Méon, II, 299.)
Dans la chronique de saint Magloire (Méon, II, p. 229):
Un an aprez, ce m'est avis,
Fu la grant douleur à Provins.
Plus loin:
L'an mil deux cens et quatre vins
Rompirent li pons de Paris.
Cette prononciation se conserve dans le patois limousin, et dans les provinces méridionales:
Efan nouri de vi,
Fenno qe parlo lati,
Fagheron jamas bono fi.
«Enfant nourri de vin, femme qui parle latin, ne firent jamais bonne fin.»
Dans le fabliau des Trois Bossus, la dame qui les trouve étouffés dans les coffres où elle les a cachés se résout à les faire jeter dans la rivière. Elle appelle un robuste portefaix:
La dame ouvri l'un des escrins22:
Amis, ne soiez esbahis;
Cest mort en l'eve me portez,
Si m'aurez moult servie à gré.
[22] Scrinium, coffre.
Rien n'est plus curieux par rapport aux rimes que le roman de Garin le Loherain, composé au XIIe siècle par Jean de Flagy, qui du moins le termina, s'il n'est l'auteur du tout. L'ouvrage contient quinze mille vers, dont une partie a été publiée. Ce poëme est en longs couplets monorimes; mais on pourrait dire qu'il est tout entier sur la rime en i, tant les couplets sur une autre rime sont rares et courts. Voici pour échantillon deux fragments:
En son vergier li quens Fromons se sist:
Il vit les routes de chevaliers venir;
Il enappelle Bouchart et Harduin:
—Ques gens sont ore que je vois la venir?
Et dist Bouchart23: Cest Hugues de Belin
Qui lez nos terres vient ardoir et bruir.
—Il a grant droit, certes! (Fromons a dit)
S'il en povoit au desseure venir,
Il vous devroit escorchier tretoz vifs,
Fils a putain! De quoi vous movoit il
Quand vos seigneur osastes envahir?
En traïson et sa femme follir?
—Laissiez ester, dit Bernart de Naisil,
Une autre chose faites, je vous en pri:
Mandez au roi le tournoi le matin;
S'esprouverons vostre fils Fromondin
Comment saura trestourner et guenchir.
—Je l'otroi bien, Fromons li respondit.
(T. II, p. 149.)
[23] Ce nom se prononce la première fois Bouchare: «Bouchar et Harduin;» la seconde fois, Bouchau: «Et dist Bouchau: C'est Hugues de Belin.»
Traduction.—«Le comte Fromont s'assit en son verger: il vit venir les troupes de chevaliers; il appelle Bouchard et Hardouin: Quelles gens est-ce que je vois là venir? Et Bouchaud répond: C'est Hugues de Belin qui vient brûler et tapager auprès de nos terres.—Il a certes bien raison, dit Fromond, s'il peut être le plus fort! Il vous devrait tous écorcher vifs, fils de putains! Qu'est-ce qui vous poussait, quand vous osâtes envahir par trahison votre seigneur et lui prendre sa femme?—Laissez, dit Bernard de Naisil; faites une chose, je vous en prie: mandez au roi le tournoi; demain matin nous éprouverons votre fils Fromondin, comment il saura se retourner et assaillir.—Je l'accorde volontiers, répondit Fromond.»
On fait jouter contre Fromondin son cousin Rigaud, dont voici l'agréable portrait:
Derrier lui garde, si voit Rigaut venir,
Un damoisel fils au vilain Hervi.
Gros out les bras et les membres fornis,
Larges