Le Roi des Étudiants. Vinceslas-Eugène Dick

Le Roi des Étudiants - Vinceslas-Eugène Dick


Скачать книгу
quelque chose comme une douleur sourde, mal définie, qu'il m'était impossible de surmonter.

      «La vue de ma cousine, constamment au bras de ce beau jeune homme qui lui souriait et lui parlait avec chaleur, me causait une impression tellement pénible, que je fuyais sa société et me tenais presque toujours à l'écart. J'errais seul de longues heures dans la campagne, et ce n'était, qu'avec un inexprimable serrement de coeur que je rentrais à l'habitation.

      «Hélas! je venais enfin de connaître le mal mystérieux qui me torturait: j'aimais ma cousine!

      «Cette découverte m'effraya et ne fit qu'augmenter ma sauvagerie. Je me considérai comme indigne des bontés de mon oncle et de ma tante, du moment que mon coeur me révéla son audace, et, je pris la résolution d'étouffer dans mon sein le coupable sentiment qui y germait.

      «Aussi, lorsque le colonel repartit pour l'armée, emmenant avec lui le jeune Lapierre, j'avais fait mon sacrifice et ce fut sans récriminations, sinon sans amertume, que je repris avec ma cousine le genre de vie accoutumé.

      «Mais, depuis cette visite malencontreuse, il se mêla toujours à nos relations une certaine gêne et, une teinte de froideur, que ni elle ni moi nous ne pouvions contrôler et qui ne fit qu'augmenter dans la suite.

      «Telle était la situation, lorsqu'un événement aussi douloureux qu'inattendu vint nous plonger tous dans la désolation. Lapierre arriva un soir à l'habitation porteur de la triste nouvelle que le colonel était mort, quelques jours auparavant, d'une blessure reçue dans un combat d'avant-postes. Le jeune homme, qui paraissait accablé de chagrin, remit à ma tante une lettre de son mari mourant, dans laquelle le blessé faisait les plus grands éloges de la conduite de son ami Lapierre, qui l'avait recueilli sur le champ de bataille et soigné comme un fils.

      —L'infâme! le traître! s'écria Després. Veux-tu savoir, Champfort, ce qu'avait fait Lapierre avant de ramasser sur le champ de bataille le colonel Privat mourant?

      —Qu'avait-il fait?

      —Il avait, pour une forte somme d'argent, livré au général ennemi le secret des mouvements de Beauregard et fait tomber le colonel Privat dans une embuscade où son régiment fut écharpé et lui-même blessé mortellement.

      —Le misérable! mais cette lettre de mon oncle?

      —Oh! j'aurai beaucoup, à dire sur cette lettre quand le temps sera venu. Pour le moment, qu'il me suffise d'affirmer que le colonel était à cent lieues de croire que Lapierre fût un espion au service du plus offrant. Aussi, touché des soins que lui prodiguait l'hypocrite, le chargea-t-il d'annoncer sa mort à sa femme et lui écrivit-il la lettre dont tu parles.

      —Mais, c'est affreux, cela! firent les étudiants.

      —Oui, messieurs, c'est affreux—d'autant plus affreux que le colonel avait comblé ce misérable de faveurs et qu'il reposait en lui une confiance illimitée...

      —Confiance que ne lui a pas retirée, malheureusement, la famille Privat, fit observer Champfort.

      —Oui, mais cette sympathie qu'il a su capter fera place à la haine et au mépris, quand je l'aurai démasqué, répondit Després.

      —Le pourras-tu?... Il te fera passer pour un imposteur et te demandera des preuves... En as-tu?

      —J'en ai plus qu'il ne m'en faut pour le faire rentrer sous terre et mourir de confusion, s'il lui en reste un atome d'honneur. Laissez venir le grand jour de la rétribution, mes amis, et vous verrez comment se venge le Roi des Étudiants. Toi, Champfort, achève ton histoire.

      —Je n'ai plus qu'un mot à dire. Ma tante, frappée dans ses plus chères affections, se montra héroïque. Elle se dirigea immédiatement vers le théâtre de la guerre et, à force d'argent, se fit remettre le corps de son mari, qu'elle ramena en Louisiane, où les derniers honneurs lui furent rendus.

      «Puis, n'étant plus retenue aux États-Unis par aucun intérêt majeur, elle vendit ses immenses propriétés et nous ramena tous à Québec, en passant par la France.

      «Quant à Lapierre, il avait rejoint l'armée, après l'enterrement du colonel. Je ne l'ai revu qu'il y a environ trois mois, chez ma tante. Il arrivait des États-Unis. Depuis lors, il est le commensal assidu de la maison et fait la cour à ma cousine, qu'il doit épouser dans huit jours.

      «Vous en savez, aussi long que moi, maintenant, messieurs.»

       Table des matières

       Table des matières

      Un silence de quelques minutes suivit.

      Després s'était levé et marchait avec agitation dans la pièce. Le récit de Champfort, auquel le nom de Lapierre se trouvait si étrangement mêlé, avait ravivé en lui une plaie à peine cicatrisée, et fait surgir dans son coeur d'amers souvenirs. Un pli menaçant, qui ridait de haut en bas son front soucieux, annonçait l'effort de sa pensée.

      Chose extraordinaire, le Caboulot, le joyeux, le turbulent Caboulot semblait partager cette agitation. Sa figure mobile était devenue grave et il attachait sur Després des regards profonds. On eût dit qu'un vague souvenir, trop éloigné pour avoir de la consistance, trottait, dans la tête de l'enfant et qu'il cherchait à le fixer, à lui donner du relief.

      Després ne s'apercevait pas de cette attention dont il était l'objet et continuait sa promenade fiévreuse.

      Ce que voyant Lafleur, qui n'aimait pas les situations tendues, crut le temps propice pour risquer une proposition. Le digne étudiant n'était amateur de mélodrame qu'autant qu'on y mettait, de temps en temps, un petit entr'acte pour prendre la goutte.

      Il saisit donc une bouteille et la brandissant:

      —Ça! messieurs, dit-il, vos histoires sont superlativement intéressantes; mais elles ne doivent pas nous empêcher de faire un doigt de cour à cette bonne bouteille qui s'ennuie.

      —En effet, nous ne buvons plus, appuya Cardon.

      —C'est tout simplement de l'ingratitude, ajouta le Caboulot, qui évidemment faisait effort pour paraître calme. La bouteille est une bonne et loyale fille qui n'a jamais trahi personne, elle. Donnons-lui une franche accolade.

      Les trois amis se versèrent chacun une rasade, et Lafleur s'écria:

      —Holà! Després, holà! Champfort, approchez. Faites-moi vite disparaître ces mines tragiques et venez trinquer, ou sinon je vous chante tout mon Grand-père Noé.

      Et il commença, en effet:

      C'est notre grand-père Noé,

      Patriarche digne............

      Mais les deux retardataires, en voyant cette menace du mélomane Lafleur recevoir un commencement d'exécution, s'étaient vite rendus, à l'appel.

      On but la rasade exigée. Puis Champfort dit à Després:

      —Eh bien! Després, es-tu toujours, d'opinion que je me suis trompé à l'endroit des sentiments de ma cousine?

      —Plus que jamais, répondit l'étudiant.

      —En vérité, tu m'étonnes!

      —Ce qu'il y a d'étonnant, mon cher, c'est que tu ne connaisses pas davantage les femmes.

      —Je crois pourtant connaître celle-là; ayant si longtemps vécu en rapports journaliers avec elle.

      —Tu la connais moins que toute autre... Mais laissons ce sujet pour ce soir. Je te convaincrai


Скачать книгу