Des variations du langage français depuis le XIIe siècle. F. Génin

Des variations du langage français depuis le XIIe siècle - F. Génin


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la première conjugaison.

      Dans toute la Normandie on prononce encore la mé pour la mer, du pour du fer. Le ca d'Antifé est le cap d'Antifer.

      Considérez quel bénéfice nous a produit la confusion de la mer (mare) avec la mère (mater): il est devenu impossible de faire rimer la mer avec aimer, ou bien il faut alors rimer exclusivement pour l'œil, ce qui est absurde, et va directement contre le but de la versification.

      La même difficulté se représente pour fer et étouffer, et pour une quantité d'autres: il faut opter entre l'œil et l'oreille. Le poëte, qui trouve avec raison son vocabulaire déjà bien assez pauvre, se décide pour l'œil, et de là ces rimes indigentes qui n'existent que sur le papier. Nos pères avaient bien plus de bon sens, qui se préoccupaient d'abord et avant tout du son, et de charmer l'oreille. J'aime bien mieux qu'on me fasse rimer l'hivé avec planter, que de me faire rimer l'hivere avec trouver. Et encore, c'est que le poëte moderne, qui me blesse l'oreille, tournera en ridicule le poëte du moyen âge, et me contraindra, Richelet en main, d'avouer que la rime de l'autre est fausse, et que la sienne est une rime riche! En vérité, l'habitude fait passer d'étranges choses!

      On conviendra qu'il est très-fâcheux de trouver dans la Fontaine des rimes qui n'en sont pas, telles que celles-ci:

      La belle étoit pour les gens fiers.

      Fille se coiffe volontiers

      D'amoureux à longue crinière.

      Cette rime était excellente dans le temps qu'on prononçait fiés et non fières.

      Sous le règne de Louis XV et même de Louis XVI, la vieille cour maintenait la véritable prononciation de l'r finale dans les substantifs en eur. Elle disait des porteux, des passeux, des précheux, etc.; ce qui n'est qu'une application particulière de la règle générale.

      En termes de chasse, on ne prononce jamais autrement que des piqueux. Sur quoi je ferai observer combien les vocabulaires techniques sont d'excellents témoins du vieil usage, et combien il serait à désirer qu'on eût des dictionnaires sûrs et complets des termes de droit, de ceux de marine, de chasse, de pêche, etc., etc. Ces termes, aujourd'hui sortis de la langue usuelle, en faisaient partie quand l'art ou le métier auquel ils appartiennent a commencé d'être connu chez nous. Ils se sont conservés et transmis par la routine, chose meilleure qu'on ne croit, et sont des témoins infaillibles.

      S.

      Je n'ai pas besoin de faire voir que l's finale était effacée de la prononciation de nos aïeux, puisque nous-mêmes ne la faisons pas sentir; des verses, des mœurses, pour des vers, des mœurs, sont une tradition particulière à la Comédie française, et tout à fait mauvaise: heureusement elle commence à se perdre.

      Quant à la manière affectée dont on fait aujourd'hui siffler l's finale sur la voyelle qui commence le mot suivant, il en sera traité au chapitre des consonnes articulées à la moderne.

      Je rappelle ici pour mémoire que l's suivie d'une autre consonne dans le courant d'un mot, disparaît pour laisser prévaloir la seconde: esprit, estomach, et quelques autres, sont des vices consacrés, mais dans le fond aussi choquants que le seraient esse-pée, esse-tonner.

      Dans ce passage de la Fontaine:

      Ces deux veuves, en badinant,

      En riant, en lui faisant fête,

      L'alloient quelquefois testonnant,

      C'est-à-dire ajustant sa tête.

      (L'Homme entre ses deux âges.)

      On ne manque pas de faire prononcer aux enfants tesse-tonant, comme aussi dans l'occasion fesse-toyer. Prononcez donc aussi esse-trange, tesse-te et fesse-te.

      Les poëtes latins ne se faisaient aucun scrupule d'abattre l's et de maintenir la voyelle brève devant ces formes st, sp, sc, autorisés en cela de l'exemple des Grecs. Voyez plus haut (p. 38 et 39) la preuve de ce fait.

      T.

      Les conventions d'autrefois par rapport au t final n'ont pas changé: il est toujours effacé.

      Dans l'intérieur d'un mot, le t précédé d'une s l'emporte sur elle, et se fait seul sentir. Si la voyelle antécédente était un e, cet e prenait l'accent aigu, estrange, étrange.

      V.

      Jusqu'au milieu du XVIe siècle, l'u consonne, que nous appelons v, n'eut pas de figure distincte de celle de l'u voyelle. Ce fut Ramus qui s'avisa de lui attribuer un signe particulier. Avant Ramus, l'usage de la prononciation apprenait seul à en faire la différence.

      Le v ne termine aucun mot; il n'a pas assez de résistance. Quand l'étymologie en fournissait un, l'on y substituait sa forte f.

      L'u final était, selon l'occurrence du mot suivant, ou voyelle ou consonne.

      De Deus on fit deu, au féminin deuesse, c'est-à-dire devesse, et non déesse:

      —«E ço li frai par ço que guerpid me as, e as aured Astarten, deuesse de Sydonie.» (Rois, III, p. 279.)

      «Et ce lui ferai-je parce que tu m'as abandonné, et as adoré Astarté, déesse de Sidon.»

      Tous les éditeurs de textes anciens ont pris sur eux de distinguer dans l'impression l'u voyelle et l'u consonne, qui sont confondus dans les manuscrits, et qui se substituaient parfois l'un à l'autre dans le langage. Ainsi j'auerai devait se lire, selon ce que voulait la mesure, tantôt j'averai en trois syllabes, tantôt j'aurai en deux. L'éditeur de la chanson de Roland imprimant toujours j'averai, estropie quelquefois le vers par cette orthographe. Cette distinction est, à la rigueur, une infidélité, comme l'introduction des accents. Reproduire les manuscrits, c'est à quoi l'on doit s'attacher.

      X.

      Ce caractère x a été inventé pour représenter le son dur de deux ss. Dans l'écriture manuscrite, il figure deux c dos à dos.

      Saint Maixant, Bruxelles, Auxonne, Auxerre, Auxi-le-Château, se prononcent Saint Maissant, Brusselles, etc.

      Paix, poix, dans la formation de leurs verbes, ne donnent pas poixer, paxifier, mais poisser, pacifier.

      La version manuscrite d'Abélard par Jean de Meun (mort en 1322) commence par cette phrase:—«Essamples attaignent souvent les talens des hommes plus que ne font paroles.» (Manusc. no 7273 bis.)

      Et la Bible de Guyot de Provins:

      Dou siecle puant et orrible

      M'estuet commencer une Bible

      Por poindre et por aguillonner,

      Et por grant essample monstrer.

      On a écrit lexive, de lixivium; on écrit encore soixante, de sexaginta, et l'on a toujours prononcé lessive et soissante. Ceux qui prononcent Bruqueselles devraient prononcer pareillement soiquessante.

      A la fin du XVIe siècle, l'x se prononçait encore comme ss. On disait une massime, Alessandre; c'est Henri Estienne qui l'atteste.


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