La nuit de Noël dans tous les pays. Alphonse Chabot
5: (retour) Muge, poisson de mer appelé aussi mulet.
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et, longuement, autour du feu, on y parlait des anciens ancêtres et on louait leurs actions6.
Note 6: (retour) Frédéric Mistral.
A Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut invariablement un plat d'anguille, une raïto, sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gâteaux, de confitures, en un mot de tout ce qu'on nomme, à Marseille, les Calenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.
Pour compléter ce que nous avons déjà dit de la veillée de Noël en Provence, nous citerons la description que nous fait de gros souper Jeanne de Flandreysy dans le Museon Arlaten.
Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une véritable reconstitution du passé intime, familial de la Provence.
L'illustre fondateur y a réuni, dans six grandes salles ouvertes au public, tout ce qui a trait aux moeurs locales et régionales du pays.
Dans la première salle, dite salle, de Noël (Salo Calendalo), est représentée la cuisine d'un mas (ferme, métairie). Nous y voyons, entourant la grande cheminée, tous les meubles, ustensiles, table, crédence, panetière, huche, armoires, dressoirs pour les étains, horloge, chenets, la vaisselle, verriers, lampes, batterie de cuisine, brocs de cuivre, poteries grossières, etc., en un mot tout le mobilier traditionnel d'une ancienne maison agricole de Provence.
En voyant cette pièce, nous sentons parfaitement que nous sommes chez de riches paysans. Les étables doivent être pleines, les mûriers doivent donner des brassées de feuilles pour le réveil des vers à soie, et la vigne doit saigner aux vendanges, comme un taureau blessé ensanglante une arène.
... Sur la table, trois nappes, trois chandelles, symbolisent le mystère de la sainte Trinité. A ses deux extrémités, cette table est garnie des prémices de la moisson sous la forme de blé en herbe, et couverte de tous les plats conventionnels: le pain calendal (de Noël) portant une incision cruciale (on en réserve un quart pour le premier pauvre qui passe), le muge (faute de muge, on mange de la morue), les escargots, le cardon, le céleri et enfin la fougasso (fouasse), galette percée de trous.
Nous y voyons encore le sauve-crestian, grosse bouteille renfermant des grains de raisin dans l'eau-de-vie, et enfin le barralet, petit tonneau contenant le vin cuit, ce fameux vin cuit dont les Provençaux boivent une rasade dans leurs festins.
Nous terminerons par une lettre très intéressante que nous a écrite un confrère de Bretagne7.
Note 7: (retour) A. G., ancien curé de Malestroit.
«Dans beaucoup de familles, vous le savez comme moi, le réveillon de Noël n'a plus de raison d'être. Bien des gens qui ne vont pas à la messe et qui se vantent de ne plus croire à rien, croient encore au réveillon, parce que c'est un prétexte à ripaille, mais ils ne se soucient nullement de la naissance de l'Enfant Jésus. Eh bien! je crois que, proportion gardée, on pourrait presque en dire autant du repas maigre.»
Assurément les Auvergnats et les Provençaux dont vous parlez sont encore des croyants, puisqu'ils ont conservé la tradition du repas maigre à la veillée de Noël; mais pourtant ce repas est trop plantureux et trop varié pour qu'on puisse y voir une mortification. Évidemment tous ces détails sont pleins d'intérêt et vous avez eu grandement raison de ne pas les négliger, surtout au point de vue du pittoresque local. Mais, je le répète, ces repas maigres sont de vrais festins et non des collations de vigile, et, à la veillée de Noël, je les trouve tout à fait déplacés. Est-ce bien, pour des chrétiens, le moment de faire bombance, quand l'Evangile nous montre Marie et Joseph cherchant inutilement un gîte et peut-être un morceau de pain?
Qu'après la Messe de minuit, on se réjouisse, on réveillonne, rien de mieux, parce qu'alors les bergers sont déjà venus apporter des provisions à la Crèche et que la Sainte Famille n'a plus à craindre la disette; mais, avant minuit, je vous avoue que cela me choque, d'autant plus que je ne vois, dans la soirée, aucun acte religieux préparatoire à la fête de Noël.
En Bretagne, rien de plus frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre et sans autre boisson qu'un verre d'eau. C'est là tout le repas de la vigile.
On ne commence à manger qu'après le coucher du soleil et lorsqu'on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l'Enfant Jésus.
Ce maigre repas achevé, on s'assied autour de la bûche traditionnelle, et la veillée se passe en prières. A Mohon, où j'ai été trois ans recteur, avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter «les mille Ave». Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se délasse un peu en chantant quelque vieux Noël; puis on reprend la prière, jusqu'à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires pour faire le total des mille Ave.
Voilà ce que devrait être, avec des variantes, selon les régions, la veillée de Noël dans toute famille vraiment chrétienne: Ne prendre de nourriture que ce qui est nécessaire pour soutenir le corps; puis, le repas achevé, prier en union avec l'Ange, en saluant mille fois la Vierge qui, dans quelques instants, sera la Mère de Dieu, mais qui, pour le moment, erre encore dans les rues de Bethléem à la recherche d'un gîte qui lui sera refusé. Tout à l'heure, au retour de la Messe de minuit, la nature reprendra ses droits et on réveillonnera copieusement, pour se réjouir de la naissance de Jésus et aussi pour réparer les fatigues de la marche et de la veillée; mais alors la Sainte Famille aura reçu la visite des bergers et ne sera plus dans le dénûment.»
Nous sommes bien de l'avis de notre aimable correspondant. Le véritable esprit chrétien de la nuit de Noël doit consister dans la mortification du repas maigre de la vigile et, après la Messe de minuit, dans la joie exubérante du réconfortant réveillon auquel prend part la famille tout entière.
II.—LES DIVERTISSEMENTS.
Nous allons citer quelques divertissements auxquels donne lieu la fête de Noël.
Nous avons trouvé dans une notice sur Beaufort, commune de l'Anjou, une très ancienne coutume dont il ne reste pas trace dans les traditions du pays.
C'était, à Beaufort, un usage que tous les jeunes gens mariés dans l'année se réunissent la veille de Noël, pour offrir au public un grand divertissement.
A l'heure indiquée, ils se rendaient, escortés de toute la foule, sur un pont situé sur une petite rivière, à l'extrémité de la ville. Là, au signal donné par les premiers magistrats de la cité, et en présence du seigneur du lieu qui présidait la cérémonie, ils se précipitaient dans l'eau pour y saisir, en nageant, une pelote que l'on avait jetée dans le courant. Les nageurs avaient la liberté d'arracher la pelote des mains de ceux qui l'avaient saisie les premiers; c'était, on peut le penser, une lutte fort longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit, parvenait à se rendre maître de la pelote était proclamé le vainqueur. Il recevait cinquante livres pour «monter son ménage» et était reconduit chez lui au son de la trompe, au bruit