Histoire des Montagnards. Alphonse Esquiros

Histoire des Montagnards - Alphonse Esquiros


Скачать книгу
nouvelle de l'orgie des gardes-du-corps fit pâlir les citoyens. Il y avait donc réellement un complot ourdi contre la nation. Marat vole à Versailles, revient comme l'éclair, fait à lui seul autant de bruit que les quatre trompettes du jugement dernier, et crie: «O morts, levez-vous!» Danton, de son côté, sonne le tocsin aux Cordeliers; Camille agite la crécelle. La fermentation s'accroît d'heure en heure. Le bateau qui apportait les farines du moulin de Corbeil arrivait matin et soir, dans le commencement de la Révolution; il n'arriva dans la suite qu'une fois par jour, puis il n'arrive plus que toutes les trente-six heures. Ces retards présagent le moment où il ne viendra plus du tout. Ne serait-il pas temps de prévenir les projets sinistres de l'ennemi, et de commencer l'attaque? Dans ces conjonctures difficiles, les femmes, c'est-à-dire l'initiative, se chargèrent du salut de la patrie.

      L'Assemblée discutait pesamment à Versailles sur le consentement incertain, ambigu, que le roi venait de donner à la déclaration des droits de l'homme. De moment en moment une inquiétude sourde se répandait dans la salle. L'air était chargé de pressentiments et de terreurs confuses. Le sol tremblait sous la tribune. Plusieurs députés sentaient distinctement le souffle de quelqu'un qui allait venir. Les pas assourdis d'une armée invisible agitaient devant elle le silence même.

      —Paris marche, disait Mirabeau à l'oreille de Mounier.

      Tout à coup les portes s'ouvrent; une bande de femmes se répand dans l'Assemblée comme une nuée de sauterelles.

      —Femmes, que venez-vous demander?

      —Du pain et voir le roi.

      Voici ce qui était arrivé:

      Une jeune fille entre, le 5 au matin, dans un corps de garde, s'empare d'un tambour, et parcourt les rues en battant la générale. Quelques femmes des halles s'assemblent. Après de courtes explications, le cortége se dirige vers l'Hôtel de Ville, et grossit en marchant. On ramasse dans les rues toutes les femmes qu'on rencontre, on pénètre même dans les maisons.

      «Accourez avec nous: les hommes ne vont pas assez vite; il faut que nous nous en mêlions.»

      Il n'était encore que sept heures du matin: la Grève présente un spectacle extraordinaire. Des marchandes, des filles de boutique, des ouvrières, des actrices, couvrent le pavé. Quatre à cinq cents femmes chargent la garde à cheval qui était aux barrières de l'Hôtel de Ville, la poussent jusqu'à la rue du Mouton et reviennent attaquer les portes. Elles entrent. Les plus furieuses allaient commettre quelques dégâts, brûler les papiers, quand un homme saisit le bras d'une d'entre elles et renverse la torche. On veut le mettre à mort.

      —Qui es-tu?

      —Je suis Stanislas Maillard, un des vainqueurs de la Bastille.

      —Il suffit!

      Cependant les femmes ont enfoncé le magasin d'armes: elles sont maîtresses de deux pièces de canon et de sept à huits cents fusils.

      —Maintenant, s'écrient-elles, marchons à Versailles! Allons demander du pain au roi! Mais qui nous conduira?

      —Moi, dit Maillard.

      On l'accepte pour guide.

      Jamais on n'avait vu une pareille affluence; sept à huit mille femmes sont réunies sur la place. Ces farouches amazones attachent des cordes aux pièces d'artillerie: mais ce sont des pièces de marine, et elles roulent difficilement. Les voyez-vous arrêtant des charrettes, et y chargeant leurs canons qu'elles assujettissent avec des câbles? Elles portent de la poudre et des boulets, en tout peu de munitions. Les unes conduisent les chevaux, les autres, assises sur les affûts, tiennent à la main une mèche allumée. Au milieu de toute cette foule que personne ne dirige, mais qui paraît obéir au même mobile, on distingue ça et là de poétiques figures. Voici la jolie bouquetière, Louison Chabry, toute pimpante, toute fraîche de ses dix-sept ans. Là, c'est la fougueuse Rose Lacombe; actrice, elle a quitté le théâtre pour la Révolution, le drame des tréteaux et des papiers peints pour le grand drame de l'humanité. Mais où donc est Théroigne?—Son panache rouge au vent, le sein gonflé, la narine ouverte, elle prophétise sur un canon.

