Les Français en Amérique pendant la guerre de l'indépendance des États-Unis 1777-1783. Thomas Willing Balch
et l'on ne consomma que les produits de l'industrie américaine qui venait de naître. Lord North, devant cette résistance, proposa de révoquer les nouvelles taxes, en ne maintenant que celle du thé. Cette demi-concession ne satisfit personne. Philadelphie et New-York refusèrent de recevoir les caisses de thé que leur expédiait la Compagnie des Indes. Boston les jeta à la mer. Le gouvernement anglais voulut ruiner cette dernière ville. Le général Gage vint s'y établir, pendant qu'une flotte la bloquait. En même temps on levait en Angleterre une armée véritable pour réduire les colonies à l'obéissance.
L'indignation fut au comble en Amérique. Toutes les colonies résolurent de sauver Boston, et la Virginie se mit à la tête de ce mouvement.
Pendant qu'un armée de volontaires accourait s'opposer aux mouvements du général Gage un congrès général s'assemblait à Philadelphie, capitale la plus centrale des colonies, le 5 septembre 1774. Il était composé de cinquante-cinq membres choisis parmi les hommes les plus habiles et les plus respectés des treize colonies. Là on décida qu'il fallait soutenir Boston et lui venir en aide par des troupes et de l'argent, et l'on publia cette fameuse déclaration des droits que revendiquaient tous les colons en vertu des lois de la nature, de la constitution britannique et des chartes concédées. Cette déclaration solennelle fut suivie d'une proclamation à toutes les colonies et d'une pétition au roi George III, qui resta inutile comme les précédentes.
Comme l'avait prévu William Pitt, qui s'était efforcé de concilier l'intégrité de la monarchie britannique avec la liberté des colonies américaines, la guerre éclata.
IV
Tels sont les faits purement matériels qui précédèrent la rupture des colonies anglaises d'Amérique avec la Grande-Bretagne et les actes qui provoquèrent les premières hostilités. Un soulèvement aussi général, aussi spontané, aussi irrésistible que celui qui aboutit à la déclaration des droits du citoyen et à la constitution de la république des États-Unis ne saurait pourtant trouver son explication dans ce seul fait de l'établissement d'un nouvel impôt. C'est dans l'esprit même de la population atteinte dans ses libertés, dans ses aspirations, ses traditions et ses croyances qu'il faut rechercher les germes de la révolution qui allait éclater. Les grands bouleversements qui, dans le cours de l'histoire des peuples, ont changé le sort des nations et transformé les empires, ont toujours été le résultat logique, inévitable, d'influences morales qui, persistant pendant des années, des siècles même, n'attendaient qu'une circonstance favorable pour affirmer leur domination et constater leur puissance. Nulle part plus que dans l'Amérique du Nord ces influences morales ne pourraient être évoquées par l'historien, et je me propose d'en étudier ici l'origine, d'en suivre le développement et d'en recueillir les nombreuses manifestations.
J'ai dit que les premières tentatives de colonisation sur les rives du fleuve Saint-Jean furent faites par des protestants français. Elle n'eurent d'abord aucun succès. Mais du jour où les huguenots envoyés par Coligny eurent mis le pied sur le sol du nouveau monde, il semble qu'ils en aient pris possession au nom de la liberté de conscience et de la liberté politique.
Avant l'ère chrétienne, c'étaient les différences d'origine, de moeurs et d'intérêts qui étaient les causes des guerres; jamais les croyances religieuses. Si l'homme qui sacrifiait à Jupiter Capitolin sur les bords du Tibre voulait soumettre l'Égyptien ou le Gaulois, ce n'était pas parce que ce dernier adorait Osiris ou Teutatès, mais uniquement dans un esprit de conquête. Depuis l'introduction du christianisme parmi les hommes, les guerres de religion furent au contraire les plus longues et les plus cruelles. C'est au nom d'un Dieu de paix et de charité que furent livrées les luttes fratricides les plus passionnées et que les exécutions les plus horribles furent commises. C'est en prêchant une doctrine dont la base était l'égalité des hommes et l'amour du prochain que s'entre-déchirèrent des nations qui s'étaient développées à l'ombre de la Croix et avaient atteint le plus haut degré de civilisation. Comment les successeurs des apôtres, les disciples du Christ, oubliant que les supplices des martyrs avaient hâté à l'origine le triomphe de leurs croyances, firent-ils couler si abondamment le sang de leurs frères, et espéraient-ils les ramener ainsi de leurs prétendues erreurs? C'est que la doctrine chrétienne fut détournée de sa voie, que ses préceptes furent méconnus. Embrassée avec enthousiasme par le peuple, surtout par les pauvres et les déshérités de ce monde, auxquels elle donnait l'espérance, elle devint bientôt entre les mains des souverains et des puissants un instrument de politique, une arme de tyrannie. Alors l'esprit de l'Évangile fut oublié et fit place à un fanatisme grossier dans les populations ignorantes; une intolérance barbare fut seule capable de masquer les abus et les désordres qui avaient souillé la pureté de l'Église primitive et dénaturé les préceptes de ses Pères.
