Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique. Antoine François Prévost d'Exiles

Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique - Antoine François Prévost d'Exiles


Скачать книгу
général les Caffres ont le teint bazané & olivâtre, quoique plusieurs Nations l'aïent d'un noir extrêmement foncé. Ils ont les lévres grosses, & le visage affreux; ceux qui ont quelque communication avec les Hollandois, se civilisent insensiblement, les autres sont sauvages, & vivent dans une profonde ignorance. Leurs armes sont l'arc & les fléches, avec une zagaye, qui est une espece de Javelot. Ils ne se nourrissent que de racines cuites dans l'eau, ou roties sur des charbons, de la chair de leurs plus méchantes bêtes, qu'ils ne tuent point si elles ne sont vieilles ou malades, ou du poisson qu'ils trouvent mort sur le rivage. Ils se font un morceau délicat d'un Chien de mer, & ils n'en manquent point, car la Côte en est remplie. Les Caffres vivent fort long-tems, & la plûpart vont jusqu'à cent & six-vingt ans. Ils enterrent leurs Morts assis & nuds, & dans les funérailles ils observent une cérémonie très-fâcheuse, car tous les parens du mort sont obligés de se couper le doigt de la main gauche, pour le jetter dans la fosse; aussi regardent-t-ils comme un malheur extrême de voir mourir leurs parens. Leurs maisons sont généralement composées de branches d'arbres, & couvertes de jonc; à la réserve de quelques Peuples qui se retirent dans des cavernes. Plusieurs de ces cabannes sont si grandes, qu'elles peuvent contenir une famille de trente personnes. Il paroît que la Langue de toutes les Nations Caffres est à peu près la même; mais elle est si confuse & si mal articulée, que les Étrangers ne peuvent l'apprendre. Au contraire les Caffres apprennent assez facilement celle des Étrangers, & dans le voisinage du Cap il s'en trouve beaucoup qui se font entendre en Hollandois. Quoiqu'ils n'ayent aucune trace de culte religieux, on croit qu'ils reconnoissent un Être Souverain, mais ils ne pensent guères à lui rendre le moindre hommage. Ils poussent néanmoins des cris vers le Ciel, lorsqu'après un mauvais tems ils voyent que l'air commence à devenir plus doux ou plus serein. Ils rendent aussi quelques respects à la Lune lorsqu'elle commence à paraître, du moins si l'on en juge par l'ardeur avec laquelle ils passent alors toute la nuit à chanter & à danser.

      S'il avoit pu nous rester quelque curiosité après avoir passé quelques heures dans l'Habitation des Sauvages, elle auroit regardé le Fort d'Hallenbock que les Hollandois ont construit à dix lieuës du Cap, & qui est devenu un lieu considérable par le grand nombre d'Habitans qui s'y sont établis. Il est fait pour arrêter les Sauvages, qui peuvent quelquefois s'attrouper. Une garnison assez nombreuse rend le Cap & les autres Habitations tranquilles de ce coté là. Mais ayant peu de lumières à espérer dans une Place de Guerre, nous retournâmes au Cap le lendemain de notre départ.

      J'y étois attendu par une disgrâce que j'étois fort éloigné de prévoir, & qui m'auroit été néanmoins beaucoup plus fâcheuse si elle eut été différée plus long-tems. Depuis huit jours que nous étions arrivés au Cap, on avoit eu le tems de réparer ce qui pouvoit manquer à notre Vaisseau, & nous pensions à nous remettre en mer au premier vent. Mais en partant vingt-quatre heures plûtôt, je me serois exposé au chagrin de ne recevoir que dans les Indes une nouvelle qui auroit rendu mon Voyage absolument inutile. Pendant la nuit que nous avions passée à visiter les Habitations Hollandoises, il étoit arrivé au Cap un Vaisseau Anglois, qui ne s'étoit arrêté comme nous que pour quelques nécessités de Navigation. Il faisoit aussi le Voyage des Indes, & n'étoit parti de Londres qu'environ quinze jours après le nôtre. M. Sprat mortellement picqué de l'innocente tromperie qu'il avoit à me reprocher, avoit saisi la première occasion d'en tirer vengeance. Le Capitaine, qui se nommoit M. Rut, étoit chargé d'un ordre cruel, qu'il devoit me remettre au premier lieu où il pourroit me rencontrer.

