Le vieux muet, ou, Un héros de Châteauguay. J. B. Caouette

Le vieux muet, ou, Un héros de Châteauguay - J. B. Caouette


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gens! réplique le vieillard, en élevant la voix, je vous répète que vous feriez mieux de rester ici. Je suis un vieux marin, moi, et je vous dis que nous allons avoir une bourrasque terrible.

      —Nous serons prudents, père Latourelle, reprennent les jeunes étourdis en sautant dans l'embarcation.

      Un! deux! trois! commande celui qui parait le chef de la bande. Et les rames, maniées par douze bras vigoureux, impriment à la chaloupe un élan qui l'éloigné rapidement da rivage.

      Lorsqu'ils ont atteint le milieu de la rivière, Joachim Bédard, le commandant, invite Pitre Verret, le premier ténor du choeur de l'orgue, à chanter une chanson.

      Pitre Verret, sans se faire prier, entonne de sa plus belle voix le chant du Napolitain:

      Le doux printemps se lève,

      Riche comme un beau rêve:

      Partons, amis, partons, (Bis)

      L'hirondelle légère

      Ne rase pas la terre:

      Les vents nous seront bons. (Bis)

      Refrain

      Vogue, (Bis) vogue, ma balancelle;

      Chantez, gais matelots;

      Que votre voix se mêle

      Aux murmures des flots (Bis).

      II

      A l'horizon de brume.

      Le Vésuve qui fume

      Promet Naple aujourd'hui (Bis).

      Dans cette ville heureuse,

      La vie est gracieuse

      Comme un jardin fleuri (Bis)

      Refrain

      Vogue (Bis) vogue ma balancelle;

      Chantez, gais matelots;

      Que votre voix se mêle

      Aux murmures des flots (Bis).

      III

      Quand la nuit tend ses voiles

      Sous ce beau ciel d'étoiles,

      Le gai Napolitain (Bis).

      Chante la sérénade,

      Puis sous la colonnade

      S'endort priant un saint (Bis).

      Refrain

      Vogue (Bis) vogue, ma balancelle;

      Chantez, gais matelots;

      Que votre voix se mêle

      Aux murmures des flots (Bis).

      Des applaudissements frénétiques, s'élevant du rivage, saluent les dernières notes égrenées dans l'air par la voix superbe et sonore de Pitre Verret.

      Le père Latourelle, en secouant la cendre de sa pipe, dit à ses voisins: «Il chante comme un rossignol, ce gaillard-là, mais c'est dommage que lui et ses amis n'aient pas suivi mon conseil, car le grain approche, et je redoute pour eux un malheur».

      En parlant, le père Latourelle, montrait du doigt un gros nuage noir, qui, pareil à un drap mortuaire, déroulait à l'horizon ses plis frangés.

      Le vent, un vent brûlant, commençait à agiter faiblement la surface de l'eau; et l'oreille percevait déjà un bruit vague qui ressemblait à un roulement de tambour: c'était le tonnerre qui mettait d'accord les sons de sa sinistre et mâle voix.

      Mais notre artiste, grisé par les applaudissements, chante, chante toujours. Et ses compagnons, ivres de joie et de liberté, continuent à jouer de la pagaie et de la rame, sans même soupçonner l'approche de la tempête. Pourtant, s'ils dirigeaient leurs regards vers le nord, ils verraient maintenant plusieurs nuages se rapprocher pour ne former bientôt qu'un seul et immense rideau dont l'un des coins menace d'obscurcir le soleil!

      Verret en est à sa dixième chanson, et il chante avec une verve endiablée:

      C'est l'aviron

      Qui nous mène,

      Qui nous monte!

      C'est l'aviron

      Qui nous monte

      En haut!

      quand, soudain, le vent s'élève avec une rage épouvantable; un long serpent de feu déchire la nue et la foudre éclate!

      —Au rivage! s'écrient tous les rameurs.

      Un nouvel éclair sillonne le firmament et la pluie, une pluie torrentielle, se met à tomber!

      Les rameurs essayent, mais vainement, de diriger leur embarcation vers la ville.

      La frayeur s'ajoutant à l'inexpérience, paralyse leurs membres, et la chaloupe, mal gouvernée, danse comme une coquille au gré du vent et des flots!

      De la rive, les gens suivent cette scène avec effroi; les parents des jeunes rameurs crient à fendre l'âme, et, cependant, personne n'ose aller au secours des malheureux!...

      Le père Latourelle, plus énervé que jamais, casse sa pipe en maugréant:

      —Ah! les imprudents! les étourdis! je leur ai bien dit qu'il leur arriverait malheur...

      Au même moment, et comme si le ciel voulait réaliser ce sombre présage, un coup de vent terrible fait chavirer la chaloupe, et les six jeunes gens sont lancés dans les flots!

      Quatre des malheureux réussissent à se cramponner à l'embarcation, mais Bédard et Verret en sont trop éloignés pour pouvoir la saisir.

      Bédard, qui est un habile nageur, se maintient à la surface de l'eau, tandis que Verret, ignorant la natation, disparait pour ne plus reparaître....

      Tout à coup, du rivage, retentit cette clameur presque joyeuse:

      Le vieux muet! le vieux muet!

      En effet, notre héros, sortant on ne sait d'où, accoure, suivi de son chien.

      Avec la souplesse d'un jeune homme, il saute dans un canot, et, après s'être signé, rame dans la direction des naufragés.

      Il est vraiment beau de voir s'élancer, tête nue, sous le feu des éclairs, ce brave colosse qui risque sa vie pour sauver celle de ses semblables!

      Mais c'est une tâche d'une exécution quasi impossible que cet homme vient de s'imposer! Car le vent, soufflant dans la direction du sud, repousse le canot à mesure qu'il avance!

      Les vagues s'élèvent à une hauteur effrayante, et quand le canot arrive à leur crête, on dirait qu'il va sombrer dans le gouffre!

      La distance à franchir est d'environ quatre Arpents.

      A la puissance et à la fureur des éléments, le rameur oppose la force et l'adresse. Tenant son canot nez au vent, il lui fait couper la vague écumante, et le force à courir vers le lieu du danger.

      Malgré le bruit des flots et les éclats de la foudre, il entend à présent les cris et les appels désespérés des naufragés.

      Alors, redoublant de courage et rassemblant toutes ses forces, il imprime à l'embarcation des élans qui la font bondir de vague en vague avec l'agilité d'un coursier. Quelques pieds seulement le séparent des malheureux. Encore un effort, et il est auprès d'eux!

      Il jette l'ancre, et tend d'abord une rame à Joachim Bédard, qui lutte toujours contre les flots. Mais ce dernier, en voulant saisir la rame, disparaît dans l'abîme!

      Sans hésiter, le vieillard plonge dans l'onde amère; le chien suit son exemple, et tous les deux reparaissent presque aussitôt, l'homme tenant Bédard, et le chien soutenant l'infortuné Verret!

      S'approcher du canot


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