La nuit de Noël dans tous les pays. Alphonse Chabot
puis Alain, le vieil écuyer du défunt seigneur; dame Pernette, qui a nourri et élevé l'enfant; les servantes, les hommes d'armes de la petite garnison qui défend le château pendant ces jours troublés; les varlets, les pages et, enfin, une famille de pauvres laboureurs qui est venue le jour même chercher derrière les murs de Briamont un abri contre la fureur des bandes pillardes qui dévastent la campagne. Et tous ont répété: «Noël! Vive notre jeune seigneur!»
«—Merci à vous, mes bons serviteurs et amis, reprend le comte Raoul; merci de votre affection et des soins dont vous m'avez entouré pendant toute cette année, la dernière que je passe parmi vous et sous le toit de mes pères. Bientôt sonnera l'heure du départ; bientôt, sous la conduite de mon suzerain, j'irai trouver notre sire le roi Charles; bientôt je serai chevalier, je pourrai courir sus à l'Anglais et aider, s'il plaît à Dieu, à le chasser hors du royaume de France. Criez donc: Noël! mais aussi: Vive notre gentil dauphin Charles VII!11».
Note 11: (retour) Marie de Lacertelle, Ann. d'Orléans, 7 janv. 1905.
A Paris, comme dans toutes les grandes capitales, le mouvement et l'animation redoublent la veille de Noël et se prolongent non seulement fort avant dans la soirée, mais encore une partie de la nuit. La Noël, l'une de nos plus grandes fêtes religieuses, l'une des plus touchantes fêtes de famille, est en même tempe la plus franchement joyeuse des fêtes populaires.
Dès la nuit tombée, les rues sont envahies par la foule: sur les boulevards, auxquels les petites boutiques provisoires prêtent la physionomie d'une fête enfantine, c'est un flot toujours croissant, toujours renouvelé de promeneurs.
Les terrasses des cafés s'encombrent à vue d'oeil; à tous ces gens attablés, des camelots viennent proposer le jouet du jour, en accompagnant leur boniment des facéties les plus originales. Des mendiants cherchent à exploiter la pitié des passants et des industriels sans ressources s'improvisent artistes pour la circonstance.
Ces sortes de «minstrels» pullulent depuis quelques années. Certains exercent leur talent sans collaboration, mais la plupart sont groupés en duo ou trio pour donner leur concert. Ils débitent leur répertoire, généralement insignifiant, devant un public peu exigeant, car c'est d'une façon bien distraite qu'on les écoute. Ces virtuoses du pavé, pauvres «cigales» de l'art, auxquelles la lumière électrique tient lieu de «soleil», accompagnent souvent leurs chants de «danses» qui ne leur assurent pas toujours ce qu'il faut «pour subsister».
Un usage des plus édifiants et des plus touchants existe encore au village de Montsecret (Orne). La veille et le matin du jour de Noël, une jeune fille pieuse et estimée de tous va par les maisons porter l'Enfant-Jésus de la Crèche et le fait baiser aux petits enfants. Les parents remettent alors une offrande pour l'entretien de la lampe qui, pendant tout le mois de janvier, brûle à l'église devant la Crèche. Cette visite est regardée comme un honneur et une bénédiction par les familles: les enfants l'attendent avec impatience et l'accueillent avec joie12.
Note 12: (retour) D'après l'abbé V..., du diocèse de Séez.
III.—LES LÉGENDES
Ce qui fait le plus grand charme de la veillée de Noël, ce sont assurément les légendes qu'on y raconte: leur ensemble forme un des plus captivants chapitres de la littérature populaire; elles sont tour à tour terribles ou touchantes, dramatiques ou gracieuses. Il serait bien difficile de dire quelle est l'origine de ces fables, historiettes ou contes, qui ont trait à la naissance de l'Enfant-Dieu. Ces récits, auxquels les vieillards savent donner tant de charmes, font toujours les délices des enfants.
Les légendes de la veillée de Noël peuvent se diversifier d'après les êtres qui entrent en scène. Êtres inanimés, animaux, démons, récits édifiants; tel est l'ordre que nous suivrons.
Êtres inanimés
En Franche-Comté, on raconte qu'une roche pyramidale, qui domine la crête d'une montagne, tourne trois fois sur elle-même pendant la Messe de minuit, quand le prêtre lit la généalogie du Sauveur. En cette même nuit, les sables des grèves, les rocs des collines, les profondeurs des vallées s'entr'ouvrent et tous les trésors enfouis dans les entrailles de la terre apparaissent à la clarté des étoiles.
Dans cette même contrée existe la légende de la pierre qui vire. C'est une pierre pointue dressée en équilibre sur un rocher, entre les villages de Scey-en-Varais et de Cler, et qui, dit-on, fait un tour complet sur elle-même au coup de minuit, à Noël13.
Note 13: (retour) L'abbé V..., du diocèse de Besançon.
Dans les Vosges, la pierre tournerose, bloc élevé qui existait près de Remiremont, se mettait elle-même en mouvement quand les cloches de Remiremont, de Saint-Nabord et de Saint-Etienne (deux paroisses voisines de Remiremont) appelaient les fidèles à la Messe de minuit14.
Note 14: (retour) Richard, Traditions populaires.
C'est surtout au pays de Caux (Seine-Inférieure) qu'existe la légende des pierres tournantes. Ces pierres faisaient autrefois trois tours sur elles-mêmes pendant la Messe de minuit, et les monstres qui étaient censés y habiter exécutaient autour d'elles des danses folles qu'il eût été dangereux de troubler. Citons la chaise de Gargantua à Duclair, la pierre Gante à Tancarville, la pierre du Diable à Criquetot-sur-Ouville.
A Millières, dans le Cotentin (Manche), au carrefour des Mariettes, se trouve un bloc de pierre pesant mille kilos, qui, dit-on, saute trois fois, le jour de Noël, à minuit.
On croit encore, au pays de Caux, que les cloches perdues sonnent pendant la Messe de minuit.
Certains affirment avoir entendu l'ancienne cloche de l'église des moines d'Ouville-l'Abbaye, qui passe pour être enfouie dans le «Bose-aux-Moines», à Boudeville.
Mais il faut surtout lire les légendes bretonnes.
Nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent pendant la Messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons altérés, aux rivières et aux ruisseaux.
Un mégalithe, près de Jugon (Côtes-du-Nord), se rend à la rivière de l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte à sa place de lui-même.
Il y a, au sommet du mont Beleux, un menhir qui se laisse enlever par un merle et qui met à découvert un trésor.
Il faut entendre surtout, telle qu'elle nous est contée par Emile Souvestre, la jolie légende des pierres de Plouhinec qui vont boire à la rivière d'Intel15.
Note 15: (retour) Emile Souvestre, Le Foyer Breton, tome II. p. 181.
La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont Gargantua se servit pour aiguiser sa faux, et qu'il piqua, après la fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui. Elle cachait un trésor qui tenta un paysan des alentours. Ce paysan était si avare qu'il n'eût pas trouvé son pareil: