Le vieux muet, ou, Un héros de Châteauguay. J. B. Caouette

Le vieux muet, ou, Un héros de Châteauguay - J. B. Caouette


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ordre parfait.

      Au centre, une table; dans l'angle gauche de l'unique pièce, un lit fait avec des branches de sapin; en face de la porte, le long du pan, un banc et deux chaises; au-dessus, accrochés à de longues fiches, un fusil; une gibecière, une perche de ligne enfermée dans un étui, un filet, etc. Plus loin, une armoire sans porte contenant quelques assiettes et autres vaisseaux de grès. Le large fourneau de la forge faisait, pour le moment, l'office de poêle de cuisine.

      Bref, la propreté et l'ordre rendaient presque agréable le séjour de ce logis pauvre et isolé.

      Cette cabane ne portait qu'à l'extérieur les marques de son usage primitif; à l'intérieur, les traces de fumée avaient disparu sous une couche de chaux.

      On l'eût dite l'image de ce vieillard inconnu et mystérieux, dont la figure était noire, mais dont l'âme semblait aussi blanche que la neige.

      Le colosse tira de dessous la table un panier plein de poissons et de gibiers, pris ou abattus par lui la veille, et en distribua la plus grande partie à ses hôtes. Ces derniers furent heureux d'avoir l'occasion de lui offrir, en retour, leurs provisions, que l'étranger accepta gracieusement.

      Mais les quatre visiteurs crurent devoir abréger leur visite qui commençait à devenir embarrassante pour tout le monde. Car bien que le vieillard semblât comprendre leur conversation, il n'y répondait que par signes!

      Après avoir serré la main du malheureux, ils se retirèrent le coeur ému.

      Le dimanche suivant, les fidèles de Saint-Sauveur, qui allaient à la messe de cinq heures, ne furent pas peu surpris de voir arriver à l'église notre géant, toujours suivi de son compagnon.

      Ayant attaché le chien au tronc d'un arbre, il entra dans le temple, se prosterna pieusement devant l'autel de la Vierge-Immaculée, et y demeura à genoux tout le temps que dura le saint sacrifice de la messe. Son humble attitude et son recueillement firent l'édification de tous.

      Et chaque dimanche, dans la suite, beau temps mauvais temps, les paroissiens le virent entendre la première messe avec la même dévotion. Sa place de prédilection, dans l'église, était l'autel de Marie. C'est vers cette bonne mère qu'il levait ses regards suppliants, et c'est par elle que ses soupirs et ses prières ardentes montaient, comme un pur encens, jusqu'au trône de Dieu!

      Aussi bien, sa conduite irréprochable et exemplaire lui mérita bientôt l'estime et la considération de la brave population de Saint-Sauveur.

      Le géant aimait la solitude. Il ne visitait personne, et ne sortait que pour vendre du poisson et du gibier.

      La pêche et la chasse étaient ses seuls moyens de subsistance, et ils paraissaient suffire à ses goûts fort modestes.

      Mais si le vieillard ne visitait personne, il avait l'honneur de recevoir souvent la visite du révérend Père Durocher, de pieuse mémoire, supérieur de la communauté des Oblats de Marie.

      Que se passait-il entre le bon Père et le vieux muet, dans le cours de leurs longues et fréquentes entrevues? Nul n'osait le leur demander; et ceux qui interrogeaient le saint missionnaire au sujet de l'étranger, n'en recevaient pour toute réponse que ces mots: «Aimez-le, il est digne de votre affection....»

      Quoi qu'il en fût, après chacune de ses entrevues avec le révérend Père Durocher, le solitaire semblait moins malheureux, et parfois même son visage, d'ordinaire triste, s'éclairait d'un doux sourire.

      Le vieux muet avait acquis son droit de cité. A la curiosité qu'avait fait naître la venue de cet étrange colosse, succéda une bienveillante sympathie. Sa figure devint familière à tous. C'était un membre de la grande famille.

