Le vieux muet, ou, Un héros de Châteauguay. J. B. Caouette
du récit une morale douce, pure et fortifiante. La vertu y tient le premier et le beau rôle. On y a fait une place à l'amour, mais à un amour purifié par le devoir, la religion et le sacrifice. Les personnages que l'auteur met en scène ne sont pas simplement des sujets à dissection métaphysique ou anatomique, mais des êtres bien vivants, et surtout des chrétiens de bonne race, des catholiques qui agissent et parlent en catholiques. La religion entre dans ce livre, comme elle doit entrer dans notre vie; elle y est la source des nobles actions, et la règle de bonne conduite.
Les héros de Mr Caouette ne sont pas seulement de bons chrétiens, ce sont aussi de vrais canadiens-français. Il me fait plaisir de signaler ici le beau souffle patriotique qui circule à travers toutes les pages de cet ouvrage, et qui en constitue, à mes yeux, le premier mérite et le plus grand attrait. On ne pourra se défendre d'un légitime orgueil en lisant tels passages où éclatent, à la lumière des faits, la loyauté et la bravoure de nos ancêtres. Certains points de nos glorieuses annales y sont mis dans leur vrai jour. Plus d'un lecteur apprendra peut-être, en parcourant ce roman, à juger plus sainement les hommes et les choses du passé. L'auteur a trouvé moyen de donner, sous une forme agréable, une bonne et solide leçon d'histoire.
Mr Caouette en est à son coup d'essai. «Le Vieux Muet» est, croyons-nous, le premier livre en prose qu'il présente au public. Nous lui souhaitons tout le succès que méritent ses généreux efforts. Il lui a fallu bien du courage et un travail héroïque pour se mettre en mesure d'écrire cet ouvrage. L'exemple est bon à suivre, et nous le signalons à tous les jeunes compatriotes qui ont de la culture et des loisirs.
La génération nouvelle n'est peut-être pas assez inclinée aux travaux intellectuels. Les nations pas plus que les individus ne vivent seulement de pain. Il faut que les esprits se tiennent haut pour que les coeurs ne défaillent point; et l'on aurait bien tort de penser que la prospérité matérielle est le dernier mot du progrès et de la civilisation.
Puisse le livre, que nous présentons au public, réussir à allumer chez quelques-uns la flamme d'une noble émulation, et les porter vers les travaux de l'esprit! L'auteur pourra alors se féliciter d'avoir atteint son but, qui est d'être utile à ses jeunes compatriotes. En écrivant «Le Vieux Muet», il n'aura pas fait seulement un bon livre, il aura en même temps accompli une bonne action.
P. E. ROY, Ptre.
AVANT-PROPOS
Glorifier la religion, la patrie, la vertu, et être utile et agréable à la jeunesse canadienne-française: tel a été mon unique but en écrivant ce modeste ouvrage, que je dédie à mes jeunes compatriotes.
J.-B. C.
LE
VIEUX MUET
OU
UN HÉROS DE CHÂTEAUGAY
PROLOGUE
Il y a trente-cinq ans, vivait, à Saint-Sauveur de Québec, dans une pauvre hutte située sur la rive sud de la rivière Saint-Charles, un vieillard légèrement voûté, mais qui avait encore l'aspect d'un géant par la hauteur de sa taille et la largeur de ses épaules.
Une longue chevelure blanche et une barbe vénérable encadraient sa figure au teint d'ébène.
On l'eût pris, de prime abord, pour un descendant de la fière tribu huronne.
Il habitait, avec un chien terre-neuve, son seul et inséparable compagnon, cette masure qui n'était éclairée que par deux petits carreaux. Elle avait servi autrefois de forge aux ouvriers travaillant à la construction des navires dans le chantier de feu Jean-Elie Gingras: c'était l'un des derniers vestiges de ce temps qu'on appelle encore, à Québec, l'âge d'or.
D'où venait ce vieillard? quel était son nom? à quelle nationalité appartenait-il?
Nul ne paraissait le savoir.
Un jour de printemps, en revenant de la pêche, deux jeunes gens l'avaient rencontré sur la grève, portant un fusil sur l'épaule, et suivi d'un chien à la mine peu rassurante.
Les jeunes pêcheurs, sans doute effrayés par les grognements du chien, et aussi par la taille imposante de l'inconnu, s'étaient hâtés de reprendre le chemin de leur demeure. Ils répandirent partout la nouvelle de la rencontre qu'ils avaient faite.
Saint-Sauveur, il y a un demi-siècle, n'était pas cette belle et populeuse paroisse que nous admirons aujourd'hui; tous ses habitants se connaissaient aussi intimement que s'ils eussent été les membres d'une même famille.
L'apparition soudaine d'un tel colosse arpentant la grève, l'arme à l'épaule, ne pouvait manquer d'y créer une véritable sensation. Mais, disons-le à la louange des pionniers de cette paroisse, l'idée ne vint à personne que cet hôte de la grève pouvait être un loup-garou ou un croque-mitaine! Car il y avait longtemps, alors, que la sorcellerie ne faisait plus de dupes dans la bonne ville de Québec. Néanmoins, la curiosité publique était piquée; et, dès le même soir, quelques-uns des principaux paroissiens résolurent de se rendre à la grève, le lendemain, pour rencontrer cet étranger.
Les jeunes pêcheurs avaient ajouté que le colosse devait habiter l'ancienne forge, d'où ils avaient vu une épaisse fumée s'élever en spirale.
Le lendemain donc, sans autre arme qu'un sac rempli de provisions, quatre citoyens partirent en éclaireur pour aller sonder le mystère.
Rendus au pied de la route qui conduisait au chantier-Gingras, et qu'on nomme aujourd'hui la rue Saint-Ambroise, ils aperçurent le vieillard assis sur le seuil de la cabane, les coudes appuyés sur les genoux et le front plongé dans ses larges mains.
Au bruit de leurs pas, le cerbère, qui était couché devant son maître, se leva en aboyant; mais le colosse saisit l'animal qu'il musela solidement, puis, redressant sa haute taille, il attendit les visiteurs.
Ceux-ci, après avoir salué l'inconnu, qui leur rendit la politesse, lui adressèrent tour à tour la parole; mais, à la surprise générale, le vieillard, pour toute réponse, mit un doigt sur sa bouche et secoua tristement la tête.
A toutes les questions qui lui furent posées, il répondit par les mêmes gestes; ce qui fit croire à ses interlocuteurs qu'ils étaient en présence d'un muet.
Cette infirmité apparente lui gagna d'emblée la sympathie des nouveaux venus, qui le considéraient maintenant avec le plus grand respect.
Sa figure exprimait la douceur et la franchise, et ses manières polies annonçaient une bonne éducation.
Il n'en fallut pas davantage pour rassurer et charmer nos curieux.
D'un geste affable, l'étranger indiqua la porte C'était une invitation à entrer. Les visiteurs se rendirent à cette muette prière et franchirent le seuil.
En entrant dans la forge, ils furent frappés de la propreté qui y régnait.
Il