Sous le burnous. Hector France

Sous le burnous - Hector France


Скачать книгу
l'oeil fixe, plein de dédain aussi, mais pressant le pas, car il sentait siffler à ses oreilles, lui, le hardi voleur arabe, les rires et les insultes des lâches filous chrétiens.

      On sortait du village; on s'engageait sur le sentier pierreux de Tebessa, au milieu des genêts des palmiers nains et des bruyères, ce que les mercantis appellent la broussaille, sous les morsures déjà brûlantes du soleil du matin.

      L'homme marchait vite. Il n'entendait plus les rires des roumis, mais il sentait sur sa nuque le souffle chaud du cheval.

      Bientôt une bonne odeur d'eau fraîche montait avec un bruit de cascade. Il y avait là, où le chemin fait un coude, une place ravissante, enveloppée de lauriers-roses.

      Quand les fleurs s'épanouissaient éclatantes sur le vert sombre, c'était un coin du paradis. Les papillons, les scarabées d'or et les libellules s'y donnaient rendez-vous, et les souffles de la brise y avaient d'énervantes mollesses. Il n'y manquait que les houris, et on les voyait parfois dévaler en groupe des douars, jambes et bras nus, pour puiser l'eau dans la rivière qui clapotait au-dessous, au milieu des quartiers de roc détachés de ses flancs pendant le dernier orage. Des chutes, des bouillonnements, des écumes irisées des sept couleurs. Les perdrix rouges venaient y boire, tandis que les grands lièvres au poil fauve regardaient curieusement, oreilles dressées, au milieu des touffes de diss.

      C'était là où nous attendions, dans les étouffantes après-midi, les filles des chaouias et où nous faisions l'amour, le pistolet à portée de la main et au poignet la bride du cheval.

      C'était la frontière, à trois quarts d'heure du bordj et du village d'El-Meridj, et Ali-bel-Kassem, l'oeil aux aguets, ralentissait son allure.

      Et l'autre ralentissait aussi son pas, et, ne sentant plus le naseau du cheval sur sa nuque, reprenait haleine.

      Il humait l'air frais, heureux de ce coin d'ombre, et, se retournant, disait:

      —Je te prie, Sidi, depuis huit jours, tu le sais, j'étais enterré vivant et privé d'eau dans les ordures d'un silo; au nom du Prophète, permets que je fasse l'oudou el serir.

      Un vrai serviteur de Dieu peut-il refuser à un prisonnier qui passe près d'une rivière le droit à la petite ablution? L'ablution est sainte et obligatoire comme la prière, et ce n'est pas le dévot Bel-Kassem, qui eût songé à s'y opposer.

      —Fais, répondait-il en détachant le chapelet de son cou, je te donnerai tout te temps que je mettrai à prononcer les quatre-vingt-dix-neuf noms d'Allah!

      Et il égrenait les grains d'ivoire un à un, sans se presser, murmurant sur chaque, un des noms de Dieu:

      Dieu le Grand;

       Dieu le Miséricordieux;

       Dieu le Juste;

       Dieu l'Immuable;

       Dieu le Maître de l'heure.

      Pendant que le bédouin se laissant glisser le long de la pente crayeuse, et s'accroupissant, baignait sa face et plongeait avec délices ses jambes et ses bras dans l'eau.

      Du haut de sa monture, immobile sur le bord, le grand champêtre ne le quittait pas de l'oeil, continuant sa litanie:

      Dieu le Vivant;

       Dieu le Très-Haut;

       Dieu le Clément,

      Et quand il avait fini, il se récitait le verset:

      …. Le Prophète a dit: «Celui que la mort surprendra la prière au lèvres ou au moment d'une action louable ou d'un acte religieux, celui-là est béni.»

      Puis il replaçait méthodiquement le chapelet à son cou, par dessus son burnous rouge, portait la main sur la poignée de son pistolet, le tirait lentement de sa gaine, et l'armait sans bruit.