       Table des matières

      C'était en 18..., par un de ces chauds dimanches de juillet où les citadins, après les offices religieux aiment à s'éloigner un peu de la ville, afin de respirer un air plus pur, tout en se reposant des fatigues de la semaine.

      Les privilégiés de la fortune se payent le luxe d'une promenade en voiture à travers les jolies paroisses qui environnent Québec. Ils n'ont que l'embarras du choix, car Beauport, Charlesbourg, Lorette, Cap-Rouge, Sainte-Foye, Sillery, sont des lieux charmants qui invitent au repos et à la rêverie.

      Mais les pauvres, dont les jambes sont aussi solides que le coeur est joyeux, se rendent à pied en dehors des barrières, et vont passer le reste de l'après-midi à l'ombre des grands arbres.

      Des familles entières descendent à la rivière Saint-Charles. Là, sous les regards des parents, les enfant prennent leurs joyeux ébats.

      Plusieurs bambins, jambes nues, courent au bord de l'onde, en dirigeant des bateaux minuscules qui dansent sur l'eau, au bout de leur ficelle, et dont les oscillations causent des émotions à ces marins en herbe.

      Ailleurs, de gentils mioches, légers comme des papillons, se poursuivent, s'empoignent, se bousculent et roulent, pèle-mêle, sur le sable fin de la grève.

      Leurs rires argentins résonnent et leurs petits cris éclatent parfois comme une décharge de pétards.

      Les parents, témoins de ce gracieux spectacle, partagent les joies des enfants. Et ces joies si pures leur font oublier les soucis de la veille, et retrempent leur courage et leurs vertus.

      D'autres enfin—les amateurs de l'art nautique—prennent place dans une barque légère et battent les flots en cadence en faisant retentir l'air de mille refrains.

      Bref, tous les goûts peuvent se satisfaire, et l'homme est libre de choisir les amusements qui lui plaisent le mieux, pourvu qu'il sache respecter toujours les règles de la morale et de la prudence.

      Or, ce dimanche-là, pour échapper à l'intensité d'une chaleur torride, un grand nombre de personnes étaient venues se reposer sur la rive sud de la rivière Saint-Charles, à l'endroit connu sous le nom de l'ancien chantier-Gingras.

      *

       * *

      La marée est haute, et l'onde perfide que dore la lumière éclatante du soleil, déroule mollement ses plis en modulant sa chanson monotone et reposante.

      Quelques jeunes gens bien délurés s'agitent sur le rivage. Ils gesticulent et parlent tous à la fois. On les dirait sur des charbons ardents.

      —Tiens! voilà Joachim Bédard! s'écrie l'un d'eux, en jetant son chapeau en l'air.

      —Hourra! hourra! font les autres, en entourant le nouveau venu.

      —Que me voulez-vous donc? demande Joachim Bédard, étonné et ahuri.

      —Ce que nous te voulons, cher petit Joachim, reprend Pitre Verret, le plus bavard de la bande, c'est que tu nous prêtes ta chaloupe pour aller faire un tour sur cette charmante nappe d'eau, et, va sans dire, que tu viennes avec nous, mon petit coeur! Puis, sans lui donner le temps de répondre, il continue: «Vois ta barque onduler et parfois bondir, comme si elle voulait briser sa chaîne. Vite! sors ta clef, et rends la liberté à cette gentille prisonnière!»

      —Oui, oui! approuvent las autres lurons, désireux de se signaler aux regards, autant que de naviguer.

      —C'est bien! fait Joachim Bédard; allons-y!

      —Moi, je vous conseille de ne pas y aller! dit, sur un ton autoritaire et prétentieux, un petit vieillard nerveux qui interrogeait le firmament.

      —Pourquoi cela, père Latourelle? demande Joachim Bédard.

      —Parce que nous allons avoir un grain accompagné d'éclairs et de tonnerre, et je vous assure qu'il est dangereux de s'aventurer sur l'eau.

      —N'ayez pas peur, père Latourelle, répond Joachim Bédard,


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