      N'ayant point compté de trouver notre Vaisseau au Cap, il n'avoit appris qu'avec un extrême étonnement que nous y étions depuis huit jours; & dans mon absence il avoit déja cherché à voir ma femme, mais il ne lui avoit fait aucune ouverture de sa Commission. Je lui en sçus bon gré en l'apprenant moi-même, parce que cette nouvelle, annoncée sans préparation, auroit causé trop de chagrin à toute ma famille. M. Rut m'ayant fait demande la permission de me voir, commença son discours par un compliment fort civil sur le tort qu'il m'alloit faire, & dont le ressentiment ne devoit pas tomber sur lui. Ensuite, me remettant une Lettre de M. Sprat, il me dit qu'il en avoit une autre à rendre à mon Capitaine, qui contenoit les mêmes ordres. Je me hâtai de lire la mienne. C'étoit une révocation de la Charge de Supercargoes dont j'étois revêtu dans le Vaisseau, & de la Commission que M. Sprat m'avoit accordée dans son Comptoir. Il ne me cachoit pas, que sensible à l'outrage qu'il prétendoit avoir reçû par ma conduite, il étoit charmé de m'en faire porter la peine; & seulement, disoit-il, il plaignoit ma malheureuse famille qui alloit peut-être se trouver réduite à bien des extrémités fâcheuses par mon injustice & ma mauvaise foi.

      J'avoüe que ce malheur me parut terrible. Cependant, je remerciai intérieurement le Ciel d'avoir permis que M. Rut m'eût rencontré au Cap, pour m'épargner une course dont le terme auroit augmenté mes embarras. Les Marchandises que j'avois sur le Vaisseau ne pouvoient m'être enlevées, & ce seul fond suffisoit pour me soutenir pendant quelque tems au Cap. Les Hollandois sont d'un excellent caractere. Je ne doutai point qu'en leur expliquant la cause de mon infortune & le besoin que j'avois de leur assistance, ils ne m'accordassent toutes les faveurs qui conviendroient à ma situation.

      On voit que dans ces premières réflexions je ne faisois point entrer la ressource des lingots d'or, dont je ne me flatai point effectivement que notre Capitaine me fît jamais la moindre part. Je n'avois aucun titre pour y prétendre. Quoiqu'il m'eût donné quelques témoignages d'amitié, & que je lui crusse un bon naturel, je jugeai que l'ardeur qu'il avoit pour s'enrichir, lui feroit oublier des promesses dont l'execution ne dépendoit que de sa volonté. Enfin, je comptai si peu sur la générosité de son cœur, que ne pensant pas même à le solliciter par des prieres inutiles, j'employai mes premiers soins à calmer les inquiétudes de ma femme. De là je me rendis au Vaisseau, pour faire décharger mes Marchandises. Le Vent étoit devenu si favorable depuis une heure, que j'apprehendois tout de l'empressement de l'Équipage. Mais je trouvai le Capitaine à Bord, où il avoit reçu la Lettre de M. Sprat. Il vint à moi, les bras ouverts & la larme à l'œil. Après m'avoir fait connoître qu'il étoit instruit de mon malheur, & qu'il regrettoit amérement de n'y pouvoir remédier, il me félicita d'en avoir reçu la nouvelle dans un lieu où je pouvois trouver mille moyens de l'adoucir. D'ailleurs, ajouta-t-il, vous ne serez pauvre nulle part avec une bonne partie de nos Lingots, que mon intention est de vous ceder.

      Il ne falloit que mon embarras, sans aucun attachement aux richesses, pour me faire trouver le sujet d'une vive satisfaction dans ce discours. J'embrassai à mon tour un Ami si fidelle & si génereux, & les premiers témoignages de ma reconnoissance tomberent sur sa bonté plus que sur le tresor qu'il me promettoit. Mais enfin, dans l'état où j'allois me trouver, je ne lui cachai point que ses génereuses promesses me rendoient la vie, & sauvoient peut-être du dernier désespoir une malheureuse famille dont le sort meritoit sa pitié. Des remercimens si vifs exciterent encore le noble penchant de son cœur. Il me protesta que si l'honneur lui eût permis d'abandonner la conduite de son Vaisseau, il auroit pris le parti de lier sa fortune à la mienne, & de me proposer même sa main pour ma fille aînée. Et s'il eût pû se persuader, ajouta-t-il, que je voulusse faire assez de fond sur sa parole pour attendre son retour, il n'auroit pas balancé à me jurer que je le trouverois dans la même disposition. Une offre de cette nature ne pouvoit être acceptée subitement. Je lui répondis qu'à son retour il me trouveroit vraisemblablement au Cap, & que sans recevoir de lui aucune promesse par laquelle il pût se croire engagé, je serois ravi de lui voir rapporter des sentimens si favorables à ma famille. Il les confirma sur le champ, en faisant décharger parmi mes Marchandises le Baril qui contenoit environ la quatriéme partie de notre or.

      Quoique les essais que nous avions faits à Ferro & depuis notre arrivée au Cap, ne me laissassent plus aucun doute que nos Lingots ne fussent de l'or réel, il s'y trouvoit tant de mêlange que mes richesses ne répondoient pas tout-à-fait à l'idée qu'on s'en pourroit former. Nos calculs nous avoient déja fait concevoir qu'il y avoit deux tiers à rabattre sur le volume. Mais en supposant même une diminution de trois quarts, je comptois que ma part étoit d'environ cent mille écus; & dans l'état de ma fortune, cette somme méritoit bien le nom de trésor. Je promis au Capitaine que s'il repassoit au Cap, il trouveroit


Скачать книгу