Le vieux muet, ou, Un héros de Châteauguay. J. B. Caouette
avaient accusé d'avoir eu trop d'égards pour nos compatriotes, fut rappelé en Angleterre et remplacé par le général Haldimand, qui se fit cordialement détester.
Haldimand ne semblait avoir qu'un seul désir: angliciser et protestantiser, par la violence, les Canadiens-français.
L'Angleterre en débarrassa le Canada en 1785.
Et que dire du règne de ces autres gouverneurs: sir Robert Prescott et sir James Henry Craig? Ce dernier, surtout, fut le plus grand persécuteur de notre race. Malheur aux Canadiens-français qui osaient revendiquer leurs droits! Pour ce crime, il fit jeter dans les cachots: Papineau, Bédard, Taschereau, Blanchet, Laforce et plusieurs autres.
L'histoire a donné à l'administration despotique de Craig le nom de Règne de la terreur.
Ce stupide tyran quitta le Canada en juin 1811.
Saluez avec respect, lecteur, le nom de son successeur: sir George Prévost!
Au début de son administration, il se montra courtois, libéral et généreux envers nos compatriotes, et s'efforça de réparer les injustices commises sous le règne de Craig.
De tels procédés lui attirèrent bientôt l'estime et le respect des Canadiens-français, qui ne demandaient qu'à être traités comme des hommes libres et non comme des esclaves!
L'Angleterre, d'ailleurs, avait plus besoin que jamais de compter sur l'appui des Canadiens-français. Car, étant en guerre avec la France et les États-Unis, elle redoutait une nouvelle invasion américaine.
Les Américains, eux, se dirent qu'ils pouvaient maintenant compter sur le concours des Canadiens-français, d'abord parce que ceux-ci avaient souffert de la tyrannie de Craig, et ensuite parce que leur mère-patrie, la France, faisait cause commune avec les États-Unis. Et, convaincus que les circonstances se prêtaient bien à une nouvelle tentative de conquête, ils lancèrent sur notre pays, en juin 1812, sous les ordres du général Dearborn, trois armées différentes.
Leur dessein était d'arriver du premier coup au coeur du pays, à Montréal. Mais ce joli plan fut déjoué par la milice canadienne; et les soldats de l'Oncle Sam, après avoir essuyé de grands revers, se retirèrent, l'humiliation et la rage dans l'âme!
Cependant, ils n'avaient pas abandonné l'idée de s'annexer le Canada, mais ils en remettaient l'exécution à plus tard.
Sir George Prévost, de son côté, ne négligea rien pour organiser la défense de la colonie. Il invita tous les hommes de bonne volonté à prendre les armes afin de repousser pour toujours les envahisseurs.
L'appel du gouverneur général fut entendu. Dans plusieurs paroisses, exclusivement canadiennes-françaises, on fit de nombreuses recrues.
Le capitaine M. L. Juchereau-Duchesnay, un des amis les plus dévoués du lieutenant-colonel de Salaberry, avait accepté la tâche de faire une levée de soldats.
Un dimanche du mois de mai 1813, il arrive à Sainte-R...
Après la messe, le maire le présente aux paroissiens, et leur dit que le brave capitaine va leur expliquer le but de sa visite.
La haute stature de l'étranger, sa figure sympathique, et le bel uniforme qu'il porte, lui attirent la bienveillance des auditeurs. D'une voix forte et vibrante, il dit:
Messieurs,
«Je viens remplir auprès de vous une mission qui m'a été confiée par son excellence le gouverneur-général.
«Permettez-moi de vous dire, d'abord, que notre pays est menacé d'une nouvelle invasion. En effet, nos voisins se préparent à franchir la frontière pour venir planter le drapeau étoilé sur le sol canadien.
«Ils savent que ce sont les Canadiens-français qui les ont repoussés en 1775. Et parce que la France est aujourd'hui en guerre avec l'Angleterre, les Américains croient que nos compatriotes les aideront à conquérir le Canada. Mais ils se font illusion; la voix de la loyauté doit parler plus haut dans nos coeurs que la voix du sang qui coule dans nos veines.
