La nuit de Noël dans tous les pays. Alphonse Chabot

La nuit de Noël dans tous les pays - Alphonse Chabot


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      Qu'à l'Étoile portant envie,

      Elle brille... et meurt à la fois!

      Comtesse O'MAHONY

      En Provence, toute la famille se réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de la ville ou du village, sont désertes et, par contre, toutes les maisons sont brillamment éclairées; on oublie pour un jour l'économie du luminaire; la modeste lampe à l'huile (lou calèn) est mise de côté et l'on place sur la table, d'une façon symétrique, les belles chandelles cannelées, ornées de festons.

      La place d'honneur appartient de droit au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à table, on allume dans la cheminée l'énorme bûche de Noël (cacho fio) qui doit brûler une moitié de la nuit.

      Le plus jeune des enfants de la maison, muni d'un verre de vin, fait trois libations sur la bûche, tandis que l'aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de la bénédiction:

       Alegre! Diou nous alegre!

       Cacho-fio ven, tout ben ven.

       Diou nous fague la graci de veire l'an que ven,

       Se sian pas mai, siguen pas men!

      Réjouissons-nous! Que Dieu nous donne la joie! Avec la Noël, nous arrivent tous les biens. Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année qui va venir! Et si l'an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.

      Ce repas, comme c'est jour d'abstinence, n'est composé que de plats maigres, mais servis à profusion; poissons frais, poissons salés, légumes, figues sèches, raisins, amandes, noix, poires, oranges, châtaignes, pâtisseries du pays. C'est donc avec raison qu'on donne à ce festin le nom dou gros soupa.

      Les enfants, qui ont obtenu, ce soir, la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles, on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux serviteurs de prendre leur repas à la table du maître.

      Le gros souper commence parfois tristement, et cela se conçoit: les convives se comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque parent à l'appel. On cause un moment des absents, on adresse un hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin circule, le nougat se dépèce et, quand l'appétit est satisfait, les regards se tournent vers la Crèche qui représente le grand mystère du jour.

      Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale, c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel et d'un coeur peu chrétien.

      Dans le Comtat-Venaissin, l'ordonnance de la collation de Noël est de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gâteau de forme élevée et conique nommé pan calendau ou pain de Noël; il ne doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un rameau de houx frelon ou vert bouissé, garni de ses fruits rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.

      Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même nous raconter la veillée de Noël en Provence:

      Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour «poser la bûche au feu», dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant:

      —Bonnes fêtes! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.

      Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la «bûche de Noël», qui—c'était de tradition—devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant:

      Allégresse! Allégresse,

      Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse!

      Avec Noël, tout bien vient,

      Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine.

      Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins.

      Et, nous criant tous: «Allégresse, allégresse, allégresse!» on posait l'arbre sur les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme:

      A la bûche,

      Boutefeu!

      disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions, à table.


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