Le Roi des Étudiants. Vinceslas-Eugène Dick

Le Roi des Étudiants - Vinceslas-Eugène Dick


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ta! ta! ton secret n'en est pas un, car je le connais moi.

      —Alors, c'est toujours un secret, répondit noblement Champfort.

      Un éclair brilla dans l'oeil noir de Després. Il leva fièrement sa belle tête intelligente, serra la main du jeune homme et dit:

      —Merci, Champfort. Cette bonne parole est un coup d'éperon qui m'engage définitivement dans la voie que j'ai adoptée.

      Puis, se tournant vers Lafleur, Cardon et le Caboulot:

      —Mes amis, dit-il, vous allez me donner votre parole d'honneur que rien de ce que je vais vous apprendre ne transpirera au dehors.

      —Nous la donnons, firent les jeunes gens, en se levant tous à la fois.

      —Très bien, messieurs. Maintenant, Champfort, écoute, et, surtout, pas de dénégations inutiles. Depuis plusieurs années, tu aimes d'un amour sans espoir ta cousine, Laure Privat. Voilà ta maladie!

      A cette déclaration énergique, Paul Champfort se leva d'un bond. Une pâleur effrayante envahit sa figure, et, foudroyant Després de son regard, il murmura:

      —Malheureux, qu'as-tu dis là?

      —La vérité, mon ami, répondit avec calme le roi des étudiants.

      —Mais tu veux donc ma honte, mon déshonneur, pour jeter ainsi mon secret aux quatre vents de la curiosité publique!

      —Ce que je veux, c'est qu'il ne soit pas dit que Paul Champfort aura frappé inutilement à la porte d'un coeur.

      —Mais tu ne sais donc pas qu'elle ignore mon amour, et que je me laisserai mourir plutôt que de lui faire le moindre aveu.

      —Ceci importe peu... Le temps et les circonstances peuvent amener bien des changements dans les situations les plus embrouillées. Je me charge de forcer la main aux circonstances... et, quant au temps, on lui fera prendre le triple galop, si besoin est.

      —Oh! non, je ne veux pas qu'une pression quelconque, morale ou autre, soit exercée sur cette enfant-là. Mon amour est une indignité, une trahison; eh bien! périsse mon amour, dussé-je ne pas lui survivre!

      —Indignité! trahison!... Eh! depuis quand se montre-t-on indigne et se rend-on coupable de trahison, en aimant avec franchise et loyauté use jeune fille?

      —Depuis que le devoir et la reconnaissance existent. Ma tante Privat m'a recueilli, moi orphelin, alors que les derniers débris du modeste patrimoine de ma famille venaient de disparaître dans les frais de la maladie et d'enterrement de ma mère; elle m'a élevé comme un enfant; elle m'a fait instruire—me mettant ainsi dans les mains les moyens de vivre honorablement—et je pousserais l'ingratitude jusqu'à chercher à capter l'amour de sa fille unique, de sa fille à qui elle laissera une part considérable de sa fortune!...

      —Non, jamais! Ma tête est plus forte que mon coeur, et si celui-ci ne veut pas entendre raison, je le briserai.

      —Ah! si elle était pauvre comme moi!...

      —Pauvre, toi? allons donc! Est-ce qu'on est pauvre quand on possède une intelligence comme la tienne et quand on a un coeur comme celui qui bat dans ta poitrine? est-ce qu'on est pauvre quand on a ton instruction et une position sociale honorable comme celle qui t'attend?

      —Et, d'ailleurs, puisque Mlle Privat a beaucoup d'argent, n'est-il pas juste qu'elle fasse partager cette fortune à un pauvre homme honorable, plutôt que de s'associer à un capitaliste qui n'en a que faire, et donner ainsi le spectacle d'une richesse scandaleuse, au milieu de misères imméritées?

