La nuit de Noël dans tous les pays. Alphonse Chabot
Une coutume à peu près semblable avait lieu en Normandie, au Mesnil-sous-Jumièges et à Yville.
La dernière mariée de l'année—et c'était à qui se marierait la dernière pour avoir cet honneur,—en présence de toute la paroisse assemblée, jetait par-dessus l'église une boule ou une pelote où était enfermée une somme d'argent. Chacun faisait ses efforts pour s'en emparer. Or, pour en demeurer maître, il fallait rentrer chez soi et faire baiser la pelote à la bûche de Noël, dans la cheminée. Quiconque touchait le porteur, lui criait: «Lâche la pelote», et de nouveau la pelote était lancée.
Souvent cette partie de balle lancée durait fort longtemps, et parfois l'heureux possesseur de la balle demeurait éloigné du village deux eu trois jours avant de rentrer chez lui, attendant que ses adversaires, lassés, aient abandonné la partie. Une sorte de superstition s'en mêlait, la pelote portant bonheur au hameau qui la possédait. C'était un talisman qui assurait de belles récoltes à celui qui pouvait la garder.
Tout cela était très inoffensif, mais les bousculades, les batteries qui s'ensuivaient, l'étaient moins, et, en 1866, on a supprimé définitivement cette originale coutume normande8.
Note 8: (retour) Journal de Rouen, suppl. du 25 déc. 1898.
Voici, d'après M. J. Carnandet9, ce qui se passait, la veille de Noël, dans les villages champenois.
Note 9: (retour) Bibliothécaire de la ville de Chaumont.
C'est à la nuit tombante que commencent les réjouissances de la fête de Noël. Dès que la dernière lueur du jour s'est fondue dans l'ombre, tous les habitants du pays ont grand soin d'éteindre leurs foyers, puis ils vont en foule allumer des brandons à la lampe de l'église. Lorsque ces brandons ont été bénits par le clergé, ils les promènent par les champs: c'est ce qu'on appelle la fête des flambarts. Ces flambarts sont le seul feu qui brûle dans le village: ce feu bénit et régénéré jettera de jeunes étincelles sur l'âtre ranimé dans quelques instants, image symbolique de la renaissance spirituelle apportée au monde par Jésus-Christ.
Puis on allume la bûche de Noël.
Pendant la veillée, les paysans, sur l'esplanade et dans les cours, se livrent à mille passe-temps agréables et se divertissent au jeu des folles entreprises. Les uns feignent de vouloir prendre la lune avec les dents, les autres de rompre une anguille avec les genoux, les autres d'étouper les quatre-vents, d'autres, enfin, de faire taire les femmes qui coulent la buie (la lessive).
Mais tous les jeux cessent à minuit, alors que les cloches tintent dans les airs obscurcis. De tous côtés, s'en viennent à l'église de longues files de paroissiens portant des brandons goudronnés, des torches de poix ardente qui répandent de larges clartés sur les campagnes éblouissantes et font scintiller le givre aux buissons des clôtures.
Nous avons reçu d'un de nos aimables confrères le récit le plus charmant qu'on puisse désirer d'une veillée de Noël dans le Rouergue 10.
Note 10: (retour) M. l'abbé M..., du diocèse de Rodez.
«Nos coutumes se perdent de plus en plus dans notre Rouergue, comme partout ailleurs; à mesure que les progrès s'infiltrent dans nos montagnes, les vieilles traditions disparaissent peu à peu pour faire place à la monotone banalité de l'égoïsme et du bien-être.
«Voici cependant ce qui se passe généralement, à l'occasion de Noël, dans la région montagneuse et accidentée qui entoure Rodez: c'est le vieux Rouergue, qui sut se garantir du protestantisme et de l'invasion anglaise.
«Là, dans les vastes plaines arides du Causse, comme sur les montagnes du Levézou et les mamelons boisés du Ségala, il fait grand froid vers la fin de décembre; aussi on ne ménage pas le bois dans la vaste cheminée autour de laquelle se groupe toute la famille pour la veillée.
«Autrefois, les voisins arrivaient, eux aussi; on se réunissait, ainsi, nombreux, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, on devisait joyeusement, sans contrainte ni gêne aucune, grignotant de savoureuses châtaignes grillées et les arrosant de cidre ou du petit vin blanc qu'on récolte dans nos vallons. Hélas! la politique s'est glissée sournoisement jusque chez nous—et finies nos patriarcales réunions.
«Groupée donc autour d'un grand feu, la famille cause doucement: tout à coup, les cloches se font entendre. «Les carillons!» dit l'un des anciens, et là-dessus, pour satisfaire l'avide curiosité des jeunes, on rappelle toutes les antiques légendes de la fête de Noël, que tout le monde sait déjà, mais qui plaisent toujours.
«On raconte que les cloches de telle ancienne paroisse détruite, jetées dans quelque gouffre profond par les protestants ou les révolutionnaires, se mettent à sonner d'elles-mêmes pour répondre aux joyeux carillons de leurs soeurs qui chantent si gaiement dans le clocher du village.
«Viennent ensuite les récits les plus variés sur la naissance du Sauveur... Presque toujours ces récits se terminent par un cantique de Noël—en patois, bien entendu:
Au miezo mièch,
Lous pastrès quitou lou lièch,
Per ona audoura la noissenço,
Moun Dious!
D'un Dious plé de puissenço
Benez esse Dious!
A minuit,
Les bergers quittent le lit,
Pour aller adorer la naissance,
Mon Dieu!
D'un Dieu plein de puissance,
Venez être Dieu!
«Que de fois n'ai-je pas ouï la voix chevrotante de ma bonne vieille «Mimi», âgée de plus de quatre-vingts ans, qui me berçait sur ses genoux au rythme mélancolique et suppliant de ce chant naïf.
«Avant de partir pour la Messe de minuit, on plaçait la bûche de Noël (souquo naudolenquo). D'après la tradition, la bûche de Noël, dans toute maison qui se respecte, doit durer jusqu'au 1er janvier, et même, pour s'assurer une heureuse et prospère année, il faut qu'elle brûle sans s'éteindre jusqu'à l'Épiphanie, afin que, si les Rois Mages viennent à passer par là, ils aient de quoi réchauffer leurs membres fatigués et glacés par l'âpre bise de nos montagnes. Aussi ce sont des arbres entiers ou d'immenses souches de chêne que j'ai vu porter par trois ou quatre valets de ferme dans la gigantesque cheminée de la cuisine.»
Une plume très exercée a su mettre en scène l'antique veillée de Noël au pays lorrain; nous sommes heureux de reproduire ce gracieux tableau.
«C'était la veillée de Noël en pays lorrain. Dans la grande salle du château, maîtres et serviteurs sont rassemblés, le souper vient de finir; les pages apportent les galettes dorées et les aiguières de vin vermeil qui doivent égayer la soirée. Au haut de la table, le comte Raoul de Briamont a présidé le repas sur le grand fauteuil seigneurial sculpté aux armoiries de sa maison; il a crié «Noël!» en élevant gaiement la coupe d'argent, et sa voix sonore a éveillé, en même temps que les échos de la grande salle, la joie dans tous les cours des convives. Car tous les serviteurs de Briamont présents au festin de Noël aiment leur jeune maître de quinze ans et respectent sa tête blonde,