Le Roi des Étudiants. Vinceslas-Eugène Dick

Le Roi des Étudiants - Vinceslas-Eugène Dick


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sûr de ne pas perdre une syllabe de la conversation mystérieuse, j'écartai doucement le feuillage et je regardai.

      A cinq ou six pas de moi, près de la maison, il y avait un homme et une femme. L'obscurité m'empêchait de distinguer leurs traits, mais mon coeur, qui battait à se rompre, les reconnut, lui.

      «L'homme était Lapierre; la femme, Louise, ma fiancée! Leur voix, qui se fit entendre au même moment, ne me laissa aucun doute à cet égard.

      «Ainsi, j'étais trahi!... trahi par la femme que j'aimais le plus au monde, qui m'avait juré une inviolable fidélité et que j'avais arrachée, deux mois auparavant, à une mort certaine!... trahi par l'homme qui me devait aussi la vie, par l'homme dont la bouche hypocrite me disait, la veille même, des paroles d'amitié, par le confident qui avait reçu tous les secrets de mon coeur!

      «C'était trop à la fois, et le coup qui m'atteignait en pleine poitrine était porté trop soudainement!... Un flot de sang me monta aux yeux et je dus me cramponner désespérément à un arbre, pour ne pas tomber.

      «Puis la réaction se fit, immense, terrible; une froide rage serra mes tempes, et ce fut avec un calme effrayant que je me dis:

      «Avant de les frapper, je dois les entendre. Je ne suis plus un amant; je suis un juge! Écoutons.

      «Et, concentrant toutes les facultés de mon âme dans un seul sens: l'ouïe; j'entendis mot à mot le dialogue suivant:

      —En vérité, ma chère Louise, disait Lapierre, vous êtes trop pusillanime ce soir. Les ombres de la nuit vous feraient-elles peur et n'auriez-vous de courage qu'à la clarté du soleil?

      —Ne raillez pas, Joseph: j'ai peur, en effet, répondait la jeune fille.

      —Peur de quoi?

      —Le sais-je?... De tout: du vent qui agite le feuillage, du coassement des grenouilles au bord de la rivière, du cri des hibous, là-bas, dans ces gorges sombres...

      —Allons donc!

      —Il me semble que tous ces bruits et toutes ces voix de la nuit ne s'élèvent que pour me reprocher mon infidélité.

      —Vous êtes folle, Louise: les hiboux et les grenouilles n'ont rien à voir dans nos affaires, croyez-moi.

      —Je le sais bien... Mais ce sentiment de vague terreur que j'éprouve n'est pas de ceux que l'on surmonte par le raisonnement.

      —Si vous m'aimiez, Louise, autant que, je vous aime, vous chasseriez bien vite toutes ces idées superstitieuses et vous ne craindriez rien au monde, quand je suis là pour vous défendre.

      —Vous aimer, Joseph?... Lorsque, pour vous, je trahis des serments solennels; lorsque je trompe à toute heure du jour un franc et loyal jeune homme qui a foi en moi; lorsque je récompense le dévouement de celui qui m'a sauvé la vie en jouant vis-à-vis de lui la comédie de l'amour, tandis que mon coeur appartient à un autre; vous me demandez si je vous aime!...

      Louise avait prononcée cette tirade d'une voix forte, quoique étouffée, et avec une énergie fébrile. Je n'en perdis pas un mot, pas une intonation. Aussi, l'effet fut-il foudroyant, et je demeurai accablé, la tête appuyée au tronc d'un arbre, le visage baigné de larmes.

      Lapierre reprit:

      —Je vous crois, Louise, et la démarche que vous faite ce soir confirme vos dires; mais combien les actions prouvent mieux que les paroles!

      —Ce que vous me demandez est si grave, que je ne puis m'y résoudre.

      —Qu'y a-t-il dans ma proposition de si extraordinaire? Vous n'aimez pas l'homme que vos parents vous destinent; pour vous soustraire à la dure nécessité d'épouser cet homme-là, vous fuyez avec celui que votre coeur a choisi... Encore une fois, qu'y a-t-il dans ce projet de si étrange?

      —Gustave Després m'a sauvé la vie!

      —La belle affaire! Tout autre, à sa place, en eût fait autant. Est-ce qu'on laisse périr sous ses yeux une personne qui se noie, sans lui porter secours?

      —Je lui ai dit que je l'aimais et promis de n'être jamais qu'à lui!

      —Propos d'amoureux que tout cela. Ces sortes d'engagements ne tirent pas à conséquence et se rompent tous les jours. Després a abusé de votre jeunesse et escompté votre reconnaissance, en vous faisant promettre une chose semblable. C'est tout simplement odieux.

      A cette lâche accusation de Lapierre, je me redressai pâle de colère et prêt à bondir sur lui; mais la voix de Louise m'arrêta.

      —Laissez-moi réfléchir, disait la jeune fille. Demain, à la môme heure, soyez ici: je vous dirai à quoi je suis résolu.

      —Ne craignez-vous pas le retour de Després?

      —Oh! non, il m'a déclaré que son absence durerait au moins trois jours.

      —J'attendrai, puisqu'il le faut. Mais songez, Louise, que le temps presse et que la découverte de notre liaison peut tout gâter.

      —Demain, j'aurai pris une décision.

      —A demain, donc! La frontière n'est pas loin et mon canot est rapide.

      —Je serai prête. A demain!

      Louise rentra, et j'entendis, à quelques pas de moi, le bruit des branches froissées par Lapierre, qui regagnait son canot.

      Je le laissai partir.

      Cinq minutes après, je filais silencieusement dans son sillage. Mon heureux rival fredonnait un gai refrain, pagayant mollement, comme un homme qui n'est pas pressé.

      Je l'abandonnai à la hauteur de l'îlot, pour obliquer à gauche et me diriger vers la demeure de mon père.

      Lui se perdit dans l'obscurité, en amont, et je l'entendis atterrir presque en même temps que moi.

       Table des matières

       Table des matières

      Després, après s'être recueilli un instant, reprit ainsi sa narration:

      «La découverte de la honteuse trahison dont j'étais victime avait réveillé dans mon coeur une foule de passions assoupies jusqu'alors. De sombres idées de vengeance m'agitaient, et c'est sous l'empire d'une de ces colères blanches qui ne raisonnent pas que je pris un parti.

      «Je gravis au pas de course le coteau qui conduisait à la maison de mon père; et, après avoir rendu compte à ce dernier de ma mission, je lui dis qu'une affaire importante m'obligeait à repartir de suite, et le priai de ne pas révéler à personne mon retour nocturne à Saint-Monat.

      «Le bon vieillard parut quelque peu étonné de mes allures mystérieuses; mais je le rassurai en lui disant qu'il s'agissait tout simplement d'un pari à gagner, et je fis mes préparatifs de départ.

      «Ce ne fut pas long.

      «De l'argent, quelques hardes, des provisions pour deux jours et une paire de revolvers chargés composèrent mon bagage, et je quittai la maison paternelle comme deux heures du matin sonnaient au coucou du salon.

      «Une vingtaine de minutes plus tard, j'étais installé dans le fourré le plus épais de l'îlot, ayant eu soin de hâler mon canot à sec et de le dissimuler dans un fouillis de broussailles.

      «Mon intention, en choisissant cet endroit solitaire pour y passer la journée, était d'abord d'empêcher que Lapierre n'eût vent de mon retour, ensuite d'être plus à portée d'observer


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