      —Ah! oui, elle est riche et tu es pauvre!... Le voilà bien l'esprit de ce siècle d'argent où tout se cote, où tout se réduit en piastres et contins, où l'on fait marchandise de tout: âme, esprit ou coeur!... Tu verras, Champfort, que dans cent ans d'ici, chaque pensée, chaque sentiment sera matérialisé, pesé dans la balance du spéculateur, prostitué sur le tapis vert de l'agiotage, qui rendra, son verdict dans ce genre-ci: «Cette idée pèse tant et vaut tant la livre, mais la marchandise étant en baisse depuis une demi-heure, je ne puis offrir que tant!

      —Nos petits-fils verront cela, Champfort: je t'en donne ma parole d'honneur.

      A cette boutade de Després, Cardon, Lafleur et le Caboulot partirent d'un indécent éclat de rire. Champfort lui-même, malgré toute la gravité la situation, n'y put retenir et fit bravement chorus avec ses amis....

      Mais le roi des étudiants ne fut pas désemparé.

      —C'est bien, messieurs, dit-il; riez, puisque mes pronostics vous semblent drôles. Vous êtes jeunes, et, conséquemment, vous avez le droit d'envisager l'avenir sous ses plus riants horizons. Pour moi, je suis vieux déjà, avec les vingt-cinq lourdes années qui sont accumulées sur ma tête et les épreuves par lesquelles j'ai dû passer. C'est pourquoi, cet avenir que vous entrevoyez si beau ne pouvant plus m'offrir rien qui m'attache, rien qui m'illusionne, je le regarde froidement, je le suppute, je le pèse, ni plus ni moins que s'il s'agissait d'un bout de saucisse ou d'un morceau jambon!

      Et, en prononçant ces mots—qui pourtant auraient dû redoubler la bruyante hilarité de ses confères—Després avait dans la voix des accents si sombrement dédaigneux; sa physionomie reflétait tant d'amertumes longtemps comprimées, mais encore chaudes et palpitantes, que personne n'ouvrit la bouche et que chacun se crut en présence d'une de ces victimes stoïques et calmes, dont l'âme est morte à toutes les joies de la vie.

       Table des matières

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      Il fallait, en effet, qu'une bien terrible tempête eût passé sur le coeur de ce fier jeune homme pour en refroidir ainsi les puissantes aspirations et en arrêter l'indomptable essor.

      Y avait-il réellement un drame dans la vie de Després, ou devait-on mettre sur le compte de l'organisation fortement nerveuse du roi des étudiants cette misanthropie dédaigneuse et ces boutades douloureusement excentriques dont il ne pouvait se défendre, à de certaines heures?

      On se perdait là-dessus en conjectures.

      Il y avait bien, dans l'histoire de Després, une lacune que personne ne pouvait combler. Mais, comme la moindre allusion adressée jusqu'alors au jeune homme sur ce sujet avait paru l'affecter péniblement, on s'était fait un devoir de ne jamais plua le questionner sur ce passé mystérieux.

      Pourtant, ce soir-là, Champfort ne put s'empêcher de lui dire:

      —En vérité, mon cher Després, on dirait, à t'entendre, que des malheurs inouïs ont plané sur ta jeunesse.

      —Peut-être! murmura Després... Mais, reprit-il avec vivacité, il ne s'agit pas de moi pour le quart d'heure.

      —Cependant...

      —Il s'agit d'empêcher que tu sois la victime d'une coquette, ou qu'une délicatesse outrée fasse laisser le champ libre à un indigne rival.

      —Qui te parle de rival?... En ai-je un, seulement?

      —Tu en as plusieurs, mais tu n'en redoutes qu'un.

      —Comment sais-tu cela?

      —Je sais tout ce qui concerne cet homme, répondit Després d'une voix sombre.

      —Ah! fit Champfort intrigué, et tu le hais?

      —Je le hais?

      Ces trois mots furent dits d'un ton si glacial et si profond, que les étudiants


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