      Et le corps penché, l'avant-bras appuyé sur l'épaule du cheval, il visait à son aise pendant une ou deux secondes.

      —Les chrétiens maudits l'ordonnent, mais, par le Koran glorieux, tu te feras leur accusateur lorsque le soleil sera ployé et qu'on déroulera la feuille du Livre. Alors leur compte sera affreux, leur demeure la géhenne. Et tu te féliciteras, car tu auras passé le Sirak! Adieu, homme, l'archange Gabriel va te prendre pour que tu contemples la face du Maître.

      Il marmottait cela entre ses dents, comme un dévot qui prie, tout en ajustant la nuque.

      —Va, mon fils, c'était écrit.

      Et il lui cassait la tête. Rarement il manquait son but. En ce cas, il achevait la besogne à coups de sabre. Le corps roulait et s'abîmait dans le torrent. Quelquefois, le vent qui soufflait des crêtes du Bou-Djaber apportait jusqu'au village d'El-Meridj le bruit de la détonation.

      —Entendez-vous? disaient les mercantis. Encore ces cochons de Kroumirs qui assassinent en plein jour. Ont-ils du toupet, ces gueux-là!

       Table des matières

      LA POULE VOLÉE

      I

      —La quatrième, nom de Dieu! la quatrième en huit jours! s'écria le lieutenant Fortescu après avoir bien constaté qu'il manquait une poule au poulailler de la popote des officiers de l'escadron. Chapardeurs de zouaves! Tas de chacals!

      Justement, le capitaine Fleury lui avait dit le matin même au déjeuner:

      —Fortescu, méfiez-vous; vous vous faites rouler par les zouaves dans votre service de popotier en chef; le cuisinier m'a assuré qu'il manquait trois poules depuis qu'ils sont campés près du bordj.

      Et voyez quel guignon!—une quatrième avait disparu.

      Et depuis plus d'une heure, il les examinait, les comptait, recomptait, et tandis qu'elles rentraient au logis, le coq en tête, majestueux et insouciant comme si de rien n'était, la stupide bête, il avait constaté, dûment constaté qu'il en manquait une à l'appel. «La quatrième depuis huit jours, nom de Dieu!»

      —Trompette, sonne à l'adjudant.

      Et il se mit à arpenter la cour du bordj, avec les signes de la plus grande colère, laissant éteindre sa vieille bouffarde, tant il était préoccupé, ne perdant pas le poulailler de vue, espérant toujours voir accourir la retardataire, tandis que le trompette Villerval, à moitié ivre comme de coutume, tournait l'entonnoir de son cuivre aux quatre points cardinaux:

      Au chien du quartier! au chien du quartier!

       Au chien du quartier! au chien du quartier!

      Le chien du quartier, en ce temps-là l'adjudant Pechiné, achevait son septième verre d'absinthe, en compagnie du marchef, sous la tonnelle de la cantine, en disant des polissonneries à la petite maman Jardret, l'épouse légitime du cantinier Jardret, maréchal en pied.

      Elle ripostait bravement, en bonne fille, pas bégueule, avec des éclats de rire saccadés, faisant gentiment tressauter une gorge qui, bien qu'ayant nourri pour la patrie une demi-douzaine de petits Jardrets, paraissait des plus appétissantes aux deux sous-officiers, car dans ce poste avancé sur la frontière tunisienne, le sexe radieux ne brillait que par son absence.

      —Mon lieutenant?…

      —La quatrième depuis huit jours, adjudant. Voyez comme vous faites votre service. La quatrième poule, nom de Dieu!

      —Quoi! quelle poule? fit l'autre ahuri.

      —Disparue, volée, chapardée par les zouaves.

      —Cela m'étonne, observa l'adjudant; car les spahis de garde ont la consigne de surveiller les zouaves qui entrent dans le bordj. Et du reste, depuis qu'ils ont remplacé la compagnie de lignards, les poules


Скачать книгу