Histoire des Montagnards. Alphonse Esquiros

Histoire des Montagnards - Alphonse Esquiros


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régime, furieux de voir la France leur échapper, ne cessaient de faire sur la misère publique des spéculations honteuses: ils espéraient prendre la Révolution par la famine. Les accaparements, les manoeuvres de l'industrie usuraire, désolaient la population aux abois. «Quoi! s'écriait Desmoulins, en vain le ciel aura versé ses bénédictions sur nos fertiles contrées! Quoi! lorsqu'une seule récolte suffit à nourrir la France pendant trois ans, en vain l'abondance de six moissons consécutives aura écarté la faim de la chaumière du pauvre; il y aura des hommes qui se feront un trafic d'imiter la colère céleste! Nous retrouverons au milieu de nous, et dans un de nos semblables, une famine, un fléau vivant.»

      A côté du mal était le bien. La détresse générale ouvrait les coeurs à des actes continuels de désintéressement. Les citoyens venaient en aide à l'État, cet être de raison auquel la Révolution de 89 a véritablement donné naissance. Les dons patriotiques pleuvaient de tous les coins de la France sur le bureau du président de l'Assemblée nationale. Les femmes détachaient leurs colliers pour en orner le sein de la patrie nue.—La noblesse avait abdiqué; maintenant, c'était le tour de la coquetterie. Parmi ces présents, il y avait quelquefois le denier de la veuve, plus souvent encore les parures de la courtisane. L'une d'elles envoya ses bijoux avec cette lettre:

      «Messeigneurs, j'ai un coeur pour aimer; j'ai amassé quelque chose en aimant: j'en fais, entre vos mains, l'hommage à la patrie. Puisse mon exemple être imité par mes compagnes de tous les rangs.»

      L'esprit de la Révolution avait touché ces nouvelles Madeleines: émues, elles venaient répandre à l'envi les parfums de la charité sur la tête du peuple.

      Deux des principaux acteurs de la Révolution, quoique dans des rôles bien différents, commençaient dès lors à se dégager de l'obscurité de la foule: l'un était Brissot, l'autre Danton.

      Dans les temps de révolution, toute déclaration imprudente s'attache, si l'on ose ainsi dire, à la chair et aux os de l'homme d'État. C'est pour lui la robe de Nessus. Brissot, rédacteur du Patriote français, venait de communiquer aux commissaires de l'Hôtel de Ville un plan de municipalité, avec un préambule dans lequel on remarquait le passage suivant:

      «Les principes sur lesquels doivent être appuyées ces administrations municipales et provinciales, ainsi que leurs règlements, doivent être entièrement conformes aux principes de la constitution nationale. Cette conformité est le lien fédéral qui unit toutes les parties d'un vaste empire.»

      Pourquoi l'autour a-t-il souligné lui-même le mot fédéral?—Nous nous souviendrons de ce fait, quand Brissot sera devenu le chef du parti de la Gironde.

      Danton, lui, naquit à Arcis-sur-Aube le 26 octobre 1759. Son père était procureur au bailliage de la ville. La plupart des révolutionnaires sortaient des mains du clergé: le futur Conventionnel fit ses études chez les Oratoriens. On ne sait presque rien de son enfance, très-peu de sa jeunesse, sinon qu'il exerçait la profession d'avocat. En 1787, il se maria et, avec la dot de sa femme, acheta une charge aux conseils du roi.

      «Avocat sans cause,» dit madame Roland. Pourquoi pas? Son genre d'éloquence n'était guère fait pour plaider en faveur du mur mitoyen. A ce fougueux orateur, il fallait la tribune ou la place publique. Lors des élections aux États généraux de 89, il avait été choisi comme président par l'un des soixante districts de Paris. Ce district était celui des Cordeliers qui faisait trembler les modérés. Danton était déjà, dans son quartier, l'âme des hommes d'action. Tout en lui respirait la force et l'audace: une crinière de lion, une large face ravagée par la petite vérole, des épaules d'Atlas;—il est vrai qu'il portait un monde!

       Table des matières

      Orgie des gardes-du-corps.—La contre-révolution secondée par les déesses de la cour.—Le peuple meurt de faim.—Il va chercher le roi à Versailles.—Les femmes de Paris.—Le sang coule.—Le roi et la reine au balcon.—Lafayette.—Réconciliation.—Retour à Paris.