      «Le peuple a le bras levé, s'écrie-t-elle; malheur à ceux sur qui tombera sa colère, malheur!»

      A ces mots, nouvelle Velléda, elle agite dans ses mains des faisceaux d'armes qu'elle distribue à ses compagnes.

      La colonne s'ébranle, précédée de huit à dix tambours, et suivie d'une compagnie de volontaires de la Bastille, qui forme l'arrière-garde. Cependant le tocsin sonne de toutes parts; les districts s'assemblent pour délibérer; les grenadiers et un grand nombre de compagnies de la garde soldée se rendent à la place de l'Hôtel de Ville. On les applaudit.

      «Ce ne sont pas, crient-ils aux bourgeois, des claquements de mains que nous demandons: la nation est insultée; prenez les armes et venez avec nous recevoir les ordres des chefs.»

      Au Palais-Royal, des hommes armés de piques formaient des groupes et tenaient conseil: tels les anciens Gaulois délibéraient à ciel ouvert, et les armes à la main, sur les affaires communes. En remuant la population de Paris, la Révolution avait fait remonter à la surface la vieille race celtique avec ses moeurs, et sa physionomie inaltérable.

      Il était sept heures du soir lorsque Lafayette, entraîné par l'impulsion générale, se laissa conduire, lui en tête, à Versailles. Les murmures avaient fini par vaincre sa résistance. Au moment où il s'avança, monté sur son cheval blanc, des cris de: Bravo! Vive Lafayette! se firent entendre. Le bon général sourit à ces cris de satisfaction; il semblait dire:

      «Ce n'est pas moi qui vais; c'est vous qui le voulez absolument, j'obéis.»

      La joie nationale se soutint tant que l'on entendit battre les tambours et que l'on vit flotter les étendards; mais quand cette expédition se fut éloignée, l'inquiétude et le silence tombèrent lourdement sur la ville de Paris.

      Les femmes qui étaient parties le matin pour Versailles avaient traversé sans obstacle le pont de Sèvres. Maillard était toujours à leur tête; il avait su préserver Chaillot du pillage et des désordres qu'entraîne d'ordinaire une marche précipitée. Au Cours, le cortége rencontre un homme en habits noirs qui se rendait à Versailles; les esprits étaient ouverts à tous les soupçons: on le prend pour un espion du faubourg Saint-Germain qui allait rendre compte de ce qui se passait à Paris. Tumulte: on veut le retenir, le faire descendre de voiture. L'inconnu protestait, se défendait.

      —Mais enfin, qu'allez-vous faire à Versailles dans un pareil moment?

      —Je suis député de Bretagne.

      —Député! ah! c'est différent.

      —Oui, je suis Chapelier.

      —Oh! attendez.

      Un orateur harangue les femmes:

      —Ce voyageur est le digne M. Chapelier, qui présidait l'Assemblée nationale pendant la nuit du 4 août.

      Alors toutes:

      —Vive Chapelier!

      Plusieurs hommes armés montent devant et derrière sa voiture pour l'escorter.

      Versailles! voici Versailles!—Maillard arrête ses femmes, les dispose sur trois rangs.

      —Vous allez, leur dit-il, entrer dans une ville où l'on n'est prévenu ni de votre arrivée ni de vos intentions: de la gaieté, du calme, du sang-froid. Toutes ces femmes lui obéissent. Les canons sont relégués à l'arrière-garde. Les Parisiennes continuent leur marche pacifique, entonnant l'air Vive Henri IV, et entremêlant leurs chants des cris de Vive le roi! Grand spectacle pour les habitants de Versailles, que cette armée de femmes et cet appareil extraordinaire! Ils accourent au-devant d'elles en criant: Vivent les Parisiennes!

      Elles se présentent sans armes, sans bâtons, à la porte de l'Assemblée nationale; toutes veulent s'introduire: Maillard n'en laisse entrer qu'un certain


Скачать книгу