«Notre devoir est de prouvera ces ambitieux que leur espérance constitue une insulte pour nous, puisque c'est à la faveur de notre trahison qu'ils veulent réaliser leur rêve... Nous sommes Français, c'est vrai, mais nous ne sommes pas des traîtres!
«Faisons donc comprendre à ces gens que nous sommes avant tout Canadiens, c'est-à-dire loyaux à l'autorité établie ici, et loyaux au drapeau qui abrite et protège nos destinées!
«En 1775, la paroisse de Sainte-R... a fourni à la milice canadienne un bon nombre de vaillants soldats. Eh bien! messieurs, je suis convaincu que, cette fois-ci encore, votre paroisse ambitionne l'honneur d'être au premier rang pour combattre les ennemis de notre pays, quels qu'ils soient!
«Oui, le chaleureux accueil que vous me faites, le patriotisme qui rayonne sur les traits de l'ardente jeunesse que je vois devant moi, et l'enthousiasme qui fait battre vos coeurs, me prouvent que ce n'est pas en vain que je viens faire appel à votre dévouement pour la patrie!
«J'aurai le plaisir de passer quelques jours au milieu de vous; et, dès maintenant, je crois pouvoir dire avec assurance que je quitterai votre paroisse à la tête de plusieurs soldats, qui sauront faire refleurir sur le champ de bataille les traditions de vaillance que nous ont léguées nos glorieux ancêtres!»
Ces dernières paroles surtout sont saluées par de longs applaudissements.
De vigoureux jeunes gens entourent le capitaine, l'acclament bruyamment et lui offrent leurs services.
Le capitaine les remercie cordialement, mais leur conseille de consulter leurs parents avant de prendre une décision.
Le même jour, au souper, Jean-Charles amena la conversation sur la visite du capitaine Juchereau-Duchesnay, et il exprima à ses parents le désir d'offrir ses services au brave militaire.
—Tu n'es pas sérieux! lui dit sa mère.
—Oui, je suis très sérieux, ma mère! répondit respectueusement mais fermement Jean-Charles.
Le père ne parla pas tout d'abord, mais il était visiblement ému, car une larme perla au coin de ses paupières.
Le père Lormier était un patriote dans le vrai sens du mot, et, en 1775, il avait combattu contre les Américains.
Jean-Charles reprit:
—Notre pays a besoin de soldats pour le défendre contre les attaques d'un ennemi nombreux et puissant, et il me semble que c'est le devoir de tous les jeunes gens de coeur de voler à sa défense!
—Mais tu n'es encore qu'un enfant! interrompit la mère; que feras-tu sur un champ de bataille?
—Je ne suis qu'un enfant, peut-être, ma mère; mais je suis capable de porter un fusil, et je saurai m'en servir, Dieu merci!
La mère n'ajouta plus rien. Elle lisait dans les yeux de Jean-Charles une résolution inébranlable; et d'ailleurs elle avait sur cette question de la guerre les mêmes principes que son mari et son enfant.
—Voyons, fit Jean-Charles, en s'adressant à Victor, j'espère que tu ambitionnes comme moi l'honneur de servir le pays?
—Moi? moi? riposta Victor, sur un ton ironique; allons donc! Je suis trop patriote pour prêter le concours de mes bras aux Anglais... Va te faire casser la tête pour eux, si cela te plaît, mais n'insulte pas à mon patriotisme!
Le père Lormier, indigné d'entendre cet insolent langage, dit à Jean-Charles: «Va, mon enfant! et que Dieu te protège!»
Victor comprit la bévue qu'il venait de commettre, et voulut la réparer par ces paroles: «J'ai mes opinions là-dessus, mon cher Jean-Charles, mais je respecte les tiennes, et j'admire le zèle qui t'anime!»
Un triste silence fut la seule réponse que Victor reçut... Voyant que personne ne daignait relever ses remarques,