Les législateurs et les écrivains de l'antiquité n'ont jamais admis que l'État eût des droits et des intérêts indépendants ou séparés de ceux du peuple. C'est lorsque la république fut tombée, à Rome, sous le despotisme militaire, et que le peuple, écrasé par l'aristocratie, abâtardi par l'infusion du sang barbare, eut perdu toute énergie que s'établit un droit nouveau, inconnu jusque là. L'empire n'admit plus pour guide que la volonté du chef. Il ne devait rendre compte de ses actes qu'aux dieux, quand on ne le considérait pas lui-même comme un dieu. Le christianisme trouva cette doctrine en vigueur, et elle fut transmise aux générations suivantes par les jurisconsultes et les écrivains ecclésiastiques. L'Église l'adopta dans son organisation et l'imposa aux peuples barbares qui vinrent s'établir sur les débris de l'empire romain. Le moyen âge fut le triomphe absolu de ce système de gouvernement. E Deo rex, e rege lex, telle était la devise sous laquelle devaient s'incliner les peuples et qui plaçait le pape au sommet de l'organisation sociale en lui conférant le droit de nommer ou de déposer les souverains.
Dès que l'étude des philosophes anciens dissipa les ténèbres de l'ignorance, l'esprit de curiosité et d'examen se porta sur tous les sujets, et l'on commença à mettre en question l'infaillibilité du pape et des souverains. On trouva même que les Pères de l'Eglise étaient loin d'avoir proclamé la doctrine sur laquelle se fondait le droit nouveau. Saint Paul avait enseigné que l'individu devait prendre pour guide de sa conduite la conscience. Saint Augustin, donnant un sens plus large à cette doctrine, disait que les peuples comme les individus étaient responsables de leurs actes devant Dieu. Et saint Bernard s'écriait: «Qui me donnera, avant que de mourir, que je voie l'Église de Dieu comme elle était dans les premiers jours!» Dans les conciles de Vienne, de Pise, de Bâle, on reconnaissait la nécessité de réformer l'Église dans le chef et dans les membres. Telle était aussi l'opinion des plus célèbres docteurs, de Gerson et de Pierre d'Ailly par exemple. Les Augustins s'élevèrent enfin énergiquement contre les abus de la cour de Rome et le désordre du clergé; leur plus éminent docteur, Martin Luther, proclama la réforme. Les peuples les plus religieux l'embrassèrent avec ardeur. La lecture des livres saints, proclamant la fraternité des hommes, annonçant l'abaissement des grands et l'élévation des humbles, leur fit entrevoir la fin possible de l'oppression sous laquelle ils gémissaient depuis des siècles. Dès lors la religion réformée prit en Hollande avec Jean de Leyde, en Suisse avec Zwingle et Calvin, en Écosse avec Knox, un caractère démocratique inconnu jusqu'alors.
On peut remarquer que le gouvernement de chaque peuple est généralement la conséquence de la religion qu'il professe.
Chez les sauvages les plus grossiers, qui sont à peine au-dessus de la brute et qui même sont inférieurs par l'intelligence à quelques-uns des animaux au milieu desquels ils vivent 32, nous ne trouvons aucune forme de gouvernement définie, si ce n'est le droit absolu et incontesté de la force et un despotisme aveugle et sanguinaire qui réduit ces peuplades à la plus misérable condition. L'idée d'un dieu n'est pourtant pas ignorée de ces êtres qui n'ont d'humain que le langage, puisque physiquement ils se rapprochent autant du singe que de l'homme. Mais c'est