      L'esprit public était arrivé à ce degré d'effervescence où il suffit de la moindre étincelle pour allumer l'incendie. La provocation ne se fit pas attendre. La cour méditait une seconde tentative de contre-révolution et l'appuyait encore sur l'armée. Depuis quelques jours se montraient, au Palais-Royal, des cocardes noires, des uniformes inconnus. L'aristocratie, invisible après le 14 juillet, relevait insolemment la tête. Que se passait-il à Versailles? Le régiment de Flandre, reçu avec inquiétude par les habitants, est fêté au château, caressé. On admet les soldats au jeu de la reine. Le 1er octobre, un grand repas se prépare dans la magnifique salle de l'Opéra, qui ne s'était point ouverte depuis la visite de l'empereur Joseph II. Au nom des gardes-du-corps, on invite les officiers du régiment de Flandre, ceux des dragons de Montmorency, des gardes-Suisses, des cent-Suisses, de la Prévôté, de la Maréchaussée, l'état-major et quelques officiers de la garde nationale de Versailles. Dans cette belle salle tout étincelante de lumières, d'uniformes, de joie militaire, les visages s'animent, les vins pétillent, la musique joue des airs entraînants. Le moment vient où les pensées qui dormaient au fond des coeurs doivent s'éveiller sous la clarté d'une pareille fête.

      Dès le second service, on porte avec enthousiasme les santés de toute la famille royale. Et la santé de la nation? omise, rejetée. Des grenadiers de Flandre, des gardes-Suisses, des dragons entrent successivement dans la salle: ils sont éblouis, charmés. Une familiarité insidieuse règne entre les chefs et leurs subalternes. Tout à coup les portes s'ouvrent: le roi, la reine! Il se fait un silence de quelques instants.

      Louis XVI entre avec ses habits de chasse; Marie-Antoinette, vêtue d'une robe bleu et or. Elle s'était ennuyée, tout le jour, au château: on voit encore errer dans ses yeux un léger nuage de mélancolie attendrissante. Le moyen de ne pas s'intéresser à cette femme: reine, elle retient sa couronne qui tombe; mère, elle porte son enfant dans ses bras! A cette vue, les convives perdent la tête. Une fureur d'acclamations, de trépignements, à demi contenue par la présence de la famille royale, ébranle toute la salle. L'épée nue d'une main, le verre de l'autre, les officiers boivent à la santé du roi, de la reine. Au milieu de tous ces transports, Marie-Antoinette sourit en faisant le tour des tables. Au moment où la famille royale se retire, la musique exécute l'air: O Richard, ô mon roi, l'univers t'abandonne…

      Cet appel à la vieille fidélité des soldats français ne retentit pas en vain: on y répond par des cris insensés. Les vins coulent; l'ivresse du fanatisme éclate en des actes ridicules, coupables. Les uns prennent la cocarde blanche, d'autres la cocarde noire, par amour de la reine. Les voilà donc passés à l'Autriche.

      La cocarde tricolore, c'est-à-dire le serment, la nation, est foulée aux pieds.

      Au même instant, l'orchestre se met à jouer la marche des Uhlans. Nouveaux transports. On sonne la charge: ici les convives ne se connaissent plus. Ils s'élancent tout chancelants, escaladent les loges. Ces hommes, dans les fumées du vin, rêvent qu'ils font le siége de quelque chose, de Paris, sans doute, et de la Révolution. Bientôt l'orgie ne peut se contenir dans la salle, elle déborde, elle se répand au grand air, dans la cour de Marbre. Tout le château s'agite.

      Les jours suivants, des dames de la cour, des jeunes filles, coupent les rubans qui ornent leurs robes, leurs chevelures, et les distribuent aux soldats: «Prenez celle cocarde, disent-elles, c'est la bonne.» Elles exigent de ces nouveaux chevaliers le serment de fidélité: à ce titre, ceux-ci obtiennent la faveur de leur baiser la main. Ces jolies têtes encadrées dans des fleurs et des édifices de plumes troublent tous les sentiments autour d'elles: on boit à longs traits, dans leurs yeux, le poison de la guerre civile. Comme ces nymphes du parc de Versailles qui passent gracieusement la main sur le dos des monstres de bronze, elles flattent et caressent les passions les plus meurtrières, les plus dangereuses, dans l'état actuel des esprits. Innocemment terribles, elles sèment par leurs charmes le germe de la discorde et du carnage. On tremble à les voir si belles, si


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