Légendes Normandes. Gaston Lavalley

Légendes Normandes - Gaston Lavalley


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le silence de la tombe. Comme un corps, dont l'âme s'est envolée, cette sombre demeure semblait n'avoir ni battement, ni respiration.

      Cependant la vie ne s'était pas retirée de cette maison.

      Une jeune fille traversa la cour intérieure en sautant légèrement sur la pointe des pieds, s'approcha d'une porte massive, qu'elle eut grand'peine à faire rouler sur ses gonds, et entra, à petits pas, sans bruit, et en mettant les mains en avant, dans une pièce assez sombre pour justifier cet excès de précaution.

      Un vieillard travaillait dans un coin, auprès d'une fenêtre basse. Le jour le frappait en plein visage et accusait vivement la maigreur de ses traits. La jeune fille s'avança vers cet homme, et, lorsqu'elle apparut dans cette traînée lumineuse, où se baignait l'austère physionomie du vieillard, ce fut un spectacle étrange et charmant.

      On aurait pu se croire transporté devant une de ces toiles merveilleuses de l'école espagnole, où l'on voit une blonde tête d'ange qui se penche à l'oreille de l'anachorète pour lui murmurer de ces mots doux comme le miel, et qui lui donnent un avant-goût des joies célestes.

      Il est fort présumable, en effet, que le digne vieillard était plus occupé des choses du ciel que de ce qui se passait sur la terre. A peine la jeune fille eut-elle posé familièrement la main sur son épaule qu'il se releva brusquement, comme s'il eût senti la pression d'un fer rouge.

      — Ah ! fit-il avec terreur... c'est vous, mademoiselle Marguerite ?

      — Eh ! sans doute... Je t'ai donc fait peur ?

      — Oh ! oui... C'est-à-dire non... Ce sont ces gueux de patriotes qui me font sauter en l'air avec leurs maudites détonations !

      — Au moins ces coups de fusil ne font-ils de mal à personne.

      — Pouvez-vous parler ainsi, mademoiselle !... vous, la fille de monsieur le marquis !

      — Lorsque les hommes s'amusent, mon bon Dominique, ils ne songent pas à nuire à leur prochain.

      — Ils insultent à notre malheur !

      — Voyons. Je suis sûre que ta colère tomberait comme le vent, si mon père te donnait la permission d'aller à la fête.

      — Moi ?... j'irais voir de pareils coquins ?...

      — Oui... oui... oui...

      — Il faudrait m'y traîner de force !

      — Que tu es amusant !

      — Et encore je ne regarderais pas... Je fermerais les yeux !

      — Tu les ouvrirais tout grands !

      — Ah ! mademoiselle, vous me méprisez donc bien ?

      — Du tout. Mais je te connais.

      — Vous pouvez supposer ?...

      — J'affirme même que tu ne resterais pas indifférent à un tel spectacle... Une fête du peuple ?... Je ne sais rien de plus émouvant !

      — Le fait est, reprit Dominique en se calmant tout à coup, qu'on m'a assuré que ce serait très-beau !

      — Tu t'en es donc informé ?...

      — Dieu m'en garde !... Seulement, en faisant mes provisions, ce matin, j'ai appris...

      — Si tu fermes les yeux, tu ne te bouches pas les oreilles.

      — Dame ! mademoiselle, quand on tient un panier d'une main et son bâton de l'autre...

      — On est excusable, j'en conviens... Alors, tu as appris ?...

      — Qu'on doit porter en triomphe la déesse de la Liberté... Toute la garde nationale sera sous les armes !

      — Vraiment !

      — Le cortége aura plus d'une demi-lieue de long. Un cortége magnifique !... Quelque chose comme la promenade des masques au carnaval !

      — Imprudent !... Si l'on nous entendait !...

      — Oh ! je ne redoute rien, moi ! Les patriotes ne me font pas peur !... Et, si je ne craignais d'être grondé par monsieur le marquis, j'irais voir leur fête, rien que pour avoir le plaisir de rire à leurs dépens !

      — Ainsi, sans mon père ?...

      — Sans monsieur le marquis, je les poursuivrais déjà de mes huées !

      — Et si je prenais sur moi de t'accorder cette permission ?

      — Monsieur le marquis ne me pardonnerait pas cette escapade.

      — S'il l'ignorait ?

      — Vous ne me trahiriez pas ?

      — A coup sûr... Je serais ta complice.

      — Quoi ! mademoiselle, vous auriez aussi l'idée d'aller à la fête ?

      — J'en meurs d'envie !... Il y a si longtemps que je suis enfermée dans cette tombe ! S'il est vrai que les morts sortent quelquefois du sépulcre, les vivants doivent jouir un peu du même privilége.

      — Mademoiselle n'a pas l'intention de se moquer de moi ?

      — Regarde-moi, dit la jeune fille.

      A ces mots, elle entra tout entière dans la zone lumineuse qui rayonnait à travers l'étroite fenêtre. Le vieux domestique poussa un cri de surprise.

      — Mademoiselle en femme du peuple !

      — Tu vois que je pense à tout. Si je fais une folie, on ne m'accusera pas de légèreté. Tu me donneras le bras, je passerai pour ta fille, et personne ne songera à nous inquiéter. Viens vite !

      Dominique ne se le fit pas dire deux fois. Il laissa là sa brosse et les souliers qu'il nettoyait, prit sa casquette, traversa rapidement la cour, sur les pas de sa maîtresse, et ouvrit avec précaution la porte de la rue.

      — Monsieur le marquis ne se doutera de rien ? dit-il à la jeune fille, lorsqu'ils se trouvèrent dehors.

      — Il fait sa correspondance. Nous avons deux bonnes heures de liberté ! répondit Marguerite.

      Puis elle passa son bras sous celui du vieillard, qu'elle entraîna vers le centre de la ville.

      Il était temps. Le cortége s'était mis en marche et gravissait lentement la principale rue de la ville. C'étaient d'abord les bataillons de la garde nationale. Rien de plus pittoresque et de plus martial que l'aspect de ces soldats bourgeois. Artisans pour la plupart, ils n'avaient eu ni le temps ni le moyen de s'enfermer dans un riche uniforme. Mais ils savaient la patrie en danger. Leurs fils mouraient à la frontière, et, tandis que le plus pur de leur sang arrosait les bords du Rhin ou grossissait les eaux de la Loire, ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour la défense de leurs foyers. Et personne alors ne songeait à rire en voyant ce singulier assemblage de piques, de bâtons, de sabres et de fusils, ces vêtements déguenillés, ces bras nus, tout noirs encore des fumées de la forge ou de l'atelier, qu'on venait de quitter, pour saluer en commun l'aurore des temps modernes !

      Derrière les gardes nationaux marchait une troupe de jeunes gens qui portaient sur leurs épaules des arbres de la liberté, parés de fleurs et de rubans. Après eux, les frères de la Société populaire, coiffés du bonnet phrygien, soulevaient au-dessus de leur tête les trois pierres de la Bastille. Des chars, splendidement ornés et ombragés par des drapeaux, présentaient aux regards de la foule, comme un double objet de vénération, des vieillards et des soldats blessés : les victimes de l'âge et les victimes de la guerre ! Sublime allégorie qui enseignait à la fois le respect qu'on doit à l'expérience et la pitié que mérite le malheur !

      Quelques pas en arrière venait la déesse de la Liberté. Mais ce n'était pas cette forte femme qui veut qu'on l'embrasse avec des bras rouges de sang, cette femme à la voix rauque, cette furie enfantée, dans un moment de délire, par l'imagination d'un grand poëte. C'était une


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