Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique. Antoine François Prévost d'Exiles

Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique - Antoine François Prévost d'Exiles


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de perfidie, le Capitaine Guillaume Hawkins de Plymouth, & tous ses gens. Ces barbares avoient raison de craindre encore notre ressentiment pour la cruauté qu'ils avoient exercée à l'égard d'un petit garçon de la Flotte, dont ils s'étoient saisis. Après lui avoir coupé la tête, ils lui avoient arraché le cœur, & mis en pièces tous ses membres: ce fut pour tirer vangeance d'une action si cruelle, que les Anglois brûlerent non-seulement la Ville, mais toutes les maisons du Païs, & qu'ils mirent en plusieurs endroits, sur-tout à l'Hôpital, que le feu avoit épargné, des Affiches qui rendoient témoignage du crime & du châtiment.

      Delà, ils prirent directement la route des Indes Occidentales; mais la maladie se mit quelques jours après dans leurs troupes, & leur fit perdre un grand nombre de Soldats. C'étoit une fiévre ardente, qui les emportoit en peu de jours, & qui leur laissoit après leur mort des taches dans toutes les parties du corps, comme celles de la peste. Ils l'attribuerent au mauvais air, & ceux qui eurent le bonheur d'en revenir, sentirent long-tems après un affoiblissement considérable dans leurs forces, & particulierement dans leur mémoire. N'ayant pas laissé de continuer leur course, ils passerent par l'Isle de la Dominique & par celle de Saint Christophe, d'où ils se rendirent à Hispaniola. C'étoit le premier jour de l'an: ils le célébrerent par l'incendie d'une partie de la Capitale, après avoir inutilement proposé aux Espagnols de payer une rançon pour s'exempter de cette perte; & les vingt-cinq mille ducats qu'ils donnerent ensuite pour sauver le reste de la Ville, n'empêcherent point les Anglois d'emporter tout le butin qu'ils y avoient déja fait.

      Ils passerent ensuite au continent de l'Amérique méridionale, & s'approcherent de la Côte de Carthagène à la portée du mousquet. N'ayant point trouvé de résistance à l'entrée du Port, le Vice-Amiral & les Capitaines des Barques & des Pinaces reçurent l'ordre d'attaquer le premier Fort qui la défend, & le Général débarqua ses troupes vers le soir à quelque distance. Il marcha le long du rivage avec beaucoup de silence, & s'étoit déja avancé fort heureusement à deux milles de la Ville, lorsqu'il rencontra un corps de cent Cavaliers qu'il attaqua brusquement, & qui tournerent le dos à la première décharge de la mousqueterie Angloise. Dans le même instant il entendit quelques volées de canon. C'étoit le signal dont le Vice-Amiral étoit convenu avec lui, pour l'avertir qu'il avoit commencé l'attaque du Fort; mais cette entreprise étoit plus difficile qu'on ne s'y étoit attendu. Le Fort, quoique petit, étoit en état de faire une vigoureuse défense; & l'endroit le plus étroit du Canal, qui fait l'entrée du Port, étoit traversé par une chaîne qui en bouchoit le passage. Ainsi le bruit du canon ne servit qu'à donner l'allarme aux autres parties de la Côte.

      Cependant le Général avoit continué d'avancer, & n'étoit plus qu'à un demi mille des murs de Carthagène. Il trouva que le passage se rétrecissoit tout d'un coup, & n'avoit plus cinquante pas de largeur. D'un côté c'étoit la Mer, & de l'autre le grand Bassin qui forme le Port. Il observa la Place, qui étoit environnée d'un mur de pierres & d'un fossé, flanqué de différens ouvrages. Il n'y avoit qu'un seul chemin pour les chevaux & les voitures, & les Habitans l'avoient déja bouché avec quantité de tonneaux remplis de terre. Il étoit défendu d'ailleurs par six grosses pièces de canon. Les Habitans en firent une décharge à l'approche des Anglois. Ils firent avancer en même-tems deux grandes Galeres, montées chacune d'onze pièces de canon, qui jouoient sur l'Isthme en travers; outre trois ou quatre cens Mousquetaires qu'elles avoient à bord. Ils en avoient posté aussi trois cens sur terre pour garder ce passage.

      Toute cette artillerie fit un feu terrible sur les Anglois; mais le Lieutenant Général Carlisle prenant avantage de l'obscurité, marcha le long de la Côte, & trouvant l'eau qui commençoit à baisser, il se mit facilement à couvert des coups de feu. Tous les Anglois ayant ordre de ne pas tirer avant que d'être arrivés aux murs de la Ville, ils s'avancerent jusqu'à la barricade des tonneaux sans s'être servis de leurs mousquets. Mais aussi-tôt qu'ils y furent arrivés, ils renversérent impétueusement la barricade, & faisant leur décharge sur l'ennemi, ils en vinrent tout d'un coup aux picques & aux épées. Les Espagnols se virent forcés de tourner le dos & d'abandonner le passage. On les poursuivit si furieusement, qu'ayant recommencé deux fois à faire face, ils furent poussés, sans avoir le tems de respirer, jusqu'à la grande Place de la Ville; & desespérant enfin de pouvoir résister plus long-tems, ils sortirent de la Place pour rejoindre leurs femmes & leurs enfans, qu'ils avoient eu la précaution d'envoyer à la campagne.

      Ils avoient élevé à l'entrée de chaque ruë d'autres barricades de terre, avec une espece de retranchement qui coûta quelque chose à forcer. Mais ceux qui les défendoient s'étant bien-tôt dispersés, les Anglois y perdirent peu de monde. Ils avoient posté aussi dans des lieux avantageux un grand nombre d'Indiens, avec leurs arcs, & ces fléches empoisonnées, dont la moindre blessure étoit mortelle. Ces Barbares nous tuerent quelques Soldats. Au long des ruës, les Espagnols avoient planté dans la terre une infinité de pointes de fer, qui étoient empoisonnées comme les fléches des Indiens; mais nos Officiers s'en étant apperçus firent marcher leurs gens sur le bord de la Mer, qui baigne la Place jusqu'au pied des maisons; desorte que ces odieuses inventions, si contraires aux loix de la guerre, ne furent pernicieuses qu'à un petit nombre d'Anglois. Ce soin qu'ils avoient eu de se préparer avec tant de précautions, venoit d'un avis qu'ils avoient reçu de l'approche de notre Flotte vingt jours avant notre arrivée; ce qui avoit même donné assez de loisir aux Habitans pour mettre tous leurs effets à couvert.

      Dans cette action les Anglois firent prisonnier Dom Alonzo Bravo, qui commandoit à la première barricade. Ne trouvant plus d'ennemis à combattre, ils passèrent six semaines dans la Place. Mais dans cet intervalle, ils furent repris de la calenture, mal dangereux que les Espagnols même attribuent à l'air, & qui se gagne le soir au serein. Les tristes effets de cette maladie empêchèrent le Chevalier Drake de suivre le dessein qu'il avoit d'aller à Nombre de Dios, & de gagner ainsi par terre la fameuse ville de Panama, où il espéroit de trouver assez de richesses pour se dédommager des fatigues du Voyage. Pendant le séjour qu'il fit à Carthagène, il traita les Habitans avec beaucoup de civilité; & le Gouverneur, l'Évêque, avec quantité d'autres personnes de distinction, ne firent pas difficulté de lui rendre les mêmes politesses.

      Cependant il arriva aux Anglois un accident qui leur apprit à ne jamais faire trop de fond sur les apparences de l'amitié, dans un Païs subjugué par la force. Une de nos sentinelles, qui avoit son poste sur le plus haut clocher de la Ville, ayant un jour découvert deux petites Barques qui s'avançoient sur la Mer, quantité d'Officiers & de Matelots entrèrent aussi-tôt dans deux Pinaces, pour aller au-devant d'elles & s'en saisir, avant qu'elles pussent être informées que nous nous étions rendus maîtres de la Ville. Malgré toute la diligence des Anglois, les deux Barques avoient déjà reçu quelque signal qui les avoit averties du danger. Elles gagnèrent le rivage en voyant approcher nos Pinaces, & leur Équipage se cacha aussi-tôt dans les bruyères, avec quelques Espagnols de qui elles avoient reçu le signal. Nos Anglois voyant les Barques vuides, y entrèrent témérairement, & se tinrent à découvert sur le pont, où ils furent salués d'une décharge de mousqueterie, qui leur tua deux Capitaines, Wancy & Moon, avec cinq ou six de leurs gens. Les autres ne se trouvant point assez forts pour se vanger sur le champ de cette perfidie, & la plûpart étant des Matelots qui n'avoient pas même apporté leurs armes, parce qu'ils avoient crû que leur canon suffisoit pour forcer les deux Barques, retournerent à la Ville, & n'y remporterent que le chagrin de leur perte.

      Les Espagnols, suivant l'usage auquel ils ne manquent jamais, de s'obstiner trop long-tems contre toutes sortes de propositions, & d'accepter ensuite servilement toutes les conditions qu'on veut leur imposer, refusérent d'abord de convenir d'une somme pour racheter la Ville. Mais lorsqu'ils nous virent résolus de la brûler, & que cette ménace fut même exécutée dans quelque partie, ils consentirent à payer cent dix mille ducats pour sauver le reste. Ainsi quoique Carthagène ne fût pas la moitié aussi considérable que Saint Domingue, nous en exigeâmes une rançon beaucoup plus grosse, parce que l'excellence de son Port, la nature de son commerce & les richesses de ses Habitans, en font une Place beaucoup plus importante; l'autre n'étant guéres habitée que par des gens de Robbe ou des personnes sans emploi, comme la


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